Le 6 février dernier, l’Assemblée nationale, chambre basse du Parlement, a voté une loi visant à interdire les discours de haine, les attaques sectaires et les mariages forcés de jeunes filles issues des minorités religieuses. Des responsables chrétiens, s’ils saluent le vote de la loi, s’interrogent cependant sur la portée et l’efficacité réelle que pourra avoir un tel texte dans un contexte de violences au quotidien qui va crescendo.
Selon les « motifs » exposés dans le projet de loi, « le terrorisme, le sectarisme et l’extrémisme sont répandus dans le pays tout entier et motivent quotidiennement des actes de violence ; le pays traverse une phase de son existence extraordinaire qui appelle des mesures fortes à même de contenir la menace qui a infiltré la société ».
« Lutter contre des maux sociaux profondément enracinés »
Désormais, aux termes de la loi baptisée « Criminal Laws (Amendment) Act 2016 », le crime qui consiste « à user de manière délibérée de mots visant à heurter les sentiments religieux d’une personne » sera puni de un à trois ans de prison et d’une amende pouvant atteindre 500.000 roupies (4.500 euros). Le texte de loi détaille les peines encourues pour avoir recours « à des haut-parleurs ou à tout autre équipement d’amplification du son » pour inciter à la haine sur une base religieuse ou ethnique. Le texte donne également des pouvoirs supplémentaires à la police pour prévenir la diffusion de discours de haine ou de supports écrits par une personne physique ou une organisation. Les fonctionnaires qui se rendront coupables de « négligence dans l’application de la loi » se verront exposés à des peines allant de la suspension de traitement durant trois mois à trois ans de prison ferme et 100.000 roupies d’amende. Concernant le mariage forcé de jeunes filles issues des minorités religieuses, les peines déjà existantes sont fortement durcies et passent à un maximum de dix ans de prison ferme et un million de roupies d’amende.
Selon Zahid Hamid, ministre fédéral de la Loi et des Droits de l’homme, « les peines désormais inscrites dans la loi ont été durcies afin de débarrasser définitivement le pays des maux sociaux qui n’ont fait que grandir faute d’être suffisamment sanctionnés ». La loi, votée par l’Assemblée nationale, doit toutefois passer par l’ensemble du processus législatif et être signée par le président de la République islamique du Pakistan, avant de pouvoir être appliquée.
Des responsables chrétiens dubitatifs
Depuis le Royaume-Uni, Wilson Chowdhry préside la British Pakistani Christian Association, qui regroupe des chrétiens pakistanais émigrés en Angleterre. Selon lui, cette nouvelle loi n’apportera pas de « réels changements » à la situation des minorités religieuses du Pakistan. « Il existe déjà tout un arsenal juridique pour lutter contre les violences, notamment les violences mises en œuvre par des foules dans la rue, mais le problème est que ces lois sont rarement mises en œuvre, et lorsqu’elles le sont, les témoins sont intimidés et ne se présentent pas devant les juges », explique Wilson Chowdhry au Christian Post.
A l’appui de son propos, le président de la British Pakistani Christian Association cite le verdict d’acquittement en faveur des 115 suspects mis en examen après les violences commises, en mars 2013, à l’encontre du quartier chrétien de la Joseph Colony de Lahore, prononcé ce 28 janvier par un tribunal anti-terroriste de Lahore. On se souvient que, le 8 mars 2013, une foule de plusieurs milliers de musulmans avait attaqué ce quartier chrétien aux allures de bidonville après qu’une rumeur avait fait état d’un supposé blasphème proféré par un chrétien du lieu ; 150 maisons, des commerces et une église avaient été incendiés. « Le cœur du problème réside dans l’application de la loi, ainsi que dans l’inaction fréquente d’une police où la corruption est largement répandue et qui perçoit avec animosité les chrétiens comme une communauté ‘rituellement impure’ », dénonce encore Wilson Chowdhry.
Pour d’autres chrétiens, la nouvelle loi, pour autant qu’elle entre en application, constitue toutefois « un changement positif ». C’est l’avis de Samuel Pyara, président de Bright Future Society, une association chrétienne de Lahore, pour qui « ces mesures sont cruciales pour sauver notre pays ». « Le lynchage comme manière de se faire justice soi-même est devenu un mode ‘normal’ de fonctionnement de notre société. Il était donc grandement nécessaire de punir de tels agissements et nous apprécions l’action du gouvernement pour cela », souligne-t-il.
Une activité législative intéressée
Concernant le volet de la nouvelle loi relatif aux mariages forcés de jeunes filles, le texte va plus loin que la loi votée en novembre dernier par l’Assemblée législative de la province du Sind. Cette loi prévoyait cinq ans d’emprisonnement pour toute personne reconnue coupable d’avoir contraint un mineur à changer de religion. Désormais, la peine encourue est de dix ans. Selon les rapports de différentes ONG pakistanaises, le rapt de jeunes filles, voire de fillettes chrétiennes ou hindoues pour les marier de force à des hommes musulmans et déclarer par le fait même qu’elles sont devenues musulmanes est un fléau. Chaque année, un millier de cas en moyenne sont rapportés (700 chrétiennes et 300 hindoues environ en 2014, selon l’ONG Movement for Solidarity and Peace in Pakistan) et ces chiffres seraient en réalité inférieurs à la réalité. Selon la Fondation Aurat, qui défend la condition féminine au Pakistan, les mariages forcées ne visent pas que les jeunes filles ; cette pratique est aussi utilisée par des groupes de musulmans pour exercer une contrainte permanente sur des familles ou des communautés non musulmanes. Les médias pakistanais se font d’ailleurs souvent l’écho de telles histoires dramatique. En août dernier, au Pendjab, un père de famille chrétien a ainsi été grièvement blessé par balles alors qu’il cherchait à récupérer sa fille, handicapée, enlevée pour être contrainte à un mariage forcé et à une conversion à l’islam.
Pour Sohail Ahmad Raza, directeur de l’ONG Interfaith Relations Minhaj ul Quran International (MQI), une association islamique promouvant un renouveau des études islamiques, « les enlèvements et les mariages forcés sont moralement, légalement, socialement des abominations. Le mariage forcé n’est pas permis par la charia et n’est que le fruit de l’analphabétisme ».
Selon certains observateurs locaux, le vote de cette loi le 6 février s’inscrit dans un contexte politique qui voit l’actuel Premier ministre, Nawaz Sharif, faire le pari de la mobilisation autour de lui et de son parti, la Ligue musulmane du Pakistan (N) – « N » pour Nawaz –, de l’électorat urbain et jeune. A un an des élections générales, le Premier ministre estime qu’il a toutes ses chances de conserver le pouvoir si les électeurs jeunes, libéraux et issus des minorités votent pour lui.
Source : Eglises d’Asie