Traduction par Jan Laarman d’un article de Douglas Farrow, professeur de théologie à McGill (Canada), sur The Catholic World Report :
Le Père Thomas Rosica , assistant du service de presse du Vatican pour les pays anglophones, a récemment eu ces mots étonnamment francs:
« Le pape François rompt avec les traditions catholiques quand il le veut parce qu’il est exempt d’attachements désordonnés. Notre Église est en effet entrée dans une nouvelle phase: avec l’avènement du premier pape jésuite, elle est gouvernée par un individu plutôt que par l’autorité de l’Écriture seule, ou même par l’autorité de la Tradition plus les Écritures. »
Le propos se voulait à la fois flatteur et prophétique. François est le pape qui fait voguer l’Eglise au vent de l’Esprit, sans laisser les anciennes cartes et journaux de bord dicter son cours. Il est l’homme désigné par Dieu pour faire passer l’Eglise d’un cléricalisme lointain à une nouvelle relation plus libre avec le monde moderne, pour instiller en elle une « ouverture à l’avenir », pour lancer « un appel à avancer au large ». Peu importe si, comme certains le disent, ses méthodes et ses manières rappellent celles du péronisme. Selon le Père Rosica, ceux qui osent critiquer ce chef divinement choisi doivent faire pénitence et tenir leur langue.
Eh bien, puisqu’on doit être franc, permettez-moi de dire qu’on ne peut pas trouver d’exemple plus précis « d’attachement désordonné ». Cette mission de François ne ressemble pas à celle du successeur de ce Pierre, dont le seul mandat est de confesser le Christ et de garder les sacrements de l’Évangile, paissant le troupeau et confirmant ses frères. Il est plutôt présenté comme Jésus lui-même s’est présenté – celui qui est rempli de l’Esprit avec autorité sur les Écritures et la Tradition. Et cette idée, si on la prend au sérieux, est une hérésie des plus grossières.
Ce “cléricalisme d’un seul”, si je puis dire, est une flagornerie du Père Rosica qui confond Pierre avec Christ. En outre, il reflète une confusion évidente chez François lui-même qui, en entendant cela, aurait dû déchirer ses vêtements et renvoyer Rosica. Peut-être, cependant, était-il trop préoccupé par ses propres efforts pour nous persuader d’avancer au large, « de nous ouvrir sans crainte, sans rigidité, pour être malléables à l’Esprit et pas momifiés dans les structures qui nous enferment ».
Oserais-je maintenant dire que, dans le contexte de la crise actuelle autour de l’éphébophilie, les paroles de François que je viens de citer, utilisées pour exprimer sa reconnaissance à José Tolentino Mendonça, un prêtre (maintenant évêque) qui ne s’est pas retenu de défendre la cause LGBT, prennent désormais un sens sinistre? On peut très bien imaginer ces mots utilisés pendant que l’ «Oncle Ted» McCarrick câlinait de jeunes séminaristes.
Je ne doute pas que l’esprit de François était loin de cette référence! Mais rappelez-vous qu’il s’agit du pape qui, comme ses prédécesseurs, ne s’est pas simplement trompé en nommant des hommes au caractère douteux à des postes élevés, sous la pression d’autres hommes semblables de la bureaucratie vaticane. C’est le pape qui s’est délibérément entouré de tels hommes (dont les noms, absents ici, ont été nommés par quelqu’un en mesure de les nommer). C’est le même pape qui aurait levé les légères sanctions imposées par Benoît XVI à McCarrick et qui aurait, semble-t-il, suivi les conseils de ce dernier pour procéder à des nominations épiscopales majeures. C’est toujours le même pape qui, confronté à tout cela, a dit qu’il ne répondrait pas un mot, mais qui a clairement indiqué que les critiques, aussi graves soient-elles, ne sont que des semences de division, une “meute de chiens sauvages”, qui cherchent à détruire la paix d’un homme de prière.
Le scandale McCarrick, admettons-le tous, n’est qu’un coup de vent dans l’ouragan qui entoure maintenant François et qui menace de faire chavirer à la fois son pontificat et la barque de Pierre. Si l’homme sur le pont ne répond pas, ce n’est pas parce qu’il est plongé dans la prière, comme le prétend le pape. C’est parce que le pont lui-même est maintenant rongé par les vers de la corruption sexuelle et financière. La cupidité et la convoitise, en particulier la convoitise homosexuelle, font à l’Église ce qu’elles ont fait ailleurs dans la société humaine – détruisant son sens même de l’orientation et sa capacité de distinguer la vérité de l’erreur, le bien du mal, l’innocent du coupable, la raison de la folie. Dans une telle situation, baisser la tête et écoper, écoper, écoper encore, comme le conseille Rosica, n’est pas une solution.
Alors, quelle est la solution? S’opposer au cléricalisme? Oui, et surtout ce «cléricalisme d’un seul» qui place le pape au-dessus de toute critique et de toute responsabilité. Cela ne suffira pas, mais ce sera un bon début. Car si le pape ne peut être soumis à aucune autorité terrestre, il reste soumis à l’autorité de Christ, dont il n’est nullement le seul dépositaire, ni, dans la plupart des cas, l’unique interprète.
Certains pensent que François montre des signes d’une personnalité désordonnée, comme sans doute David le pensait du roi Saül. Mais les jugements subjectifs de ce type, bien qu’ils soient plus pertinents dans un régime qui fait résider l’autorité dans la personne plutôt que dans la fonction, ne sont pas ici la question. Il est erroné de considérer François – ou tout pape – comme s’il était un roi comme Saül, un souverain absolu contre lequel il ne faudrait jamais lever la main, à part pour couper un bout de l’ourlet de son vêtement, de peur qu’on ne soit trouvé coupable de pécher contre l’Oint du Seigneur.
Le premier pape jésuite sera probablement le dernier. En tout état de cause, le modèle militaire d’obéissance voulu par Ignace de Loyola ne doit pas être transféré aux structures papales et institutionnelles de l’Église. L’espèce de modestie dont François a fait un spectacle ne devrait tromper. C’est comme s’il voulait briser ce modèle militaire par quelque chose de plus spontané, de plus charismatique, de plus franciscain (c’est-à-dire de plus laïc). C’est justement ce qui conduit à l’erreur de la personnalisation papale. De son inclinaison sur le balcon le soir de son élection à son « qui suis-je pour juger? », à son récent « faites-vous votre propre opinion », François a détourné l’attention de la juste autorité papale pour augmenter ou protéger son autorité personnelle – cette autorité si bien décrite par le Père Rosica.
À cette étape, consultons les cartes maritimes. Le canon 331 déclare:
L’Évêque de l’Église de Rome, en qui demeure la charge que le Seigneur a donnée d’une manière singulière à Pierre, premier des Apôtres, et qui doit être transmise à ses successeurs, est le chef du Collège des Évêques, Vicaire du Christ et Pasteur de l’Église tout entière sur cette terre ; c’est pourquoi il possède dans l’Église, en vertu de sa charge, le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel qu’il peut toujours exercer librement.
Cela ressemble certainement à de la souveraineté, mais à quelle sorte de souveraineté? En tout cas pas le genre de souveraineté personnalisée qui a la faveur de Rosica, ni même le genre de souveraineté politique que le peuple d’Israël avait en tête quand il a exigé qu’un roi soit nommé sur eux, pas plus que le genre militaire promu par Ignace de Loyola.
Notez bien ici que l’évêque de Rome est le vicaire du Christ, et non le vicaire de Dieu. Dieu n’a plus qu’un Vicaire, l’Homme-Dieu lui-même, qui est le véritable Chef de l’Eglise et son seul Souverain et Grand-Prêtre. Pierre exerce quelque chose de la souveraineté conférée par Dieu en Christ, car le Christ a à son tour investi en lui et dans ses successeurs, avec le collège apostolique, un pouvoir d’enseignement et une autorité juridique contraignante dans la vie quotidienne de l’Église. Mais Pierre n’est pas lui-même un souverain proprement dit. Il n’est qu’un régisseur, avec des responsabilités très spécifiques. C’était, et c’est une erreur, que ce soit par des titres, des coutumes, des lois ou des scrupules – et nous pouvons en effet contester certains de ces titres corrigés à juste titre par le Concile Vatican II – de le considérer comme s’il était autre chose, ou plus que cela.
N’avons-nous pas appelé l’Église “la barque de Pierre”? Oui, mais le génitif n’est pas un possessif. Si nous voulons le rendre possessif, nous devons nous référer à la barque du Christ. Rappelez-vous la fois où les Douze sont sortis en bateau avec le vent contre eux, alors que Jésus était aussi sorti – marchant sur la mer dans la tempête. Quand il les eut rejoints et qu’il fut monté dans le bateau, le vent et la mer et le bateau lui-même lui obéirent, bien qu’ils n’obéirent pas à Pierre ou aux Douze. Il y a une leçon dans tout cela. L’Église n’est la barque de Pierre que dans le sens où il est demandé à Pierre de rester vigilant sur le pont. Il n’est certainement pas invité à prendre la barre et à diriger le navire sur son propre chemin, imaginant que sa navigation est poussée par l’Esprit.
Alors, soyons francs. Mais laissons de côté les absurdités du Père Rosica. Si François fait ce que Rosica dit qu’il fait – et j’ai peur que ça soit difficile à nier – alors François ne remplit pas du tout les fonctions de son office pétrinien. Il conduit plutôt la barque sur les hauts-fonds. Il est grand temps que le reste des Douze (je parle bien sûr du collège apostolique) le dise, comme le font d’ailleurs ses membres les plus alertes. Cette tempête passera et l’air dans l’Église sera plus frais pour elle. La barque voguera et atteindra soudain sa destination. Mais les mâts brisés et les planches pourries doivent d’abord être remplacés ou réparés. Pour cela, il faut consulter à nouveau non seulement les cartes, mais aussi les plans du navire.
Source : lesalonbeige