Quand l’euthanasie devient l’espérance du vieux
« Souffrance » : voici le mot qui pourrait facilement résumer la crise dans les Ehpad, les maisons de retraite médicalisées. Alors que la population de notre pays est vieillissante et que les personnes âgées sont de plus en plus délaissées par leur famille, le mouvement dans les Ehpad a mobilisé mardi près de 32 % des personnels, selon les chiffres officiels.
Une révolte qui gronde depuis bien longtemps déjà. En effet, la situation dans les maisons de retraite est préoccupante depuis longtemps. Soignants débordés, patients délaissés… tout le monde est perdant dans cette équation qui ne semble pas émouvoir les gouvernements successifs.
En France, près de 730 000 personnes âgées sont réparties dans 6880 Ehpad.
Ces dernières années, les nouveaux patients arrivent de plus en plus en dépendants. Un tiers des personnes de plus de 90 ans sont hébergées dans ces établissements en France tandis que l’âge moyen de rentrée dans ces collectivités est de 85 ans. Cinq résidents sur six bénéficient de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), non soumise à condition de revenus, et plus d’un sur six de l’aide sociale à l’hébergement (ASH). Plus d’un sur cinq est touché par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée.
Au niveau national, on compte en moyenne un Ehpad pour 791 personnes de plus de 75 ans. Sur l’ensemble des 6 884 Ehpad recensés en 2016, 2 942 sont gérés par le public, 1 749 par du privé commercial, et 2 193 par du privé non lucratif (congrégations religieuses, mutuelles ou associations laïques),
Problème principal : les sous-effectifs. Alors que dans les pays nordiques, on compte un soignant pour un résident, en France, on peine à atteindre le chiffre de 0,57. Pourtant, le plan santé “grand âge” mis en place durant le quinquennat Hollande préconisait 0,65 soignant par pensionnaire, et 1 par patient pour les cas de grande dépendance. Des promesses qui n’ont donc jamais été tenues… et dont les conséquences sont dramatiques.
Au delà de la surcharge de travail pour les personnels en poste, dont les accidents du travail dépassent ceux des métiers du BTP, et le taux d’absentéisme approche les 10%, les conditions de travail ont des conséquences directes sur les patients. Le manque de temps pour chacun engendre un laisser-aller grandissant. Certains parlent même de maltraitance institutionnelle.
Les rythmes intenables imposés entrainent directement des négligences à l’égard des patients. Parfois, le moment de la toilette est expéditif, voire même supprimé plusieurs fois par semaine. Ce que les aides soignantes apprennent à faire en 40 minutes est finalement réalisé en une dizaine de minutes, appliquant leur strict minimum résumé en trois lettres TMC, pour tête main cul. Voilà donc le sort réservé à nos anciens.
Les patients restent parfois plus d’une semaine avec les mêmes vêtements. Un traitement à l’impact psychologique fort. Pour plus de praticité, les repas sont parfois mixés pour tout le monde alors même que la préconisation ne concerne que quelques pensionnaires qui risquent les fausses routes. Si la qualité gustative est directement mise à mal, la nourriture mixée pour tout le monde a un bon côté : elle s’avale plus vite. Voilà à quoi en sont réduits les personnels. Gaver les personnes âgées pour que tout le monde ait sa ration de bouillie.
Les résidents sont ainsi transformés en petit être dépendant qui subit le traitement qu’on a le temps de lui faire subir. Sacrée énigme du sphinx.
Parfois, les patients sont carrément brutalisés, soit par négligence, soit volontairement. Car les personnes âgées handicapées sont souvent difficiles à déplacer, et les rhumatismes n’arrangent rien. Mais les précautions pour les manipuler sont longues et passent bien souvent à la trappe. C’est aussi un élément qui pousse les soignants à laisser les patients couchés toute la journée, quitte à provoquer des escarres.
Et la fin des contrats aidés n’auraient visiblement pas aidés.
Et la situation pourrait bien encore s’aggraver avec la réforme tarifaire qui veut aligner les tarifs du privé avec le public. Bien sûr, Agnès Buzyn a assuré que la réforme ne ferait aucun perdant et qu’il n’y aurait pas de réduction de postes. Une enveloppe de 50 millions pour les établissements publics en difficulté a même été annoncée la semaine dernière, une broutille pour les personnels de santé.
Mais pour Pascal Champvert, le président de l’association des directeurs au service des personnes âgées, la vraie question réside dans l’aide à l’autonomie. Il évoque même une taxe sur les successions tout particulièrement réservée au financement de l’autonomie. En effet, le maintien des personnes âgées à domicile est trop souvent abandonné pour des raisons de praticité… Les jeunes générations, moins disposées à prendre soin de leurs anciens, préfèrent souvent déléguer à des établissements spécialisés, au détriment des personnes âgées elles-mêmes.
Ultime facteur d’inquiétude : d’ici à 2060, un citoyen sur trois aura plus de 60 ans… Une projection qui devrait inciter les pouvoirs politiques à s’emparer sérieusement du sujet.