Face à un gouvernement qui affiche sa volonté de renforcer l’harmonie religieuse mais qui peine à concrètement parvenir à la réconciliation nationale, des responsables religieux, bouddhistes et chrétiens, proposent de mettre sur pied des « conseils religieux », placés sous leur égide et dont le rôle serait de « promouvoir l’unité nationale et la réconciliation ».
Le 10 mars dernier, à Colombo, la Maha Bodhi Society recevait plusieurs hauts responsables religieux bouddhistes et chrétiens. Société dédiée à la propagation du bouddhisme en Asie du Sud, l’instance se veut un lieu de dialogue entre les grandes religions du monde. Le Vénérable Bellanwila Wimalarathana Nayaka Thero, moine engagé depuis de longues années dans la recherche de l’harmonie entre les communautés religieuses présentes au Sri Lanka, y a fait part d’une proposition singulière. « Ce ne sont pas les hommes politiques mais nous [responsables religieux] qui sommes proches du peuple. Il revient donc à nous, hommes de religion, d’assumer une place plus importante dans le processus de réconciliation [nationale] », a expliqué le moine, par ailleurs docteur en philosophie et chancelier de l’Université de Sri Jayawardhanapur (USJP), université réputée du pays. « Je propose de mettre en place des Conseils religieux dans les divisions [unité administrative au Sri Lanka], les districts ainsi qu’au plan national, dont la mission sera de promouvoir l’unité nationale et la réconciliation », a précisé le moine, ajoutant que s’il revenait bien à la Constitution d’organiser les conditions de l’unité politique de la nation, l’harmonie religieuse était un domaine où les responsables religieux se devaient d’agir.
Aider les populations des provinces du Nord et de l’Est
Présent autour de la table, le cardinal Malcolm Ranjith, archevêque de Colombo, représentait l’Eglise catholique. Au Sri Lanka, la population de 22 millions d’habitants est composée de bouddhistes cinghalais (70 % des Sri Lankais), d’hindous tamouls (13 %), de musulmans (10 %) et de chrétiens (7 %), et ces derniers ont la particularité d’appartenir à la fois à la majorité cinghalaise de la population et à la minorité tamoule de la population. Cinghalais lui-même, archevêque de la capitale, située en terre cinghalaise mais comptant une forte minorité tamoule, le cardinal a affirmé que les responsables religieux du pays devaient concentrer leur action sur l’aide à apporter aux populations tamoules des provinces du Nord et de l’Est, deux régions qui ont directement et profondément souffert des trois décennies de guerre civile, laquelle s’est achevée en 2009 par la défaite militaire des Tigres tamouls.
Egalement présent, Mgr Duleep de Chickera, évêque émérite de Colombo (Eglise anglicane), a souligné, pour sa part, que la paix au Sri Lanka se trouverait renforcée si le système judiciaire, notoirement corrompu et généralement perçu comme favorable aux Cinghalais, était sérieusement réformé.
Un ministre du gouvernement était présent ce 10 mars auprès des responsables religieux. Mano Ganeshan détient le portefeuille de « la coexistence nationale et des langues nationales » dans le gouvernement dirigé depuis 2015 par le Premier ministre Ranil Wickremesinghe. Il a déclaré qu’il soumettrait la proposition des responsables religieux au Premier ministre et au gouvernement.
Une communauté internationale attentive
La proposition des responsables religieux intervient au moment où le gouvernement de Colombo peine à convaincre tant la communauté internationale que la minorité tamoule de l’efficacité de son action en matière de réconciliation nationale. Le 4 février dernier, dans son discours prononcé à l’occasion de la Fête de l’indépendance, le président Maithripala Sirisena avait affirmé : « Vous savez tous que pour réaliser les objectifs [de développement économique et social], il est nécessaire d’œuvrer toujours plus à la réconciliation nationale et religieuse de ce pays. »
Au plan international, le Sri Lanka est soumis au regard attentif de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, dont la 34ème session s’achève ce 24 mars à Genève. En octobre 2015, le gouvernement de Colombo s’était engagé à mettre en place un quadruple mécanisme de réconciliation : une commission destinée à faire la lumière sur les atteintes aux droits de l’homme durant la guerre civile, un bureau pour localiser les personnes disparues, un bureau pour réparer et indemniser les victimes de la guerre, et enfin un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre, notamment ceux commis durant la dernière phase des hostilités.
Un ancien président en embuscade
Or, à ce jour, seule une loi fondant un « Bureau des personnes disparues » a été votée. Les trois autres points tardent à être concrétisés par un gouvernement de coalition qui réunit les deux principaux partis que sont l’United National Party de Ranil Wickremesinghe et le Sri Lanka Freedom Party dirigé jusqu’en 2014 par Maithripala Sirisena, mais qui semble comme paralysé face aux assauts répétés de Mahinda Rajapaksa. Au pouvoir de 2005 à janvier 2015, Mahinda Rajapaksa continue d’affirmer qu’il est faux de dire qu’un grand nombre de civils ont péri du fait de la guerre ; il se tient en embuscade pour profiter du moindre faux pas de l’équipe au pouvoir et tenter de revenir aux affaires.
La réforme en cours de la Constitution est notamment un terrain sur lequel Mahinda Rajapaksa se montre offensif. « Le but de cette nouvelle Constitution est de satisfaire la minorité tamoule dans sa revendication pour l’indépendance politique, a-t-il récemment déclaré à la presse de Colombo. Nous nous opposerons à cette nouvelle Constitution frauduleuse. (…) Nous devons préserver notre victoire [de 2009 sur les Tigres tamouls] ».
Face à cette relative paralysie du pouvoir politique, les responsables religieux s’inquiètent. Le 15 mars dernier, à l’occasion du lancement d’une initiative citoyenne visant à soutenir l’élaboration de la future Constitution, le Vénérable Dambara Amila Thero a déclaré : « Nous avons traversé trente années de guerre civile et beaucoup perdu durant ces trois décennies. Aujourd’hui, si nous voulons vraiment une réconciliation politique, sociale et religieuse, il nous faut une nouvelle Constitution. » Après la Constitution actuellement en vigueur, rédigée en 1978, il faut une loi fondamentale qui « nous permette d’abolir pleinement l’hyper-présidentialisation du pouvoir [en vigueur sous Mahinda Rajapaksa], de changer le système électoral, de donner du pouvoir aux minorités et à ceux qui sont exclus du pouvoir du fait de leur appartenance ethnique ou religieuse », a continué le moine. Une prise de position confortée par Mgr Duleep de Chickera qui, devant la même assemblée, a estimé que « les droits des minorités devront être protégés par la Constitution afin que les minorités se sentent égales en droit aux autres habitants de ce pays ». « La dévolution du pouvoir [aux provinces] est nécessaire et le pouvoir doit être partagé », a ajouté l’évêque anglican.
Source : Eglises d’Asie