« La persécution ne se limite pas à la violence. Un autre type de persécution existe, c’est celle de vouloir museler la voix de l’Eglise, en lui demandant de se taire et de ne pas s’impliquer dans les questions politiques, économiques et culturelles. Pourtant, ce n’est pas dans la nature de l’Eglise de rester silencieuse, elle a un devoir d’implication et d’annonce dans le monde. »
C’est par ses propos que Mgr Socrates Villegas, président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP), s’est exprimé lors de la conférence de presse donnée le 14 novembre à l’occasion de l’ouverture d’un bureau de l’Aide à l’Eglise en Détresse à Manille.
« Alors que des chrétiens sont persécutés dans différentes régions du monde, la pression qui sévit actuellement aux Philippines pour contenir et limiter la voix de l’Eglise est une autre forme de persécution. Nos détracteurs pensent qu’il faut faire taire les évêques, les prêtres et les religieux pour arriver à leurs fins, ou du moins pour réduire l’influence de l’Eglise catholique », a affirmé l’archevêque catholique de Lingayen-Dagupan. Mgr Villegas évoque ici la situation que vit l’Eglise catholique depuis l’arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte, en mai dernier. Si le pays est majoritairement catholique (85 %) et l’Eglise habituée à peser sur les orientations politiques et sociales au sein de la société philippine, force est de constater que, ces derniers mois, l’Eglise a eu davantage de mal à se faire entendre et à faire respecter ses points de vue éthiques et sociaux dans la sphère publique.
Une Eglise philippine déstabilisée
Les méthodes et le ton utilisés par le président philippin, Rodrigo Duterte, semblent déstabiliser l’épiscopat philippin. Anticlérical affirmé, Rodrigo Duterte ne cache pas sa volonté de rétablir la peine de mort abolie en 2006, et il encourage les exécutions extrajudiciaires pour justifier sa guerre contre le trafic de stupéfiants, une politique qui a déjà fait plus de 3 500 morts depuis juin 2016. Il est également favorable au mariage homosexuel et vient de faire volte-face sur une de ses promesses électorales concernant le nucléaire, en se disant désormais favorable à la reprise du nucléaire civil. Les évêques ont beau s’opposer à ces mesures par voie de communiqué ou en s’opposant publiquement, le gouvernement actuel poursuit son action, n’hésitant pas à railler l’Eglise catholique sur ses prises de position.
De nouvelles formes de persécution et des voix discordantes
« Le bashing sur les réseaux sociaux, la création de faux sites Internet où la vérité est présentée de telle manière qu’elle apparaît comme un mensonge, et le mensonge comme une vérité, sont de nouvelles formes de persécutions. A chaque fois que nous appelons à respecter la vie et la dignité humaine, nous sommes perçus comme des ennemis et devenons la cible de trolls [sur Internet]. Cette persécution prend alors la forme de diffamations, en détruisant la réputation des personnes », a déploré Mgr Villegas.
Selon lui, en plus du milieu politique ou athée, il existe aussi des personnes au sein de l’Eglise catholique qui cherchent à « faire taire l’institution » dans ses revendications de justice sociale et de respect des droits de l’homme. « Cette persécution ne se limite pas au gouvernement mais elle peut aussi provenir de personnes appartenant à l’Eglise et qui, par ces moyens, essaient de museler sa voix, a-t-il averti. L’absence de charité et de compassion pour les autres alimente les tendances à la persécution, et si nous ne sommes pas solidaires, c’est aussi par ignorance. »
Une invitation au courage de l’annonce
Si Mgr Villegas a abordé en public les divergences de point de vue qui peuvent exister au sein même de l’épiscopat catholique, il n’en a pas moins invité l’Eglise à rester solidaire en continuant de donner publiquement son point de vue sur les questions débattues au sein de la société civile, et ce malgré les formes de répressions qu’elle peut susciter ou subir. « Les responsables de l’Eglise et les catholiques ne doivent pas pour autant s’arrêter de dire la vérité et d’exprimer ce qui est moral. (…) Le principe constitutionnel de séparation de l’Eglise et de l’Etat ne signifie en aucun cas que l’Eglise doit rester silencieuse sur des questions législatives ou politiques, surtout lorsqu’elles ont des conséquences sur la vie des Philippins, a-t-il affirmé. Il n’y a rien dans les lois de l’Eglise qui nous interdisent de guider les fidèles en matière éducative ou sur des questions concernant les droits de l’homme. Si nous arrêtons de parler, alors nous trahissons notre mission, car avant que le Seigneur ne monte au Ciel, Il nous a dit ‘d’aller et d’annoncer à toutes les nations’ ».
Pour une Eglise ouverte à ceux qui souffrent davantage
Revenant sur l’ouverture d’un Bureau national de l’AED à Manille, Mgr Villegas a affirmé que « l’Eglise locale se réjouissait de cette nouvelle. Sa présence pourra également venir en aide aux catholiques philippins qui souffrent de ce nouveau type de persécution ». Selon Johannes Frieherr Heereman, président exécutif de la structure internationale de l’AED, « beaucoup de personnes ne savent pas que l’Eglise elle-même, spécialement dans les pays pauvres, a souvent besoin d’une aide d’urgence ».
Avec l’ouverture de ce bureau, l’AED a annoncé que les Philippines devenaient un pays-partenaire afin d’aider les chrétiens « persécutés par la violence ou victimes de terrorisme » à travers le monde. « Avec la présence de l’AED aux Philippines, nous sommes non seulement une Eglise qui reçoit, mais nous devenons aussi une Eglise qui donne aux chrétiens qui souffrent », a souligné le prélat. Le Bureau de l’AED aux Philippines est le deuxième « Bureau national » ouvert en Asie en l’espace d’un an, après celui de la Corée du Sud, en novembre 2015, par cette association catholique qui a le statut de fondation pontificale.
Source : Eglises d’Asie