La réforme de la liturgie inévitable ou impossible ? – Divergences entre le pape et le cardinal Sarah

La réforme de la liturgie inévitable ou impossible ? – Divergences entre le pape et le cardinal Sarah

Plusieurs motu proprio, des textes qui ont la particularité d’être des actes d’autorité personnelle du pape, ont été publiés récemment. Le motu proprio Summa familiæ cura (19 septembre) concerne la morale, champ de bataille important. Celui-ci met pratiquement fin à l’Institut Jean-Paul II pour le mariage et la famille alors que le motu proprio Magnum principium (9 septembre) porte sur la liturgie. (Par l’abbé Barthe sur l’Homme Nouveau)

Magnum principium semble concerner un enjeu minuscule : la rectification de telle ou telle expression dans les traductions des livres liturgiques. Pour nombre d’observateurs, il a cependant une portée symbolique majeure : le combat sans merci des partisans de la ligne d’aujourd’hui, celle qui se réclame du Pape François, contre celle des partisans de la ligne d’hier, celle qui se réclame de Benoît XVI. À moins que l’enjeu ultime soit bien plus fondamental encore.

Les petits acquis de la « restauration » liturgique

Dans l’histoire de la « restauration » liturgique ratzingérienne, qui s’étale de 1996 à 2013, sous les cardinaux-préfets du Culte divin, Medina, Arinze et Cañizares, en dehors de la publication de l’instruction Redemptionis Sacramentum, du 25 mars 2004, véritable Syllabus des dérives liturgiques prohibées, qui ne fut suivi d’aucun effet, l’unique victoire avait été de décider que les traductions liturgiques élaborées depuis le Concile de manière très libérales seraient révisées. Le résultat en fut bien modeste.

Pour contrer les effets de l’instruction Varietates legitimæ, du 25 janvier 1994, avait été élaboré l’instruction Liturgiam authenticam, du 28 mars 2001, qui expliquait : « La traduction des textes de la liturgie romaine n’est pas une œuvre de créativité. […] Il est nécessaire que le texte original ou primitif soit, autant que possible, traduit intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission ni ajout, par rapport au contenu, ni en introduisant des paraphrases ou des gloses » (n. 20).
Les conférences française et allemande traînèrent des pieds. En fait, c’est dans la seule aire linguistique anglophone que ce travail fut accompli correctement, grâce à la ténacité du cardinal nigérian et donc anglophone Arinze. Il fut aidé par le comité Vox Clara, constitué en 2002 au sein de la Congrégation pour faire contrepoids à la très libérale Commission ICEL (International Commission on English in the Liturgy), organisme de coordination entre les conférences épiscopales anglophones.

Une nouvelle donne

Certes en 2014, le Pape François nomma Préfet du Culte divin, pour remplacer le cardinal Cañizares et à sa demande, le très ratzingérien cardinal Joseph Sarah, mais en l’entourant de deux prélats bugniniens (du nom de Mgr Bugnini, cheville ouvrière de la réforme liturgique) : Mgr Arthur Roche, confirmé comme Secrétaire et le Père Corrado Maggioni, nommé Sous-Secrétaire et grand ami par ailleurs de Mgr Piero Marini, ancien cérémoniaire pontifical, entièrement acquis aux avancées liturgiques. Dans le même temps, les cardinaux et évêques membres de la Congrégation (qui votent dans les assemblées plénières) furent complètement renouvelés : les cardinaux Burke et Pell furent exclus pendant que le cardinal Ravasi et Mgr Piero Marini étaient nommés.

Malgré tout, le cardinal Sarah tenta de continuer la rectification de la traduction des livres. En pure perte. Pour l’aire allemande, le blocage devint complet dès 2013. L’un des différends portait sur la traduction du pro multis (« pour beaucoup ») de la consécration : les évêques voulant für alle, et non für viele, demandé par le cardinal Sarah. Même chose en Italie.

Dans l’aire anglophone, depuis que la nouvelle traduction fut mise en application, les bugniniens prétendirent qu’elle était rejetée par la moitié des fidèles et 71 % des prêtres à cause de son style « trop formel » et « trop pompeux ». En France, il est vrai, le projet de traduction Sarah était accepté à l’unanimité… mais à condition d’être facultatif.

Dans l’atmosphère nouvelle, les prétentions du cardinal faisaient désordre. Par lettre apostolique du 18 octobre 2016, le Pape organisait une Commission pour prendre en main ces problèmes de traductions.
Une Commission très discrète, dont les membres ne figurent sur aucun annuaire.

Et de cette Commission, dans laquelle les bugniniens « pur jus » étaient largement majoritaires, le cardinal Sarah ne faisait pas partie.

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