Le 29 mars dernier, sur la chaîne i24news, l’intellectuel Pascal Bruckner a déclaré : « Pour résister à l’assaut de l’islam radical, il serait bon que l’Eglise catholique se remuscle un peu, parce que je pense que la religion arrête la religion et qu’au fond plus l’Eglise sera forte, plus l’islam sera sage ».
Une phrase étonnante de la part de cette ancienne figure libertaire des « nouveaux philosophes » ; une idée peut-être pas si surprenante si l’on songe au contexte : une récente enquête sur la jeunesse, conduite par les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland, conclue à l’identitarisation, à la communautarisation et à la radicalisation d’une partie importante de la jeunesse musulmane dans les banlieues.
La progression de l’islam radical fait peur et chacun cherche le remède. C’est ainsi que le catholicisme se trouve de plus en plus convoqué, souvent de l’extérieur et à son corps défendant, comme rempart. Dans ce contexte, la sortie de Bruckner peut être un signe des temps qui indique que, d’une certaine manière, la neutralité religieuse ne serait bientôt plus tenable pour nos contemporains.
Voici en tout cas le catholicisme sur la table. Cette nouvelle donne a de quoi le surprendre, lui qui a choisi de ne plus jouer sur le terrain des guerres de civilisations. Une idée se répand pourtant, dans plusieurs ouvrages récents, selon laquelle le catholicisme français serait lui-même en voie d’identitarisation, de communautarisation et de radicalisation. Il faut faire attention aux mots. Quelle commune mesure entre l’évolution du catholicisme et celle de l’islam en France ?
Deux trajectoires opposées
C’est une erreur que d’appliquer les mêmes mots à deux réalités différentes en nature et en degré. La thèse d’une concurrence mimétique, d’une montée aux extrêmes est bien fragile. Cette grille de lecture ne permet probablement pas de saisir ce qui se joue.
Il faut en effet bien observer que . Pour l’islam, c’est une tendance lourde de « réislamisation » qui provoque un rapport conflictuel à l’altérité ; pour le catholicisme, c’est une réforme contemporaine qui a ancré dans la psyché profonde des fidèles un rapport nouveau à l’altérité, vis-à-vis de la Modernité et vis-à-vis des autres religions et cultures.
Le catholicisme a en quelque sorte congédié la relation ami-ennemi – qui marque le tragique de l’histoire – pour choisir une relation fondée sur le dialogue, l’ouverture, la non-concurrence, la main tendue. Voici ce qui marque d’abord, dans le registre de l’altérité, la psyché collective des catholiques aujourd’hui.
Et c’est bien ceci qui est bousculé par l’histoire, d’une part parce que la « main tendue » n’est pas vraiment saisie et qu’une menace réelle se fait jour, d’autre part parce que certains de nos contemporains interpellent désormais le catholicisme sur un terrain qu’il pensait obsolète : celui de son apport culturel et civilisationnel au « commun », celui de sa présence visible comme l’un des facteurs d’identification, d’enracinement et de cohésion.
Il convient probablement de dépasser les grilles de lectures trop simples pour penser cette nouvelle donne de notre temps.
Guillaume de Prémare