« Quand le handicap interroge la naissance ». L’Ecole des hautes études en sciences sociales organisait les 8 et 9 juin derniers, deux journées de réflexion autour du diagnostic prénatal (DPN). Parmi les réflexions engagées, l’une d’entre elle étudie l’accès des femmes enceintes au dépistage de la trisomie 21 selon les pays. Gènéthique revient sur les raisons de ces divergences.
En 2010, le dépistage de la trisomie 21 concernait en France 84% des femmes, contre 61% en Grande Bretagne et 26% aux Pays-Bas. La situation a peu évolué depuis cette date, si ce n’est que le taux de dépistage a encore augmenté en France. En 2013, il impliquait 87% des femmes enceintes dans notre pays. Pourquoi de tels écarts ? Pourquoi un taux aussi faible aux Pays-Bas, pays libéral s’il en est en matière de santé publique (euthanasie, don d’organes, DPN cf. Pour le Ministre néerlandais de la santé, « si la politique nationale de dépistage conduit à la disparition des personnes atteintes de trisomie 21, la société doit l’accepter »,…) ?
France, Pays-Bas, Grande Bretagne, un cadre « éthique » semblable
Ces différences interrogent parce qu’elles interviennent dans des pays qui ont mis en place des cadres « éthiques » similaires pour le DPN. Les techniques de dépistage prénatal de la trisomie 21 en donnent un exemple significatif. Les politiques adoptées sont concordantes : obligation pour tous les professionnels de santé de proposer les tests[1] à toutes les femmes enceintes, de mener un entretien non directif, de recueillir de la femme le consentement ou le refus explicite du dépistage.
Une enquête[2] sociologique a été menée dans les trois pays par trois sociologues, Carine Vassy, maître de conférences à l’Université de Paris 13, Sophia Rosman et Bénédicte Rousseau. Carine Vassy, qui est intervenue lors des journées organisées par l’École des hautes études en sciences sociales, est allée observer des consultations de femmes qui venaient pour la première fois dans un centre de soin, et qui n’avaient pas encore reçu d’informations concernant le dépistage. Elle a aussi analysé les documents officiels à disposition et réalisé des interviews de personnes responsables du DPN en France. Avec Sophia Rosman et Bénédicte Rousseau, qui ont fait un travail équivalent en Angleterre et aux Pays-Bas, elles ont cherché à comprendre comment les femmes consultaient dans les différents pays et quelles étaient les interactions dans les rendez-vous.
La raison des écarts
Au terme de l’étude, elles mettent en évidence deux facteurs qui interagissent dans les consultations : les caractéristiques du système de santé, et les politiques de dépistage mise en place dans chaque pays.
Que ce soit en France, en Grande Bretagne ou aux Pays-Bas, le professionnel de santé a très peu de temps pour s’entretenir avec la femme enceinte. Cependant, la pression temporelle en France est plus importante : les professionnels ont deux fois moins de temps que dans les deux autres pays et, dans le temps d’entretien imparti, ils doivent en plus procéder à la pesée de la femme enceinte et à un examen gynécologique.
En France, le professionnel demande que la femme donne immédiatement son consentement (ou lui fasse part de son refus) et il est obligé de remplir un formulaire de consentement éclairé qu’il signera ainsi que la femme enceinte. Ces formulaires n’existent ni en Angleterre, ni aux Pays-Bas. Or, le plus souvent, la femme le signe mais ne l’a pas lu !
En France, le professionnel peut recommander explicitement de faire le DPN : « Etant donné votre âge, il est préférable que vous fassiez ce test… ». Les professionnels sont très impliqués dans ces processus de décision et le consentement au dépistage est considéré comme acquis et même allant de soi. On interroge les femmes qui ne veulent pas le faire sur les raisons de leur refus. A celles qui donnent leur accord, rien n’est demandé.
Le système de santé français génère aussi ce type d’attitudes : la grossesse est très fortement médicalisée, les tests sont plus nombreux et l’accouchement plus technique. Aux Pays-Bas, la grossesse est considérée différemment : c’est un évènement naturel qui ne doit pas être médicalisé de façon excessive.
En France, les professionnels de santé reçoivent très peu de formation sur le DPN. Pourtant, les formations existent, mais c’est au professionnel d’aller les chercher dans des colloques ou des revues… C’est à lui d’avoir l’initiative. De plus, ces formations sont essentiellement techniques. A contrario, aux Pays-Bas, si les sages-femmes veulent proposer ce test, elles ont l’obligation de faire une formation. Et une formation qui inclut un volet de communication non directive.
En France, personne ne donne d’explication au cours des entretiens sur la trisomie 21. En Angleterre, c’est plus souvent le cas. Aux Pays-Bas, les femmes sont souvent mises en garde contre les conséquences négatives liées à ce test, et notamment en termes d’anxiété[3].
Aux Pays-Bas, la question a été débattue au Parlement, en Grande Bretagne un ministre s’est engagé sur ces questions, en France, c’est une politique de l’ombre pour un test qui est banalisé. En effet, le seuil de risque bas en France est de 1/250, et la HAS vient de l’élargir à 1/1000 femmes, avec l’introduction du DPNI dans le processus de dépistage. Tandis qu’aux Pays-Bas, le seuil de dépistage est de 1/200 et seulement de 1/150 en Grande Bretagne. Dans ces pays, moins de femmes sont considérées comme étant « à risque ».
Avec l’introduction du DPNI
Dans ses recommandations récentes, la Haute Autorité de Santé s’est prononcée en faveur de l’introduction du dépistage prénatal non invasif (DPNI) dans la politique française de dépistage de la trisomie 21 et a tracé les lignes d’utilisation de ce test (cf. Dépistage prénatal de la trisomie 21 : la HAS juge rentable les nouveaux tests et valide leur remboursement dans la précipitation et Dépistage prénatal non invasif de la trisomie 21 : l’hypocrisie française). Pour Carine Vassy, « les recommandations de la HAS sont préoccupantes ». L’agence de santé ne prévoit pas le financement pour une formation des professionnels de la santé sur ces sujets, et la durée de consultation ne sera pas étendue. Par contre, elle recommande de passer à un seuil de risque de 1/1000 : ce sont 30 000 femmes de plus qui seront « dépistées » chaque année.
La France se trouve donc dans une sorte de course au dépistage, à travers laquelle il est difficile de ne pas distinguer une volonté politique. Marc Dommergues, Professeur de gynécologie obstétrique à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière, dénonçait une politique de « dépistage instrumentalisé politiquement ». Les autorités de santé publique qu’il a consultées et auxquelles il a demandé qu’une information puisse être diffusée, ont récusé l’accusation : « Il n’y a pas de dépistage systématique de la trisomie 21 ». Pas de dépistage systématique. Pas d’information. Pas de remise en cause.
[1] Tests combinés du premier trimestre, ces examens incluent la mesure de la clarté nucale et le dosage des marqueurs sériques. En cas de tests positifs, la femme peut-être conduite, pour poser le diagnostic, à faire un examen invasif, l’amniocentèse.
[2] Enquête publiée dans la revue Social Science and Medicine en 2014.
[3] Sur l’anxiété des femmes face au DPNI, Gènéthique publiera très prochainement les résultats d’une étude.
Source Généthique.org