Quand la Visitation éclaire la charité, une application de Caritas in veritate

Quand la Visitation éclaire la charité, une application de Caritas in veritate

 

Les Restos du Cœur ont ouvert ces jours-ci leurs portes . L’Armée du Salut fait à nouveau tinter ses clochettes dans nos rues. La trêve hivernale repousse à la saison prochaine les expulsions. Les conférences Saint Vincent de Paul relancent leur campagne pour lutter contre l’isolement . Avec l’approche de Noël, les initiatives de solidarité refleurissent. Noël, au- delà des croyances, reste cette période où  la souffrance paraît encore plus insupportable. On n’a pas le droit de souffrir pour Noël.

(reprise d’un article du 7 janvier 2017, dans le cadre de notre mois d’août avec Marie)

          La magie de Noël semble chaque année ouvrir les cœurs, ouvrir à l’autre. Il y aurait sans doute bien des choses à dire sur l’élan de générosité collectif qui se réveille à Noël. Il reste donc dans l’inconscient collectif quelque chose de la joie de Noël, comme si dans le fond de lui-même le monde entier ressentait, même de façon indicible que « le Seigneur vient ». Et, incroyablement, cette inconsciente perception de la venue du Fils de Dieu, pousse l’homme vers son semblable plus démuni, plus faible, comme Marie vers Élisabeth. En ce temps de solidarité, d’ouverture des prenons un temps d’arrêt pour contempler « La Visitation ».

           L’Évangile selon saint Luc est le plus marial des Évangiles. Il est aussi celui qui insiste le plus sur l’enfance de Jésus et la mission de  Jean-Baptiste. Le premier chapitre, où se situe le passage de la Visitation, est un parallèle entre la vie du Sauveur et la vie du Précurseur. Il est très intéressant de voir que c’est au moment où naît Jésus que Luc fait commencer la vie cachée du Baptiste. « Il faut que je diminue et qu’il grandisse ». C’est bien le message clef de la vie de  Jean -Baptiste et de tout chrétien. Ce n’est pas pour rien que l’évangéliste historien qu’est Luc commence son Évangile avec Jean -Baptiste. Jean-Baptiste représente le monde ancien qui s’achève. Il est membre de la tribu de Lévi, donc de la tribu des prêtres du Seigneur. Or dans l’Ancienne Alliance le culte rendu au Temple par les prêtres est central. C’est l’origine de la libération du peuple hébreu : aller rendre un culte au Seigneur dans le désert. Avec Jean -Baptiste c’est le sacerdoce ancien qui s’efface devant l’unique Grand Prêtre qui vient. Le Christ tant attendu des juifs ne vient pas abolir le monde ancien, mais l’accomplir, le transcender. C’est le sens de la visite de Marie à Élisabeth. Les deux mondes ne s’opposent pas, mais se rejoignent et c’est pour l’Ancienne Alliance l’accomplissement tant attendu, d’où la joie de Jean dans le ventre de sa mère, d’où le Benedictus du père de Jean à sa naissance : « Béni soit le Seigneur car il a visité son peuple » La Visite de Marie à Élisabeth est immédiate, dès la conception par l’Esprit Saint. Le Christ, comme impatient, n’attend pas d’être né pour accomplir la mission que son Père lui confie, il va dès sa conception visiter son peuple.

            C’est triomphante ou fière que Marie aurait pu aller visiter sa cousine. Il n’en est rien, au contraire. C’est humblement et par obéissance à l’ordre de l’ange qu’elle va non pour se faire vénérer ou pour faire adorer l’ enfant qu’elle porte en elle, mais pour servir la femme stérile. Marie qui se reconnaît l’humble servante de son Seigneur devient la servante de sa cousine porteuse de l’Alliance ancienne. Elle qui porte la vie du monde à venir va s’abaisser à servir celle qui porte le monde ancien devenu stérile. Marie fait sienne, par son Fiat la mission de celui qu’elle porte. En visitant sa cousine, femme âgée issue du monde ancien, elle se met au service de ce monde ancien pour lui donner l’espérance et la vie. Elle aurait pu le détruire pour en finir avec lui, mais elle le sert pour lui rendre sa dignité et sa place dans le dessein salvifique de Dieu. Dieu ne va pas détruire le monde comme au déluge. Il a promis qu’il ne le ferait plus. Dieu va œuvrer au salut du monde avec ce monde et à partir de lui. D’où l’immense joie d’Élisabeth qui accueille ce salut. Car s’il s’agit bien de la visite de Marie, et il ne faut pas oublier que Marie a été reçue par sa cousine. Élisabeth accepte donc la venue de son Dieu. Du monde ancien elle s’ouvre au monde nouveau, à la vie nouvelle. Elle ne reste pas figée sur elle-même, elle fait une place au Messie. A cet accueil marqué par la joie et l’espérance répond alors, et alors seulement, le Magnificat de Marie.  Après l’Annonciation, Marie aurait pu exulter de joie pour cette merveille accomplie en elle. Elle aurait pu se réjouir d’être choisie entre toutes les femmes. Mais non ! Ce qui la réjouit au point d’en rendre grâce à Dieu, c’est qu’Élisabeth accueille le Messie, c’est que le monde ancien s’ouvre au nouveau, en un mot se convertit.

            Lorsque Marie porte le Christ ou présente les hommes au Christ, elle refait le chemin montagneux de la visitation pour venir nous donner son fils. Et si nous ouvrons notre cœur pour accueillir son fils, si nous acceptons de laisser derrière nous le monde ancien, c’est à dire nos péchés, nos attachements déréglés à ce monde qui passe, pour nous donner encore un peu plus à Dieu, alors Marie exulte de joie, car « la miséricorde du Seigneur s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ».

 

            Il me semble qu’il y a là quelque chose de la raison d’être de la Doctrine Sociale de l’Église et de notre agir de chrétien dans le monde d’aujourd’hui. Par la foi nous sommes porteurs du monde nouveau que le Christ a inauguré le soir de Noël. Par notre engagement, nous sommes avec Marie au chevet de ce monde pour lui présenter le Royaume, pour ouvrir ce monde qui ne cesse de s’en aller au monde qui désormais est établi et qu’il nous appartient de porter avec Marie au-delà des montagnes ; ce monde devant lequel nous devons, avec Jean-Baptiste, aplanir la route. Alors notre magnificat pourra retentir et porter au ciel la joie de la conversion des cœurs, à commencer par le nôtre qu’il nous faut sans cesse élargir à la dimension du cœur de Dieu. C’est à cette condition que peu à peu, comme Marie, nous pourrons regarder et aimer le monde avec le regard et le cœur de Dieu.

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