Les caractéristiques architecturales des églises de l’Eure

Les caractéristiques architecturales des églises de l’Eure

Franny Tachon et Oriane Poret étudiantes à l’Ecole du Louvre et stagiaires à l’OPR, ont inventorié les édifices religieux du département de l’Eure. Après avoir étudié avec minutie beaucoup d’églises et de chapelles de ce département, ces deux étudiantes nous révèlent les caractéristiques architecturales des églises de l’Eure.

Introduction: plus de mille ans d’histoire

Département de Normandie, l’Eure bénéficie d’un patrimoine religieux riche et multiple. Les terres normandes ont surtout été marquées par l’émergence puis par le rayonnement de l’art roman. Plus de 80% des édifices actuels ont conservé des parties du XIIe siècle, qu’il s’agisse de pans de murs, de baies anciennes. Après les nombreuses dégradations voire destructions commises au cours de la guerre de Cent Ans, d’anciennes églises ont été rénovées ou de nouvelles ont été construites dans un style gothique flamboyant ou bien classicisant. L’Eure a, ainsi, été un terroir d’élection pour la Renaissance. Les guerres de religion ont arrêté le grand chantier de Saint-Ouen de Pont-Audemer (voir photo), église qui a été reconstruite au XVe et XVIe siècles. Nombre d’églises ont échappé à la destruction, pendant la seconde guerre mondiale, non sans blessures graves. Les églises contemporaines restent rares. A ce titre, il faut seulement citer Notre-Dame au Manoir, Notre-Dame-de-Fatima à Berville-la-Campagne ou Saint-Martin de Pressagny-l’Orgueilleux (voir photo).

Les principes architecturaux de l’Eure: plans et élévations caratéristiques

La progression du profane vers le sacré s’exprime par la séquence de la nef et du chœur. Pour différencier l’espace des fidèles de celui des religieux, les églises de l’Eure s’organisent en deux volumes distincts par leurs formes et leurs matériaux. Généralement, la taille de la partie sacrée est inférieure à celle de la nef (voir photo). Plus rarement, des édifices religieux combinent chœur et nef en un volume unique, comme à Saint-Martin d’Arnières-sur-Iton.

Rappelant la croix du Christ, le plan en croix latine est majoritairement adopté dans l’Eure. Toutefois, la croix est souvent tronquée, puisque les bras du transept sont remplacés par de petites chapelles dédiées à des saints, que la paroisse souhaite honorer. Une chapelle peut être implantée sur un côté de la nef sans avoir son pendant de l’autre côté, comme à Sainte-Colombe au Theil-Nolent. Une chapelle peut être placée au Nord, faisant face à une tour-clocher au Sud, comme à Saint-Aubin sur Gaillon.
En revanche, les plans centrés ou en croix grecque sont absents du patrimoine religieux de l’Eure, à l’exception de Notre-Dame la Ronde à Evreux (disparue) et de la chapelle du château de Bonnemare à Radepont (voir photo).

Outre les églises de Saint-Etienne de Jumelles ou de Saint-André à Plessis Sainte-Opportune, les absides semi-circulaires se révèlent assez rares. Plus souvent, les chevets sont plats, à l’image de Saint-Saturnin de Plainville ou de Saint-Denis à Piseux. (voir photo située à droite).

Les clochers des petites églises rurales émergent fréquemment de la toiture de la nef. Souvent, ils se résument à une simple flèche polygonale, insérée après coup dans la charpente comme à La-Chapelle-Réanville. Plus rarement, les tours-clochers s’élèvent à la croisée de la nef et du chœur, à l’image de Notre-Dame-de-Bonport à Quillebeuf-sur-Seine.

Subissant les assauts des intempéries, les entrées des églises sont souvent protégées par des porches, réalisés en colombage comme à Notre-Dame de Fresne-Cauverville ou à Saint-Antonin de Sommaire. Nombreux dans le Vexin et le pays de Lyons, ils sont parfois hissés au rang de chefs-d’œuvre (Notre Dame et Saint Julien du Puchay (voir photo)).

Hormis Coudray-en-Vexin, les cryptes sont rarissimes.

 

Les situations géographiques des édifices religieux

Les églises de l’Eure ont la caractéristique d’être le plus souvent entourées de cimetières et implantées à l’intérieur des communes. La délimitation territoriale imposée lors de la naissance des paroisses a motivé le groupement des communautés humaines autour des lieux de culte et de leurs enclos cimetériaux.
Cependant, les rituels païens n’ont pas totalement disparu, et la sacralisation des arbres, vénérés pour leur longévité, ou des sources minérales a laissé des traces. La chapelle Notre-Dame du Chêne à Dangu en est une preuve (voir photo). Lors des vagues d’évangélisation des IXe et XIe siècles, ces lieux mystérieux ont été abattus ou « convertis ». Ainsi, certains édifices sont disposés près d’étangs auparavant vénérés ou encore à proximité d’arbres sacrés. Certains objets de croyance (statuettes ou croix) ont été déposés à proximité, ou dans, les arbres pour que ceux-ci se revêtent du culte chrétien.
Si l’if est particulièrement présent dans les cimetières de l’Eure comme à Saint-Pierre de Cernières, de nombreuses statues de la Vierge sont insérées dans les arbres à l’image du Troncq. En effet, le chêne de Bosguerard de Marcourville (voir photo) présente une grande vitrine accueillant une statuette de la Vierge.

Les spécificités des matériaux

Pierre calcaire, silex, grès et grison constituent le répertoire rocheux local dans l’Eure fourni par le sol et les sous-sols de la région. Le silex, s’il est le plus visible du point de vue constructif, n’est pas aussi résistant que les moellons de calcaire ou de grès. La brique, plutôt rare, est néanmoins fréquemment utilisée pour les façades d’entrées, les porches ou bien pour la modénature. L’église Saint-Quentin de Poses est ainsi précédée par un porche constitué de briques rouges.
La bichromie des pierres de taille et silex équarris, disposés en bandes ou en damiers sur les façades, est récurrente. Cette association colorée, qui provoque essentiellement des effets décoratifs, est typique de la région. L’église Notre-Dame de Portes (voir photo) atteste sur ces faces orientales de cette véritable recherche de goût.

 
Si la pierre dure domine les principes constructifs, le bois n’est pas totalement absent. Les forêts de l’Eure peuvent fournir quantités de bois d’œuvre. Toutefois, son utilisation se limite à quelques parties des édifices comme les porches ou les sacristies. La chapelle Saint-Denis d’Herponcey dans la commune de Rugles est précédée d’un petit porche à construction apparente en bois. La chapelle de Saint Martin Saint Firmin (voir photo) semble être le seul édifice religieux entièrement construit enpans de bois. Le bois est aussi utilisé pour le colombage, qui structure certaines parties des bâtiments, ainsi peut-on citer l’église Saint Pierre à La Poterie-Mathieu.

Face à la rareté de la bonne pierre et pour disposer d’un volume intérieur important, les maîtres charpentiers ont préféré les charpentes lambrissées pour la réalisation des voûtes, technique développée entre le XIIe et le XVIe siècle. 80% des églises de l’Eure sont couvertes d’une voûte de lambris. Dans la plupart des cas, à Boisney, Plasnes ou encore Hacqueville, la voûte prend la forme d’un berceau revêtu de planches en bois dites « merrains ». Les poutres apparentes dites « entraits » sont extrêmement fréquentes. Certaines constituent des poutres de gloire, comme à Bretagnolle. Les voûtes peuvent avoir été peintes ou décorées comme c’est le cas à Saint-Sulpice d’Heudicourt (voir photo) où les lambris ont été peints de motifs récurrents et les entraits dotés d’engoulants. Néanmoins, ces couvrements de lambris ont souvent été dissimulés au XIXe siècle par un revêtement de plâtre, à l’instar d’Ambenay où le décor peint est toujours présent sous la couche supplémentaire.
Ce type de couvrement suscite maintes difficultés de conservation, notamment en raison des risques d’incendie. La pérennité du matériau est en jeu, car le bois demande à être entretenu pour être conservé. Cela explique aussi la prédominance donnée à la pierre.

Conclusion

Les édifices de l’Eure présentent des caractéristiques indéniables, qui révèlent les liens profonds unissant les églises et les croyants. Par leur situation, leur organisation et leur constitution, les églises de l’Eure répondent aux nécessités du culte. Mais elles font aussi montre d’un goût pour le décoratif et d’une affection pour le déploiement dans l’espace.

L’héritage des rituels païens, le goût des bâtisseurs et les périodes historiques ont façonné l’architecture de l’Eure. Il apparait nécessaire aujourd’hui de protéger et de mettre en valeur ce patrimoine unique.

Bibliographie 
Poulain F., Les églises de l’Eure à l’épreuve du temps, 2015, Editions
des Etoiles du Patrimoine.

Oriane Poret et Franny Tachon Stagiaires à l ‘OPR (juillet 2017)

 

Source

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