Homélie de Monseigneur Luc Ravel, évêque de Strasbourg, pour la veillée du 13 décembre 2018, en la cathédrale de Strasbourg, en présence de représentants de différentes religions.
« Toute l’Europe vous regarde » me disait, hier soir, une journaliste italienne.
Oui, toute l’Europe a les yeux sur Strasbourg, pour pleurer, avec nous, nos morts, nos blessés et nos familles bouleversées. Toute l’Europe est sidérée par cet acte terroriste qui vise à tuer des hommes de chair pour s’attaquer à des symboles de l’esprit. Et Strasbourg, personne ne s’y trompe, cristallise une double valeur symbolique. Capitale européenne, Strasbourg est aussi capitale de Noël. Des millions de personnes se pressent ici, dans nos quartiers et sur nos marchés, et retrouvent l’éclat et la joie enfantine de Noël. Ils glanent, ici, le rayonnement d’un grand mystère, celui de la naissance de Jésus Christ, il y a vingt siècles.
Beaucoup m’ont interpellé sur ce choc inimaginable entre la douceur de Noël et la violence de l’attentat. Que répondre ?, sinon que cette percussion infernale ne doit pas nous décourager dans notre quête inlassée du bien et du beau.
D’abord, parce que cette percussion n’est pas neuve. Seule notre insouciance nous aura fait oublié qu’à l’innocence de la naissance est aussi liée la férocité des mauvais instincts. Dans la Bible, nous est rapportée la cruauté du Roi Hérode le Grand qui fait assassiner tous les petits enfants de la région. Nous appelons cette tuerie, le massacre des Innocents. En ce monde où nous aspirons à un bonheur pur et simple, il n’y a pas loin de la vie à la mort. Il n’y a pas de bien qui ne soit serré de mal. Rien qui ne soit imprégné de risque. Affrontons en face cette vérité intemporelle pour ne pas nous laisser surprendre par le mal.
Ensuite, parce que cette percussion terrible ne donne pas raison au mal. Là encore la Bible nous montre la fuite en Egypte du petit enfant avec ses parents. La source du bien échappe à l’écrasement du mal. Au final, elle fait son retour quand le mal disparait car les mauvais et leur idéologie finissent aussi par mourir. Notre défi actuel est de protéger ces petites graines de beauté et de bonté qui sont déjà-là, admirablement présentes et souvent discrètes. Je pense à ces gestes de solidarité, ces restaurants et ces commerces qui ont accueilli des centaines de personnes pour les protéger. Je pense à ces forces de sécurité et de santé, nos policiers et nos gendarmes, nos soldats et nos pompiers qui ont agi avec une générosité et une compétence admirables, bien au-delà du service minimum. Et tant d’autres gestes de vie dont on gardera la mémoire longtemps après que le souvenir des crimes se soit évanoui.
Ainsi ce message de Noël n’a pas été contredit mais confirmé par cette nuit dramatique : le mal et le bien sont présents mais, au bout, c’est le bien qui aura le dernier mot.
Le bien gagne si nous ne nous laissons pas piéger par les vieux démons. Ne nous laissons pas prendre à la tactique des vieux démons toujours présents chez nous en ce début de XXIème siècle !
Je pense à ces faits récents d’antisémitisme commis au nom d’une « foi » nazie qui tague des tombes pour bafouer les morts et les vivants. Voilà un vieux démon.
Je pense à l’instrumentalisation politicienne qui va, par cet attentat, empoisonner à nouveau la vraie question des migrants. Voilà encore un vieux démon.
Je pense à la simplification réductrice de ceux qui voient les religions comme des sources inévitables de divisions. Ils ne manqueront pas de relever le profil du tueur. Voilà encore un vieux démon.
Je pense à la manipulation de la colère sociale qui se fait jour chez nous. Le terrorisme frappe aujourd’hui une France épuisée de luttes sociales. Il peut réveiller l’esprit de division. Voilà encore un vieux démon.
Nos forces humaines ne suffisent pas en face de ces vieux démons. Il nous faut l’aide de Dieu. Ces vieux démons seront chassés par la prière et par l’unité.
Chacun selon nos traditions religieuses, prions inlassablement. La paix et la sécurité sont du lait sur le feu : elles réclament une vigilance de tous les instants.
Et, entre nous, tissons et retissons des liens de personne à personne, de communauté à communauté. Nos différences ne nous séparent pas si la bienveillance nous unit.
Aujourd’hui, dans l’Eglise catholique, nous fêtons sainte Odile, patronne de l’Alsace. Croyez bien que ce matin au Mont saint Odile, je l’ai instamment priée pour Strasbourg, pour l’Alsace et pour l’Europe.
Source : Zenit.org