Dans l’embrouillamini actuel, il est difficile de savoir aujourd’hui tout autant ce qu’est la politique, que quels en sont les acteurs ! Il est de bon ton de faire une stérile distinction entre société civile et société politique alors que la politique est par nature l’expression d’une société civile. C’est du reste le même mot civis, polis, cité, civisme, citoyen, constitutions (Politeia en grec puisque tout le monde se targue de savoir ce qui se faisait à l’époque). Voilà le registre sémantique commun à ce qu’il est de bon ton, aujourd’hui, d’opposer ! La politique est l’affaire de la société civile précisément parce qu’elle en est l’expression ! L’expression par les décisions ou les élections d’une part, mais aussi l’expression comme reflet d’une conception et de clivages sociaux.
La politique est l’affaire de la société civile précisément parce qu’elle en est l’expression.
En fait nous amalgamons politique et gouvernement parce qu’à la différence des démocraties antiques que nous croyons prendre pour modèle, nous ne sommes pas une démocratie participative directe mais représentative. Au lieu de nous occuper nous-mêmes de la politique nous déléguons à des « professionnels » ! Les anciens n’ont du reste jamais fait autre chose. Mais les » professionnels » de la politique (entendons de l’exercice du pouvoir) étaient ceux qui en avaient financièrement les moyens. Même dans la démocratique de Rome, les magistrats étaient les nantis. Même dans l’exemplaire Athènes, les stratèges étaient les riches et le menu peuple était défrayé pour participer aux Assemblées. La politique qui regarde tout le monde n’est de fait pas accessible à tout le monde dans son exercice du pouvoir, car cela prend du temps !
Au lieu de nous occuper nous-mêmes de la politique nous déléguons à des « professionnels ».
La politique recouvre en effet deux termes : la souveraineté et le pouvoir. La souveraineté dit-on appartient au peuple qui vote, et le pouvoir aux magistrats élus pour représenter, non pas la souveraineté du peuple, mais l’Etat, c’est à dire le gouvernement. En effet, il y a identification entre l’Etat et le gouvernement et non entre l’Etat et le peuple. Car le peuple, même en démocratie, est soumis à l’Etat. La différence avec d’autres systèmes politiques est que le peuple est sensé contrôler ses représentants et à loisir changer les lois selon le critère de la majorité ! Ainsi, réellement, le gouvernement appartient non au peuple mais à la majorité qui impose, de façon toute aussi tyrannique que n’importe quel dictateur, sa vision des lois ! La démocratie par essence est un rapport de forces donc une crise permanente entre citoyens. Thucydide et Xénophon le dénonçaient déjà en leur temps.
La démocratie par essence est un rapport de forces donc une crise permanente entre citoyens.
La vraie question politique est donc celle de la souveraineté ! Non pas qui détient le pouvoir mais qui détient la légitimité de la loi. Il faut cesser d’opposer société civile et politique. Ce débat n’est qu’un contrefeu qui masque la question fondamentale de la légitimité de la souveraineté : qui est souverain ? Le peuple ? L’Etat ? Ou la loi ?
Indiscutablement, de nos jours, comme en Grèce classique, c’est la Loi ! D’ailleurs aujourd’hui une décision est prise « au nom de la loi ». Celle-ci a donc un pouvoir absolu. Aussi, qui contrôle les lois détient un pouvoir absolu ! C’est alors la loi qu’il faut renforcer et sécuriser pour éviter qu’elle soit soumise à une majorité. Aussi se pose une question essentielle, quels sont les fondements de la loi ? A cette question chaque société répondra différemment. Cependant, toutes diront que la loi doit être juste ou bonne. Mais qui aujourd’hui peut dire ce qui est juste ou bon ? Peu importe le système politique au fond, s’il garantit une loi effectivement juste ou bonne ! Isocrate, le démocrate n’en disait pas moins en formant le jeune roi Nicoclès.
Aussi se pose une question essentielle, quels sont les fondements de la loi ?
Tout le problème politique actuel se résume à cela ! Toute innovation ou réforme politique doit d’abord répondre à cela. Quelle est la source du droit ? Et toute proposition politique doit annoncer clairement sa réponse ! Car de la réponse à cette question ne dépend pas seulement un système politique, c’est un enjeu de civilisation ! Est-ce à une majorité de définir le bien ?
Faire l’impasse sur cette question, telle est l’aporie de tout notre système. Ne pas l’affronter ne pas en faire un clivage fort est l’erreur, je pense, de ceux-là même qui veulent défendre une loi bonne, parce que, ce faisant, ils s’enfoncent, comme les autres, dans la dialectique politique actuelle ! Il faut à la loi un souverain et ce souverain, en toute justice ne peut être que le bien réel (et non virtuel) de l’Homme. Ne nous y trompons pas, tant que nous ne ferons pas une active promotion d’une anthropologie authentique, nous ne ferons que donner des coups d’épée dans l’eau et l’Homme n’ira pas mieux !