Les catholiques pakistanais qui viennent trouver refuge en Thaïlande sont durement confrontés aux Centres de rétention des services d’immigration thaïlandais. Deux frères pakistanais ont ainsi dû partager une cellule de la taille d’un grand salon avec une centaine d’autres hommes, un groupe de réfugiés hindous, chrétiens et musulmans originaires du Pakistan, d’Inde, du Bangladesh et du Sri Lanka. Les défenseurs des Droits de l’Homme en Thaïlande dénoncent les conditions de détention et la violation des traités internationaux. La Thaïlande n’est pas signataire de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et ignore souvent la protection du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Le pire, dans le centre de rétention des services d’immigration de Bangkok, affirme Saleem Iqbal, ce sont les maladies. « J’ai eu des fièvres et une mauvaise toux durant toute la durée de ma détention là-bas », se souvient Iqbal (le nom a été modifié), un ingénieur civil trentenaire parlant couramment anglais. Ce demandeur d’asile pakistanais, catholique, a fui son pays avec ses deux frères, craignant pour sa vie. Iqbal a passé neuf mois au centre de rétention, où beaucoup d’immigrés illégaux sont détenus par les autorités thaïlandaises. Lui-même et l’un de ses frères se rendaient à un cours d’anglais un après-midi, dans l’est de la capitale, quand ils ont été arrêtés par la police dans la rue, lors d’un contrôle aléatoire. Leur visa touristique était alors dépassé depuis longtemps. « Je ne pensais pas avoir fait quelque chose de mal, mais nous avons été arrêtés et menottés comme des criminels », soutient Iqbal.
Les frères sont arrivés en Thaïlande après avoir reçu des menaces de mort dans leur ville d’origine, Karachi, pour avoir imprimé des Bibles contenant des illustrations de patriarches bibliques. Les images ont provoqué la colère de quelques hommes musulmans qui ont accusé les chrétiens de blasphème contre l’islam en ayant représenté des patriarches et des prophètes tels qu’Abraham ou Moïse, qui sont également vénérés dans l’islam. « C’est une folie. Ils nous ont accusés de travailler pour Israël et les États-Unis. Ils disent que nous essayons de donner une mauvaise image de l’islam », regrette Iqbal. « Un jour, ils nous ont attaqués violemment, mais nous avons pu nous échapper. »
En Thaïlande, pays non signataire de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, les chrétiens pakistanais et autres demandeurs d’asile obtiennent rarement le statut de réfugiés. Même s’ils attendent d’être renvoyés dans un pays tiers, la plupart des demandeurs d’asile qui n’ont pas de visa valide sont jugés comme des immigrants illégaux. Peu après leur arrestation, Iqbal et son frère ont été emmenés au centre de rétention de Bangkok, l’un des 22 établissements du pays détenant les immigrés illégaux. Les frères se sont retrouvés aux côtés d’une centaine d’autres hommes, à l’étroit dans une cellule de la taille d’un grand salon. Leur cellule misérable et bondée ne contenait que deux toilettes à la turque et une cuvette, au-dessus de laquelle les détenus se douchaient à l’aide de sceaux en plastique. Il n’y avait aucune intimité.
Aux côtés d’un groupe d’hindous, de chrétiens et de musulmans originaires du Pakistan, d’Inde, du Bangladesh et du Sri Lanka, les deux frères ont passé presque tout leur temps enfermés, avec seulement deux heures accordées dans le jardin, deux fois par semaine. L’ennui et la dépression sont fréquents parmi les détenus. Comme ils n’ont rien à faire, ils passent leur temps à regarder la télévision ou à jouer aux cartes. « Le temps passe très lentement là-bas », confie Iqbal. « Se lever, manger, dormir, se lever, manger, dormir… » Depuis des années, les ONG dénoncent les conditions des détenus des centres de rétention, mais les autorités n’ont pas fait grand-chose pour améliorer la situation. Les services d’immigration thaïlandais affirment que c’est à cause d’un manque de budget et du trop grand nombre d’immigrants illégaux.
Des cellules insalubres et surpeuplées
« Je décrirais les conditions du centre comme dégradantes, insalubres et surpeuplées », explique un militant pour les droits des étrangers qui travaille avec des demandeurs d’asile, et qui visite le centre de rétention régulièrement. Actuellement, 35 chrétiens pakistanais y croupissent. Il y a presque autant de femmes ainsi qu’une douzaine d’enfants. « Tous les ans, la Thaïlande arrête aléatoirement des milliers d’enfants, y compris de très jeunes enfants, qu’ils détiennent dans des services d’immigrations sordides ou dans des cellules de police », dénonce Human Rights Watch dans un rapport. « Près d’une centaine d’enfants, venant des pays non frontaliers, peuvent être détenus durant plusieurs mois voire plusieurs années. Les milliers d’autres enfants qui sont originaires des pays voisins sont détenus moins longtemps, parce que la Thaïlande les renvoie rapidement avec leurs familles dans leurs pays d’origine. »
Des mères et leurs jeunes enfants sont fréquemment détenus ensemble, dans des petites cellules, avec d’autres groupes de femmes et d’enfants. Le centre dispose d’une garderie, bien que peu équipée, mais les enfants y ont peu accès. Les enfants, qui n’ont pas l’occasion d’étudier ou de jouer, passent le plus clair de leur temps dans ce cadre sinistre, entourés d’adultes dans des conditions surpeuplées et insalubres. Beaucoup d’entre eux sont malades enpermanence. La nuit, ils s’allongent en rangées serrées à même le sol ou sur de petites couvertures. La tuberculose et la gale sont fréquentes et se transmettent rapidement entre détenus dans ces cellules peu aérées, où l’air moite n’est remué que par quelques ventilateurs.
Quelques jours seulement après son arrivée au centre, Iqbal confie qu’il a rapidement eu des réactions allergiques sur tout le corps. « Cela me démangeait tellement que je ne pouvais pas dormir », se souvient-il. « Je ne faisais que me gratter tout au long de la nuit. » La situation était encore pire pour son frère, son aîné de quelques années : « Il a eu beaucoup de problèmes de santé. Il a une allergie à la poussière et il a souffert d’une infection des sinus. » Pourtant, les soins manquent cruellement. « La seule chose qu’ils vous donnent, c’est de l’aspirine », confie un ancien détenu. Un vieux chrétien pakistanais est mort récemment, suite à des problèmes de santé préexistants pour lesquels il n’a pu trouver de traitement adapté dans le centre.
« Certains sont là depuis dix ans »
Quant à la nourriture, c’est le même repas qui est servi trois fois par jour : du riz avec une soupe de concombre ou des pousses de bambou. « La plupart du temps, on n’y touchait pas », explique un ancien détenu. La plupart d’entre eux achètent de la nourriture venant de l’extérieur grâce à l’argent envoyé par leurs proches. Mais ces échanges ne se font pas si facilement. « Si vous vous comportez bien, les agents peuvent se montrer très aimables », assure Iqbal, qui a été libéré mais qui doit rendre compte au centre régulièrement, alors qu’il espère être renvoyé dans un pays tiers comme le Canada ou l’Australie. « Ils nous ont apporté des gâteaux pour Noël. Pas un seul agent ne m’a jamais frappé ou insulté. » Mais d’autres détenus laissaient parfois la frustration exploser jusqu’à se lancer dans des bagarres entre pour des questions d’espace ou de nourriture. « C’était un cauchemar. Je n’en pouvais vraiment plus. » Lui et son frère ont finalement pu sortir, grâce à une association catholique qui a payé une caution pour eux. Beaucoup d’autres détenus n’ont pas eu cette chance. « J’ai rencontré des détenus qui vivaient là depuis huit, neuf, voire dix ans. D’une certaine façon, le centre était devenu leur maison », ajoute Iqbal.
Paradoxalement, malgré ces conditions de détention, quelques-uns préféreraient rester là plutôt que de risquer d’être rapatriés. Et notamment ceux qui ont peur d’être emprisonnés ou assassinés dans leurs pays d’origine. Ce mois-ci, une opposante au gouvernement chinois, Wu Yuhua, a entamé une grève de la faim quand elle a senti que l’immigration thaïlandaise semblait tenter de la rapatrier en Chine avec son mari, Yang Chong. Le couple, arrêté fin août à Bangkok, a pourtant été reconnu comme bénéficiant du statut de réfugiés par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Avant de fuir la Chine en février 2015, le couple a participé à des manifestations pour la liberté d’expression à Guangzhou, dans le sud du pays. Ils ont également lancé un groupe de soutien en ligne pour Gao Zhisheng, un avocat qui a été harcelé, torturé et mis à l’écart par les autorités chinoises pour s’être attaqué aux abus des Droits de l’Homme contre les opposants politiques et les minorités religieuses. « Je suis une réfugiée innocente », soutient Wu Yuhua dans une vidéo qu’elle a enregistré au centre de rétention, afin d’expliquer sa décision de mener une grève de la faim. « Il n’y a pas d’autre moyen de s’opposer à notre détention. »
Source : Eglises d’Asie