Depuis mars 2017, une vidéo, qui fait la synthèse d’un site internet, tend à dénoncer les documents mis à disposition des professeurs par l’Éducation nationale pour l’éducation sexuelle des élèves.
La Manif pour tous part à l’assaut de l’éducation sexuelle. « Je ne suis pas une spécialiste », concède toutefois sa présidente, Ludovine de la Rochère, à RTL.fr. Le collectif d’associations qui a puisé sa source dans la lutte contre le mariage pour tous s’érige désormais en lanceur d’alertes sur l’éducation sexuelle mise en place par l’Éducation nationale. Après vigi-gender.fr qui traque la « théorie du genre » dans l’enseignement, le Manif pour tous a lancé écolteetsexe.fr. Ce site vise à « mettre à disposition des parents et des élèves » les documents conseillés par les « partenaires du ministère » aux enseignants pour aborder les questions de sexualité « pour qu’ils sachent ce qu’il en est », explique Ludovine de la Rochère. Le collectif veut également tenter de faire réagir le président de la République élu en lui adressant une lettre.
Une vidéo accompagne et synthétise l’idée de cette page internet : mettre en garde contre les documents avec lesquels les enfants et les adolescents pourraient être en contact. Ludovine de la Rochère reconnaît toutefois que ces ouvrages ce ne sont pas forcément utilisés par les professeurs eux-mêmes. Il s’agit de listes de documents qui pourraient être utiles pour répondre aux questionnements des jeunes, selon les « partenaires » de l’Éducation nationale, à savoir l’agence nationale de santé publique Ineps ou le planning familial.
Le planning familial fait d’ailleurs partie des endroits qui peuvent être indiqués par les professeurs ou infirmières de collège aux élèves en cas de problème lié à la sexualité. Selon écoleetsexe.fr, il y serait distribuer une brochure Tomber la culotte qui ne conviendrait pas et ne serait pas adaptée, car trop « pornographique ». Dans cette vidéo, à la musique inquiétante, « puisque c’est un sujet sérieux », se défend Ludovine de la Rochère, le site onsexprime.fr, édité par l’Ineps, est également dénoncé. Il livrerait, selon la Manif pour tous, une vision « trop consumériste » et « fonctionnel » des relations, où l’amour serait mis de côté. Les mis en cause, contactés par RTL.fr, n’ont pas voulu répondre à ces critiques. Idem pour le gouvernement, « tenu à un devoir de réserve jusqu’aux législatives ».
En classe, accent sur la prévention et le fonctionnement
Tiphanie Duperroux, enseignante en SVT au collège Saint André à Nogent-sur-Marne (94), aborde la question de la sexualité avec toutes les classes de son établissement. Pourtant, elle assure à RTL.fr qu’elle ne voit « absolument pas de quoi parle La Manif pour tous » en évoquant ces fameux documents conseillés aux intervenants auprès des jeunes. Elle ne renvoie ses élèves vers aucun site internet non plus. « Je me base sur le programme officiel. Après, c’est une question de bon sens et de bienveillance avec les élèves et je suis très ouverte avec eux, raconte-t-elle. Ils viennent régulièrement me poser des questions ».
Pour épauler et aborder de manières différentes la sexualité, des intervenants extérieurs sont parfois appelés par les établissements. C’est le cas d’Inès, qui se définit comme « éducatrice à la vie ». Contactée par RTL.fr, sur les recommandations de Ludovine de la Rochère, alors qu’elle n’a « aucun lien avec La Manif pour tous », Inès explique qu’elle ne distingue pas la sexualité de l’amour lors de ses interventions en établissements privés. Dès le CM2, elle aborde la question, « puisqu’ils apprennent la reproduction ».
Selon elle, le but de ces cours est de « faire découvrir aux jeunes la finalité du corps sexué. Comprendre que c’est quelque chose de beau et précieux. Le corps sexué nous permettra un jour de partager l’amour et donner la vie ». Elle distingue le plaisir du bonheur et son discours tend à prioriser un bonheur sur le long terme en abandonnant quelques plaisirs. Pourtant, pour la sexologue Manon Bestaux, qui intervient également devant des classes de première au lycée, enseigner le plaisir est « capital ». « C’est un apprentissage, il faut s’autonomiser sur ce point de vue sexuel », insiste-t-elle auprès de RTL.fr. Aujourd’hui, c’est surtout sous l’angle de la prévention qu’est enseignée la sexualité, prévenir des maladies, des infections, ou encore de la grossesse.
L’enseignante Tiphanie Duperroux confirme que la notion de plaisir « n’est pas prévue au programme » et que les thèmes abordés sont la procréation, la puberté, comment fonctionnent les appareils reproducteurs, comment faire pour obtenir un enfant et la contraception… L’éducation sexuelle est donc « un chapitre comme un autre ». La masturbation et toute forme d’apprentissage d’une jouissance personnelle n’y ont pas leur place. Jusqu’à la dernière réforme du collège, aucune trace de l’existence du clitoris dans les manuels scolaires quand la question de l’anatomie intime est abordée. Une lacune considérable, selon les sexologues, qui regrettent ce tabou, en particulier concernant la sexualité des femmes.
Différentes idées de l’amour et la sexualité
À l’instar de la présidente de La Manif pour tous, selon Inès, c’est la notion « d’amour » qui manque cruellement au programme. Car, pour elle, la « sexualité est d’abord un langage du corps qui dit combien on s’aime ». Alors que dire de la masturbation ? Si elle aborde la question, cela reste « un plaisir pour soi tout seul. Est-ce que c’est ça le bonheur ? », interroge-t-elle avant de répondre : « Je ne suis pas sure. C’est un plaisir solitaire qui enferme dans la solitude ». Inès avance même que « trop de masturbation » expliquerait les « éjaculateurs précoces » et se demande à « quoi ça sert à quoi de savoir où est le clitoris ? »
Une opinion à l’opposé de ce que préconise la sexologue Manon Bestaux. « C’est assez consternant d’entendre ça », se désole-t-elle. Elle contredit par ailleurs totalement cette thèse selon laquelle la masturbation abusive provoquerait des problèmes d’éjaculation précoce. « C’est tout le contraire. Si on ne se masturbe pas » chez les hommes, « dès qu’on va entrer quelque part, le réflexe va s’enclencher, on n’aura pas appris à retenir sa pulsion ».
Elle donne également une autre définition de l’amour : « L’amour c’est aider l’autre à être autonome, qu’il ait envie de nous, pas besoin de nous », d’où la nécessité de la masturbation. Pour elle, onsexprime.fr ne va même pas assez loin : « Il n’y a le mot clitoris qu’une seule fois sur le site », s’exaspère-t-elle. De son côté, si elle préfère parler de « respect » plutôt que d’amour, la professeur de SVT ne distingue, elle, pas les deux idées pour autant.
La prochaine étape pour La Manif pour tous est désormais de s’adresser à Emmanuel Macron. Si le site ecoleetsexe.fr a été lancé en pleine campagne présidentielle, il vise aujourd’hui à faire appel, non plus aux candidats, mais au vainqueur et sa prochaine équipe. C’est pourquoi la lettre, signée par 15.784 personnes à l’heure de l’écriture de cet article, « va être mise à jour avant d’être envoyée au nouveau président de la République et à son ministre de l’Éducation nationale », conclut Ludovine de La Rochère.