En l’an 1000, le monde s’était revêtu « d’un blanc manteau d’églises » (Raoul Glaber). Vers l’an 2000, l’Église de France s’est revêtue d’un noir nuage d’Équipes d’Animation Pastorale (ÉAP). Chaque époque à sa poésie… Ces ÉAP préparent la prise en charge progressive des paroisses par des groupes de laïcs, dans un contexte d’extinction du clergé. Or voici qu’une « charte », récemment octroyée par l’évêque de Cahors, vient de poser un nouveau jalon dans ce processus de sécularisation.
Les ÉAP et l’exercice de la charge curiale
Le Code de Droit canonique traite seulement du « conseil pastoral » de la paroisse, éventuellement prévu par l’évêque mais purement consultatif (canon 536), et du « conseil pour les affaires économiques », obligatoire mais qui dépend largement de l’administration diocésaine (canon 537). Mais, depuis au moins une trentaine d’années, ont pointé en France des groupes de laïcs plus actifs dans la direction de la paroisse. Leur existence prenait théoriquement appui sur le canon 519, qui dit de manière très vague que le curé exerce sa charge « avec l’aide apportée par des laïcs », operam conferentibus laicis. En réalité, les ÉAP ont émergé du canon 517 § 2, innovation explosive du Code 1983, qui a toujours beaucoup inquiété les canonistes les plus sérieux, et qui prévoit qu’en raison de la pénurie de prêtres, l’évêque peut confier « une participation à l’exercice la charge pastorale d’une paroisse », participationem in exercitio curæ pastoralis, à un diacre, à une autre personne non prêtre, ou à une communauté de personnes, cependant qu’un prêtre – résidant généralement non loin de la paroisse – est nommé modérateur de la paroisse avec pouvoirs et facultés de curé. Une communauté de laïcs peut donc ainsi avoir une participation à l’exercice de la charge pastorale d’une paroisse, communauté qu’on a pris l’habitude de qualifier d’Équipe d’Animation Pastorale.
Le diocèse d’Agen connaitrait une application maximale du canon 517 § 2, par Mgr Herbreteau, stylé par son très actif chancelier, le diacre Morin : était créée une ÉAP, dirigée par un laïc « responsable de la paroisse », le prêtre voisin n’étant plus qu’« accompagnateur ».
Vers des paroisses sans prêtre
Mais voilà que cette création institutionnelle du canon 517 § 2, de fait hautement idéologique – visant le brouillage des frontières entre prêtres et laïcs – a commencé à s’étendre aussi aux paroisses ou aux ensembles paroissiaux encore pourvus d’un curé. En 1996, à la fin de l’épiscopat de Mgr Colini, à Toulouse, on discuta âprement d’un projet de mise en ÉAP de toutes les paroisses du diocèse. Et de diocèse en diocèse, l’éapisme a gagné du terrain. Il s’est consolidé, contre toute légalité. Symptomatiquement, le site de la Conférence des évêques a définit l’ÉAP comme « une équipe de chrétiens qui collaborent à l’exercice de la charge pastorale du curé ou d’un prêtre modérateur ». La collaboration vague et générale du canon 519 se mariait ainsi directement avec l’exercice de la charge pastorale du canon 517 § 2. Du coup, les ÉAP, toutes les ÉAP, avec ou sans curé de paroisse, acquéraient ni plus ni moins qu’une participation au pouvoir décisionnel du curé, une quasi-juridiction.
Dans le diocèse de Sens-Auxerre, le modéré Mgr Giraud, ayant réduit à 32 le nombre de ses paroisses, a décrété, le 1er mai 2016, que chacune devait être dotée d’un ÉAP, dont les membres seraient nommés par le curé pour un mandat de 3 ans, renouvelable deux fois. Les éapistes (souvent choisis dans le troisième âge) devaient « normalement avoir moins de 75 ans », âge de la retraite des prêtres. La définition de l’ÉAP sénonaise reste cependant modérée, comme l’évêque, légèrement en-deçà de la définition de la CEF : « Elle collabore avec le pasteur propre ».
En revanche, dans le diocèse de Cahors, le classique Mgr Camiade qui, le 9 décembre 2017, a octroyé une « Charte des paroisses » amplifiant la force de cette institution qu’il faut bien qualifier de révolutionnaire. Toute ÉAP « participe à l’exercice de la charge pastorale dont le curé (ou le “prêtre modérateur”) est le pasteur propre ». Ainsi, dans le diocèse de Cahors, c’est désormais à toutes les paroisses, avec ou sans curé, que peut s’appliquer, s’il y a une ÉAP, la grille du canon 517 § 2. Coup de force canonique, que l’évêque souligne : « s’il y a une ÉAP, le conseil pastoral n’a pas besoin de se réunir souvent » ; « en cas de changement de curé, il est souhaitable que l’ÉAP prolonge au moins d’une année sa mission ». Et surtout : « l’ÉAP est un exécutif ». Certes, quand il y a un curé, il la préside, mais on espère qu’en cas de partage égal, il aura voix prépondérante…
En annexe de la Charte, est institué un rituel d’envoi en mission de l’ÉAP. Le curé remet à chaque éapiste un cierge allumé au cierge pascal. La matière de l’intronisation est une imposition générale des mains par le curé sur les éapistes, cependant qu’il prononce une sorte de prière consécratoire au sein de laquelle les théologiens distingueront sans doute la forme dans ces mots : « Répands en leurs cœurs ton Esprit Saint pour qu’ils animent la vie des communautés qui constituent la paroisse » (à comparer avec la parole de consécration des évêques : “Répans sur celui que tu as choisi la force qui vient de toi, l’Esprit, etc”).
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Il ne paraît pas exagéré de prédire que bien des évêques français auront bientôt à leur disposition si peu de prêtres qu’ils règneront sur des diocèses divisés en une vingtaine de paroisses éapisées et sans curés. Un reste de vie sacramentelle – mariages, enterrements, ADAP – sera pris en charge par des laïcs, des diacres mariés baptiseront et une poignée de prêtres modérateurs sillonneront les routes du diocèse pour consacrer des hosties et présider quelques assemblées pénitentielles.
Le drame, plus encore que dans la disparition annoncée du sacerdoce sur la terre de France, se situe dans le fait que bien des épiscopes, en soi non progressistes, considèrent cette situation comme inéluctable et qu’ils ont une vocation de syndics de faillite. On peut d’ailleurs se demander si, dans une population catholique vieillissante et régressante, il restera bientôt assez de laïcs aptes à devenir éapistes. Malgré tout, on rêve, ou plutôt on espère, qu’un certain nombre de pasteurs auront l’intelligence, le courage et le véritable sens missionnaire de rechercher des solutions de relèvement de l’Église et de reviviscence des vocations sacerdotales et religieuses, comme le firent jadis les évêques de la Contre-Réforme, tels saint Charles Borromée en Italie, saint François de Sales en Savoie, Alexandre Sauli en Corse, et le bienheureux Alain de Solminihac en France… à Cahors…