Après la crèche des Pères de l’Eglise, l‘importance du recensement dans le récit de la nativité, l’invitation à fêter Noël de Grégoire de Naziance, et en attendant les Mages, nous poursuivons notre exploration du mystère de Noël avec les Pères de l’Eglise, par une contemplation de l’enfant dans la mangeoire. Françoise Thelamon, professeur émérite d’histoire de l’antiquité est spécialiste des premiers siècles du christianisme et particulièrement de Ruffin d’Aquilée.
L’enfant dans la mangeoire
Avec les Pères contemplons « l’enfant dans la mangeoire » et retrouvons ces valeurs symboliques qu’ils donnent à tout ce qui l’entoure.
L’enfant dans la mangeoire, pain du ciel, nourriture des croyants, aliment spirituel des âmes
Selon Chromace : « Que notre Seigneur et Sauveur ait été couché dans une crèche, cela signifiait qu’il devait être la nourriture des croyants ». Car le praesepium est l’endroit où les animaux viennent ensemble prendre leur nourriture, et « animaux doués de raison, nous avons une crèche céleste près de laquelle nous nous réunissons ; notre crèche c’est l’autel autour duquel nous nous réunissons chaque jour pour y prendre le corps du Christ, aliment de notre salut » (Sermon 32, 3), mystère de l’Église corps eucharistique du Christ. Notons que, notamment sur des sarcophages du IVe siècle, la mangeoire est parfois représentée comme un autel ; plus tard, certains peintres ont évoqué l’eucharistie, dans les scènes de Nativité, par la présence discrète d’un pain et d’une carafe de vin.
C’est Origène qui a inauguré la tradition de la présence du bœuf et de l’âne à la crèche et cité le verset d’Isaïe maintes fois commenté par la suite : « Le bœuf a reconnu son propriétaire et l’âne la crèche de son maître » (Is 1, 3) ; leur présence n’est certes pas insolite dans une étable mais elle est symbolique, et ils furent ensuite très souvent représentés au plus près de l’enfant. Origène, voyant dans le bœuf un animal pur figure d’Israël, et dans l’âne un animal impur, explique : « Ce n’est pas le peuple d’Israël qui a reconnu la crèche de son maître, mais un animal impur venant de chez les païens » (Hom XIII, 7).
Et Ambroise citant le même verset évoque les mugissements du bœuf mais surtout la clairvoyance de l’âne, qui chez lui devient une ânesse en référence à l’ânesse de Balaam : « L’ânesse spirituelle n’a pas été nourrie de feintes délices, mais d’un aliment de nature substantielle, par la sainte mangeoire. Voilà le Seigneur, voilà la crèche par laquelle nous fut révélé ce divin mystère : que les Gentils, vivant à la manière des bêtes sans raison dans les étables, seraient rassasiés par l’abondance de l’aliment sacré. Donc l’ânesse, image et modèle des Gentils, a reconnu la crèche de son Seigneur. Aussi dit-elle : “Le Seigneur me nourrit, et rien ne me manquera” (Ps 22, 11) » (In Luc. II, 43).
Un enfant enveloppé de langes
C’est le signe annoncé aux bergers. Ce détail fourni par l’évangéliste pourrait paraître banal ; il peut aussi avoir plusieurs sens symboliques que Chromace explicite.
« Il est enveloppé de langes parce qu’il a pris sur nous nos péchés, comme des langes, ainsi qu’il est écrit : “Il porte nos péchés et souffre à notre place” (Is 53, 4). Il a donc été enveloppé de langes pour nous dépouiller des langes de nos péchés ».
Ambroise, par une allusion implicite aux linges entourant le défunt, met en lumière la valeur salvifique des langes : « Il est, lui, enveloppé de langes pour que vous soyez, vous, dégagés des liens de la mort […] Qu’il soit dans les langes, vous le voyez ; mais vous ne voyez pas qu’il est dans les cieux ».
Les langes figurent aussi la tunique du Christ, c’est-à-dire l’Église, ajoute encore Chromace : « Il a été enveloppé de langes afin de tisser par le Saint-Esprit la précieuse tunique de l’Église ; on peut dire aussi qu’il a été enveloppé de langes afin d’appeler les différents peuples qui croient en lui. Car nous sommes venus à la foi de différentes nations, et nous entourons le Christ comme des langes, nous qui jadis fûmes des langes, et qui désormais sommes devenus la précieuse tunique du Christ ». Or dans un autre sermon, Chromace applique à Jésus « le sens mystique et allégorique » de la tunique précieuse de diverses couleurs du jeune Joseph, fils de Jacob, figure du Christ : « Nous savons que notre Seigneur et Sauveur, lui aussi, porte une tunique de diverses couleurs ; son vêtement c’est en effet l’Église qui est rassemblée de diverses nations » (Sermon 24, 3). Précieuse tunique « le vêtement du Seigneur, l’Église du Christ », mais tunique sans couture, unitatis sacramentum symbole de l’unité de l’Église, cette tunique qui ne saurait être déchirée « manifeste la concorde qui tient uni le peuple que nous formons » (Cyprien, L’unité de l’Église, 7, 1 ; 13, 6).
De l’Incarnation à la Rédemption tout prend sens
La finalité salvifique de l’Incarnation est fortement soulignée par Ambroise : « Il est venu prendre sur lui les péchés du monde moribond pour abolir la souillure du péché et la mort de tous en lui-même […] et l’évangéliste saint Luc nous montre les voies du Seigneur qui grandit selon la chair […] Il a donc été petit, Il a été enfant, pour que vous puissiez, vous, être homme achevé ; Il est, lui, enveloppé de langes, pour que vous puissiez, vous, être délivrés des liens de la mort […] Il a préféré pour Lui l’indigence, afin d’être prodigue pour tous. C’est moi que purifient ces pleurs de son enfance vagissante, ce sont mes fautes qu’ont lavées ces larmes ». Il ne faut donc pas s’en tenir aux apparences : « Que personne n’emprisonne dans les usages du corps toute la condition de la divinité […] Ne calculez pas ce que vous voyez, mais reconnaissez que vous êtes racheté […] Il sort du sein maternel, mais il resplendit dans le ciel ; Il est couché dans une auberge d’ici-bas, mais baigné d’une lumière céleste. Une épouse l’a enfanté, mais une vierge l’a conçu ; une épouse l’a conçu, mais une vierge l’a enfanté » (In Luc. II, 42-43).
Notre photo, sarcophage de la basilique de Saint- Maximin (Provence)