Les prévenus l’avaient accusé d’attouchements sur quatre enfants. L’enquête n’ayant rien trouvé, le parquet s’est retourné contre les accusateurs, condamnés mercredi à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 500 euros d’amende pour «dénonciation calomnieuse».
C’est une affaire peu banale où les dénonciateurs se retrouvent sur les bancs des prévenus. Alors qu’ils avaient accusé un prêtre d’attouchements sur quatre enfants, un couple a été condamné mercredi à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 500 euros d’amende pour «dénonciation calomnieuse» à Châlons-en-Champagne (Marne). Ils ont en outre été condamnés à verser un euro symbolique au père victime de leurs dénonciations.
L’histoire débute en mars dernier. Deux septuagénaires, Marie-Jeanne et Jean-Louis Martin, décident d’avertir la justice et les autorités ecclésiastiques du comportement supposé déviant d’un homme d’Église. «Les Martin ont été alertés par le récit de leurs petits-enfants, âgés de 14 et 16 ans», explique leur avocat, Me Jean Chevais. Les adolescents, qui séjournaient chez leurs grands-parents, ont été abordés par le curé, qui les a pris en photo devant un tableau situé dans une petite chapelle. Puis le prêtre aurait proposé au plus jeune de venir réparer son vélo le lendemain. «Mes clients ont pris peur, ayant entendu plein d’histoires sur ce prêtre, explique le conseil du couple. Ils ont décidé d’écrire à l’évêque pour signaler les faits.»
Le prêtre mis à l’écart
Le couple ne se limite pas au prélat. On compte au total une dizaine de récipiendaires à leur missive. Parmi eux, le procureur de Châlons et la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie de la conférence des évêques de France. On compte aussi des associations, telles que «Paroles de victimes», ou encore «La Parole libérée», très impliquée sur la question de la pédophilie. Outre les approches sur leurs petits-enfants, les septuagénaires évoquent le cas d’autres petits garçons qui auraient été abusés par le même homme, selon des confessions qui leur auraient été faites par des parents du village.
Il était alors responsable du Foyer de Charité de Baye (Marne),
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Les accusations portées sont d’autant plus graves, que le contexte actuel est à la tolérance zéro face aux abus sexuels dans l’Église. Le prêtre mis en cause n’est pas tout à fait comme les autres. Il dirige le Foyer de charité, situé sur la commune de Baye, dans la Marne, branche locale d’une institution implantée dans 76 lieux à travers le monde. Sa vocation est d’accueillir chaque année des groupes souhaitant effectuer des retraites spirituelles. L’évêque de Châlons, Mgr François Touvet, décide de ne pas prendre de risque: il éloigne le curé incriminé «dans un lieu retiré», loin du diocèse et, surtout, loin des jeunes. Le tout «en complète transparence», avec le parquet, informé de l’adresse du père pendant le temps de l’enquête. Toujours par transparence, l’évêque décide de rendre publique cette mise à l’écart, et livre dans le même temps le nom du prêtre au grand public.
Un litige immobilier?
Les investigations menées ne vont pourtant rien donner. Le prêtre est mis totalement hors de cause par la vingtaine de témoins entendus. La principale victime affirme n’avoir jamais été abusée. Quant aux parents qui auraient informé le couple des abus sur leurs enfants, ils nient s’être ainsi jamais confiés.
Peu à peu, derrière l’accusation initiale, se dessine une tout autre histoire. «On pourrait bien trouver un conflit entre le prêtre et le couple, confie une source proche du dossier. Ces derniers, catholiques pratiquants, sont suffisamment proches du Foyer pour avoir obtenu la possibilité de loger dans une de ses dépendances, pour un loyer modique, en l’échange de quelques travaux. Au fil du temps, le couple aurait trouvé que la situation ne lui convenait plus et la situation a dégénéré en litige classique entre un bailleur, le prêtre, et ses locataires, les Martin. Jusqu’à la lettre de dénonciation: on connaissait l’accusation de pédophilie à l’encontre des pères lors des séparations de couple, on l’a maintenant contre les prêtres en cas de conflit avec eux.» Une explication qui fait bondir l’avocat des accusateurs: «Ils ont été exploités! On leur demandait un travail à plein temps qui n’était au final pas payé. Cette histoire a été montée par l’Église pour noyer le poisson!»
Ce n’est pas l’avis du parquet, qui a finalement décidé d’engager de poursuivre le couple accusateur. «Il est rare de voir les affaires de calomnie aller jusqu’à leur terme, confie une source judiciaire. Il n’y a en général pas assez d’éléments pour engager des poursuites et, souvent, le dossier doit être classé. Dans ce cas, l’enquête a pu montrer que tout ce qui était avancé par les accusateurs était faux. C’était une mise en cause totalement gratuite.»
Le tribunal a suivi les réquisitions du procureur de la République Éric Virbel, en les condamnant à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 500 euros d’amende. Le jugement devra être affiché en mairie pendant 2 mois à compter du 13 mars. L’avocat du couple a indiqué qu’il fera sans doute appel de la décision.
L’enquête se poursuit sur un autre prêtre
Dans sa lettre, le couple accusait également un deuxième prêtre, le père Michel Blard, décédé en 2014, qui officiait lui aussi au Foyer de charité de Baye. L’homme aurait commis des actes de nature sexuelle avec des mineurs dans les années 1960 et 1970. Si les faits sont aujourd’hui prescrits, le parquet indique qu’il est important d’établir les faits, notamment pour reconnaître le statut de victime aux éventuels enfants abusés. Mais aussi pour savoir si les autorités ecclésiastiques d’alors ont adopté le comportement qu’il fallait.
Source : Le Figaro