La sainte famille peut-elle être un modèle de la famille ?

La sainte famille peut-elle être un modèle de la famille ?

La Sainte Famille peut-elle être un modèle de la famille ? La question n’est pas si simple qu’il n’y parait et la réponse pas plus évidente. L’Eglise, en effet, nous présente la Sainte Famille comme le modèle de la famille, mais pour nous le problème, c’est que ce modèle est à la foi idéal et inimitable.

Considérons d’abord cet idéal.

Cette famille descend d’un des plus grands saints qu’Israël ait connu : le roi David. Ce n’est de fait pas rien d’avoir un tel ancêtre. Le duc de Nemours ne disait-il pas « Souvenez-vous de ceux dont vous êtes issus, afin que vous ne fassiez jamais rien qui ne fut indigne d’eux. » ? L’héritage familial est certes un poids mais c’est aussi,  un modèle, une fierté et cela aide à s’inscrire dans une histoire (bien plus que lorsque l’héritage n’est pas très reluisant).

Plus directement, les parents de Marie sont des saints, Anne et Joachin. Or nous savons que, bien souvent, les enfants sont à l’image de leurs parents. Le saint curé d’Ars remarquait qu’ « un saint pasteur fait un très bon troupeau, un très bon pasteur fait un bon troupeau, un bon pasteur un troupeau médiocre et un pasteur médiocre un mauvais troupeau. » Il en va de même pour les parents, sans tomber non plus dans l’atavisme fataliste.

Mais ce n’est pas tout. La cousine de Marie est une sainte, Elisabeth, qui a épousé un saint homme, Zacharie, de qui elle va enfanter celui que Jésus qualifiera lui-même du plus grand des saints, Jean Baptiste. Ouffffff quelle famille !

Joseph, lui-même n’est-il pas présenté dans l’Ecriture comme le Juste ? Quant à Marie, c’est précisément parce qu’elle est la plus sainte des saintes que Dieu l’a choisie.

Bref, une famille idéale, parfaite, sans tâche et donc inatteignable. En d’autres termes, un modèle impossible.

Nous voulons tous faire le bien. Nous sentons, cependant, combien cela est dur, ardu, difficile, fatigant même. Et souvent nous ne pouvons que constater avec saint Paul «  je ne fais pas le bien que je voudrais faire et je fais le mal que je ne voudrais pas faire. » Alors des modèles aussi parfaits, c’est épuisant rien qu’à regarder et c’est décourageant. Bien plus encore, cela met la barre si haute que nous nous dédouanons facilement de ne pas arriver même au tiers du modèle.

Et puis quand même …. C’est la famille qui a accueilli Dieu Lui-même. C’est tout de même exceptionnel ! Ça n’arrive pas à tout le monde  non plus. Non décidément ce modèle n’en est pas un. Allons, soyons réalistes, la conception de Jésus par Marie avec l’opération du Saint Esprit est tout de même difficilement reproductible !

La conclusion la plus évidente, et la plus rassurante de prime abord, c’est que la sainte Famille ne peut être un modèle acceptable, parce qu’un modèle c’est fait pour être suivi et reproduit.

Oui ! Mais ….. Un modèle c’est aussi un chemin.

Lorsque nous prenons une personnalité comme modèle, nous sommes conscients que c’est un but à atteindre. Le fils cherche à ressembler à son père et il prend des moyens pour cela. Il sait par exemple qu’il lui faudra du temps pour égaler son père au tennis. Et puis un jour, le jeune homme se rendra compte qu’égaler son père ne veut pas forcément dire être une copie conforme. Le père, bon attaquant, sera peut-être égalé par son fils bon défenseur. L’enfant cherche d’abord à imiter son père ou sa mère jusqu’à ce que, à partir de cette imitation, il finisse par se construire lui-même et ÊTRE lui-même et non son père ou sa mère (ce que certains parents ont parfois du mal à accepter). Il en va de même de la Sainte Famille. Dieu nous donne un modèle, non à reproduire, mais à habiter de ce que nous sommes. Et je dis bien « nous » c’est-à-dire, l’époux et l’épouse ensembles et non elle+lui.

Alors regardons ce que nous dit ce modèle. Il nous présente deux choses : l’idéal à atteindre et les points de passages fondamentaux pour atteindre cet idéal. Ce sont précisément ces points de passages qui sont à habiter par « nous ». L’idéal, c’est crèche qui nous le fait contempler. Une famille unie autour de l’enfant. Que signifie l’enfant ? Regardez Marie, neuf mois plus tôt, lors de l’annonciation. Elle prononce cette parole fondamentale qui change toute sa vie, « fiat », qu’il me soit fait selon votre parole. Avant tout autre chose, l’enfant est un cadeau fait par Dieu aux époux et, nous pourrions ajouter, à sa famille, mais aussi au monde. Désormais les époux ont un signe visible de leur unité, cet enfant. Quoiqu’il arrive, en effet, de leur ménage, cet enfant sera toujours un cadeau commun fait aux deux époux. Jamais les époux ne pourront briser ce lien, ils ont un enfant qui les lie. L’idéal de la famille est cette unité autour de l’enfant. Unité signe d’une unité plus profonde encore, l’amour qui unit les époux. Dit autrement, une famille idéale, c’est une famille fondée sur l’amour et unie par et autour de l’amour dont les enfants sont le signe. C’est donc bien cet idéal qu’il faut viser, construire et protéger. Nous comprenons dès lors que cet amour ne peut être habité que par « nous ». Et nous comprenons qu’au-delà de l’enfant c’est de la fécondité même du couple qu’il s’agit. Ce qui veut dire que des époux sans enfants, peuvent, eux aussi, se retrouver à la crèche et se pencher sur le fruit de leur amour, même si ce fruit n’est pas un petit d’homme. L’amour vrai, parce qu’il est d’abord un don, porte du fruit et enfante à la vie.

Mais quels sont les points de passages pour tendre vers un tel idéal, finalement pas si inaccessible ? Observons encore Joseph et Marie, avant leur mariage. Marie est promise à Joseph. Il y a entre eux deux, une promesse. La promesse est une parole forte qui repose sur la confiance. J’ai confiance en la parole de l’autre et c’est pour cela que je m’engage. Parce que passer de « je » à « nous » est difficile et peut faire peur. Et de toute façon ça va faire mal. Et cette douleur de l’abandon et de la conversion ne peut être supportée, sublimée que par l’amour vrai.

Mais quelle est cette promesse, sur quoi porte la confiance ? Marie promet de remettre sa vie entre les mains de Joseph et celui-ci promet de recevoir et de garder cette vie qui lui est confiée. Et réciproquement. Le fond de l’engagement n’est rien d’autre (si je puis dire) que cela. J’accepte de donner ma vie à quelqu’un parce que j’ai confiance en ce qu’il va en faire.  Le don dans le mariage n’est possible que par la confiance. Ce qui veut dire que le don sera proportionné au degré de confiance que j’ai. Or pour faire confiance, il faut reconnaitre en l’autre une chose fondamentale, l’amour. Parce que si je sais que je suis aimé, (mais aimé pour moi-même) je sais que l’autre veut mon bonheur et que donc, cette vie que je lui remets, il la conduira au bonheur. Sans amour, il ne peut y avoir de confiance et par là, il ne peut y avoir de don. Donc, il ne peut y avoir de « nous ».

Mais l’amour entre Joseph et Marie nous rappelle que l’amour n’est pas d’abord un vague sentiment émotif, si vif soit-il. L’amour n’est pas jouir de l’autre pour soi. Regardez le trouble de Joseph quand Marie lui apprend qu’elle est enceinte. Il ne comprend pas, et pour cause. Mais il croit Marie. Il lui fait confiance. Son mariage semble désormais impossible (non son amour) et que fait-il ? Réagit-il en homme blessé ? Non, il cherche le moyen de préserver le bonheur de celle qu’il aime en la répudiant en secret. L’amour qu’il a pour Marie est désintéressé. Ce qu’il veut, c’est la savoir heureuse. Et c’est cela, précisément, passer du « je » au « nous ». Ce n’est pas moi qui disparais dans un grand tout ou qui digère  totalement l’autre en moi. C’est, au contraire, JE mets tout en œuvre pour que TU sois heureux, parce que JE sais que TU mets tout en œuvre pour que JE sois heureux et ainsi NOUS serons heureux. TU seras heureux de MON bonheur et JE serai heureux de TON bonheur. Là est NOTRE bonheur. Disons même que, lorsque JE me marie, MA joie, donc le but de ma vie, c’est TON bonheur. Trouver son bonheur dans le bonheur de l’autre, c’est ça le signe le plus authentique de l’amour. Mais cela n’est possible que si TOI tu trouves ton bonheur dans mon bonheur. L’amour est réciproque, don réciproque et réception réciproque de ce don. Ainsi, aimer c’est « je me donne à toi et te reçois et tu te donnes à moi et je te reçois ». Cela suppose deux préalables, sans lesquels l’union sera déséquilibrée et même mensongère, en tout cas tronquée. Je me donne en vérité et totalement et j’accepte l’autre en totalité, même son côté horripilant que je ne supporte pas. Si dans un ménage l’un des deux ne se donne pas autant que l’autre, il y aura déséquilibre, souffrance et division. L’amour sera incomplet voir illusion. Le couple laissera alors prise à toutes les compensations dues au manque d’amour. Compensation interne au ménage, comme utiliser l’autre, se retourner vers les enfants ; compensations externes, comme l’adultère, mais aussi, la fuite dans le travail, dans l’activisme.

Mais aimer et fonder une famille n’est pas repli sur soi. Marie et Joseph ne cesse d’offrir leur fils au monde. Au temple, à Cana et bien entendu Marie au pied de la Croix. L’amour vrai est diffusif de soi. Il est ouvert sur le monde et les besoins des autres. La seule différence avec « avant le mariage » c’est que cette ouverture est le fruit même de l’amour des époux et devrait s’en trouver au minimum doublé et non dédoublé. Il ne s’agit pas en effet de transformer cette ouverture au monde en compensation d’un amour conjugal imparfait et défaillant.

Nous pourrions multiplier les études des points de passages, mais tout se résume à cela parce que tout découle de là.

Concrètement comment  cela se traduit-il ? Si tout repose sur le don, alors il convient avant tout autre chose de lutter contre notre égoïsme qui nous fait nous replier, nous conserver et finalement nous préférer à l’autre. Mais il nous faut aussi aider et encourager l’autre à lutter contre son propre égoïsme. L’amour, le don, comme la confiance supposent du temps pour grandir, pour se répandre dans les moindre interstices de notre vie et de celle de l’autre. L’idéal est d’abord une tension vers une réalisation. Le jour où le désir de rejoindre l’idéal s’estompe, l’amour est à son tour en péril. Mais il n’est jamais en péril tant que la tension vers la réalisation toujours plus parfaite de cet idéal reste vive. Et à ce sujet, la plus belle étude reste le merveilleux livre, oubliée, de Gustave Thibon, Ce que Dieu a uni.

Une telle lutte est en effet une conversion à 180°, puisque ce n’est plus regarder dans ma direction, ce n’est pas non plus se regarder l’un l’autre, mais comme le dit Saint-Exupéry, c’est regarder ensemble dans la même direction, à savoir Ton bonheur fait mon Bonheur et réciproquement. Cela signifie, pour les hommes, regarder mieux sa femme pour être plus attentif à ses besoins. Et pour les dames, aller au-delà de ce qui est visible et sensible.

Et ici nous voyons déjà comment le couple est complémentaire, comment l’homme et la femme peuvent s’aider. La femme est là pour rappeler à l’homme qu’aimer c’est être attentif à l’autre, et l’homme pour rappeler à la femme qu’être attentif ce n’est pas d’abord un ensemble de gestes visibles et ponctuels, c’est une donnée constante. Or pour consolider un ménage, pour construire le bonheur de l’autre il faut les deux. Il faut cette présence permanente  et sereine non démonstrative qu’est le fond. Et il faut parfois des événements forts pour raviver la flamme ou témoigner que la flamme est toujours là.

L’idéal de la Sainte Famille n’est donc pas inatteignable. Il se construit tout au long de la vie. Et il faut bien une vie pour le construire. L’erreur de nombre de couples est de croire que l’idéal est ou n’est pas. L’erreur aussi est de confondre le sentimental très fort du début avec cet idéal. Mais le bonheur n’est pas un sentiment passionnel, c’est une paix sereine qu’il faut atteindre et protéger.

 

Je m’arrête là, mais nous pourrions reprendre tous les éléments cités plus haut de cette famille inatteignable et voir comment, en fait, tout se retrouve en germe dans chaque famille, pour peu qu’elle soit sise sur la vérité, et ne demande qu’à être déployée, y compris la conception virginale de Marie. Car si le mariage est amour alors il est en Dieu et les époux se font ainsi canal de la grâce pour eux-mêmes, leur famille et tous ceux que Dieu met sur leur route.

 

Conférence donnée à La Crau décembre 2011

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