Il est surprenant de voir combien il est plus facile de présenter une fraise, qui pourtant nous est étrangère, que l’homme qui lui nous est si familier et si intime. Certes nous imaginons bien que l’homme est plus complexe que la fraise et donc plus difficile à définir. Encore que…
Tenez, livrons-nous à un petit exercice qui devrait nous faire avancer. Commençons par le plus facile. Qu’est-ce qu’une fraise ? Tout de suite nous répondrons, un fruit ! A certes, mais la pomme n’est-elle pas aussi un fruit ? Alors nous préciserons, un fruit rouge qui pousse à ras de terre, d’une forme ovale et avec un goût qui lui est propre. Si je vais plus loin, c’est un fruit assez gros par rapport à sa cousine plus petite et plus gouteuse qu’on nomme ‘fraise des bois’. Voilà grossièrement dessinée ma fraise. Mais au fond, est ce que je sais ce qu’est un fruit ? Qu’ont en commun, toutes ces choses que je regroupe sous le vocable de fruit ? Pourquoi la tomate est-elle un fruit et non la courge ? Car au-delà de cette distinction, nous avons bien quelque chose de commun entre la courge et la fraise…. Ce sont des végétaux.
C’est, en effet, à l’intérieur de cette première et fondamentale famille qu’est le végétal que se distinguent, les fruits, les légumes, les fleurs… Vous voyez que déjà, notre fraise est plus complexe qu’il n’y parait.
Mais allons plus loin. Ma fraise a une vie. La fraise qui décore savoureusement ma tarte n’a pas toujours été si rouge. Il a bien fallut qu’elle pousse. Et si elle était restée sur son pied, elle aurait fini par vieillir puis pourrir. Tandis que le rocher que je contemple depuis la fenêtre du restaurant, lui, il est toujours le même, sauf à subir l’érosion du temps. Mais à la différence de la fraise qui change d’aspect de l’intérieur, par un principe de vie qui l’anime, le rocher lui ne change que par l’action d’un être extérieur. Le vent sableux par exemple. La Fraise fait donc partie d’une famille encore plus large qui la distingue du rocher, celle des êtres vivants, animés. Alors que le rocher fait partie des êtres inanimés.
Oui mais alors, le chamois lui aussi est un être vivant et animé. Qu’est ce qui le distingue de cette fraise qu’il va lui-même manger ? Nous pourrions répondre, la chair, les os… Mais la fourmi n’a pas d’os, le poisson n’a pas la même chair. Et pourtant, nous les classons bien tous distinctement des végétaux, dans ce que nous appelons le règne animal. Qu’ont-ils donc en commun et de spécifiquement différent, sinon le fait de se déplacer par eux-mêmes ?
Voici donc trois étages dans la manière d’être au monde. Le premier est commun à tous, animés comme inanimés. Il s’agit d’être, d’exister. Le second étage, l’étage végétal, est composé d’être animés par eux-mêmes avec un principe vital intérieur. Le troisième comprend les deux étages inférieurs, mais, plus restreint, il ne regroupe que les êtres capables de se mouvoir et de réagir, les animaux.
Finalement, ma fraise est bien plus difficile à définir que prévu. Mais alors l’homme dans tout ça ? Incontestablement, il se trouve dans la troisième catégorie. Mais ai-je tout dit de l’homme quand j’ai dit qu’il était un animal ? Puis-je dire indifféremment ‘voici l’homme’ et voici ‘le cheval’ comme je dirai ‘voici le chamois’ et ‘voici le poisson’ ? Ou bien est-il plus juste de dire ‘voici l’animal’ en parlant de la troisième catégorie et ‘voici l’homme’ pour une autre catégorie encore ?
En d’autres termes, y a-t-il quelque chose qui différencie spécifiquement l’homme de l’animal ? Quelque chose qui le définisse au point de pouvoir dire à chaque fois qu’un homme se présente, qu’il soit blond ou roux, grand ou petit, ‘voici l’homme’ ? Concrètement, une fois enlevé tout ce qui fait que Grégoire est différent de Cyril, qu’ont-ils en commun, en plus du végétal, en plus de l’animal ? Qu’ont-ils de différent avec les trois autres catégories d’être ? Car incontestablement l’homme a en lui quelque chose du monde végétal puisqu’il est capable de vivre et d’évoluer par un principe intérieur qui lui donne son dynamisme interne. Incontestablement l’homme partage avec les animaux la capacité de se mouvoir. Et déjà à ce stade nous pouvons dire ‘voici l’homme’, sans nous tromper. Mais si nous en restons là, nous disons en réalité… ‘voici l’animal’.
Or, l’homme est plus qu’un simple animal. L’homme pense ! Voilà la différence spécifique de l’homme, son intelligence. Ce serait toutefois, une fausse anthropologie que de nier, refouler ou considérer comme second la dimension animale de l’homme, car qui veut faire l’ange, fait la bête.
L’erreur fondamentale qui traverse presque toutes les professions qui s’intéressent à l’homme est de l’avoir disséqué, pour mieux le connaître, le servir, sans, in fine parvenir à le réunifier. Or tout est là ! L’homme est un et tout service rendu à l’homme doit viser son unité, son unification, parce que dans cette unité il trouvera l’harmonie de son être et donc la paix qui conduit au bonheur. Aussi, les coupes chirurgicales que nous nous devons d’entreprendre lorsque nous étudions l’Homme, ne sont que des commodités rhétoriques et pédagogiques par lesquelles il nous faut bien passer. Mais il nous appartient, sur ce corps disséqué de poser le regard unifié et mystérieux du poète, car ce n’est qu’avec ces yeux que nous pourrons dire en vérité « Voici l’homme ».
Cyril Brun,
Extrait du petit manuel sur l’anthropologie chrétienne – Connais-toi toi-même à la lumière de l’Evangile