Voici la suite de notre article en trois parties de Fabrice Hadjaj sur chasteté et virilité.
Retrouvez la première partie ici.
- La chasteté est une vertu, mais la rapporter à ce nom générique est ajouter à un mot désuet à un autre mot désuet, voire risible. Paul Valéry observait en 1934, lors d’une séance de l’Académie Française : « Ce mot est mort, ou, du moins, il se meurt. Vertu ne se dit plus qu’à peine. Aux esprits d’aujourd’hui, il ne vient plus s’offrir de soi, comme une expression spontanée de la pensée d’une réalité actuelle. » Quel mot l’a remplacé ? Celui de Valeur (d’une valeur qui n’est pas la vertu de courage – celle du chevalier valeureux – mais le produit d’une évaluation en vue d’un échange). Telle est la notion qui envahit désormais la morale et tend à nous la représenter comme un ensemble de règles générales qui s’imposent à l’individu depuis l’extérieur. De ce point de vue, celui de la valeur, la chasteté apparaît comme une norme religieuse ou sociale qui réprime la sexualité pour l’ordonner vers autre chose, un bien supérieur, comme on passerait la bride à un cheval sauvage pour le conduire chez le boucher qui vous en tirera une viande savoureuse.
La vertu n’a pas ce sens, ni chez Aristote ni chez Thomas d’Aquin. Souvent, pour la définir, on reprend les termes de Cicéron : « La vertu est une disposition habituelle de l’âme qui la met en accord, comme naturellement, avec la raison. » Ces éléments, pour être exacts, ne permettent pas assez de distinguer la vertu de la valeur et laissent en suspens quelques questions décisives : Est-ce que cet accord avec la raison s’oppose à un accord avec le corps ? Comment s’acquiert-il ? Et quelle est la finalité de cette conformité rationnelle ?
À la différence de la valeur, la vertu n’est pas de l’ordre de l’énoncé abstrait. Elle s’incarne, ou mieux, elle assume le dynamisme propre de la chair : « Tout ce qui est contraire à l’ordre naturel est vicieux[1] », écrit Thomas, et le premier péché qu’il oppose à la tempérance n’est pas la débauche – c’est l’insensibilité. Aussi la chasteté assume-t-elle la nature humaine de pied en cap, en chair, en os et en esprit, et, comme il est dans cette nature d’être soit d’un homme soit d’une femme, elle vient d’abord confirmer chacun dans son sexe, c’est-à-dire, par là même, son ordination à l’autre sexe. Si la vertu est bien « perfection de la puissance d’agir », la chasteté est la perfection même de la sexuation et de la sexualité. Si bien que l’on doit en conclure qu’une femme chaste est d’autant plus féminine, et qu’un homme chaste est d’autant plus masculin. Là où la chasteté comme valeur tend à une abstraite et angélique neutralisation, la chasteté comme vertu renforce le concret de la différence sexuelle.
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