L’édito de Jean-Pierre Denis dans La Vie :
Deux mille enfants ont été séparés de leurs parents depuis que l’administration Trump a décidé d’emprisonner toutes les personnes arrêtées à la frontière mexicaine et de criminaliser à outrance l’immigration illégale. En Italie, le nouveau ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, a réclamé la création d’un fichier recensant les Roms. Mais que croyez-vous qu’il arrivât ? En cas d’élection, son parti semble promis au meilleur résultat jamais atteint. « Je jure de respecter les enseignements contenus dans ce saint Évangile », osait le même Salvini, le 24 février à Milan, brandissant bible et rosaire sur fond de cathédrale. « La Bible dit en de nombreux passages qu’il faut respecter la loi », a le culot d’asséner la porte-parole de Trump quand on lui demande ce que lui inspire le fait d’arracher des tout-petits à leurs parents. On aimerait mettre sous les yeux de cette chrétienne et de cette mère de famille les propos de tant d’évêques ou de cardinaux américains, et même de responsables évangéliques, dont beaucoup passeraient difficilement pour des anarchistes. Pape, prélats, ONG… partout l’institution catholique est vent debout devant une politique qui brise ce qu’elle tient pour le plus sacré. « C’est ma joie d’être évêque de l’Église catholique qui défend les plus fragiles, migrants et réfugiés, malades en fin de vie, enfants à naître. Essayons d’être cohérents », écrit Xavier Malle, depuis son diocèse des Hautes-Alpes, où se trouve le fameux col de l’Échelle.
Un nombre croissant de chrétiens, pratiquants ou non, estiment cependant qu’il faut opérer fermement le tri entre réfugiés véritables, minoritaires, et migrants cherchant une vie meilleure. Certains pensent même que l’Église s’intéresse plus aux étrangers qu’à leurs propres problèmes – notamment en Italie, où le chômage frappe un tiers des moins de 25 ans et où beaucoup de jeunes sont obligés de partir. Un raidissement s’observe un peu partout. Il fragilise encore davantage le gouvernement d’Angela Merkel, sous la pression de son aile droite bavaroise, celle-là même qui veut mettre des crucifix dans tous les coins. Les politiques de temporisation menées jusqu’ici par des gouvernements « raisonnables » donnent un sentiment d’impuissance ou d’hypocrisie, alors même qu’elles sont jugées de plus en plus inhumaines par une autre partie de l’opinion. Tout l’édifice démocratique s’en trouve ébranlé.
On se rapproche dangereusement d’une logique de guerre défensive, considérant ces jeunes hommes, ces femmes et ces enfants comme des ennemis.
Or la tension ne peut que croître. On compte 13,6 enfants par homme au Niger (en raison de la polygamie). Il y a 1,63 enfant par femme en Europe pour 4,39 en Afrique. Passée de 260 millions au moment des indépendances à 1,2 milliard, la population africaine doublera d’ici à 2050. Le Nigeria sera alors le pays le plus peuplé de la planète après l’Inde et la Chine. La croissance économique n’est pas assez rapide pour répondre à de tels besoins. Dès lors, que faire ? Durant la campagne présidentielle, La Vie avait interrogé Marine Le Pen. Puisque vous ne voulez plus aucun migrant, que ferez-vous pour les empêcher de venir ? Faut-il couler les bateaux en Méditerranée ? La question, jugée malséante, avait fait sortir la candidate de ses gonds. On n’en est pas tout à fait là, mais on se rapproche dangereusement d’une logique de guerre défensive, considérant ces jeunes hommes, ces femmes et ces enfants comme des ennemis, niant qu’ils soient nos frères.
Au-delà des actions humanitaires, des appels à lire l’Évangile ou des considérations éculées sur l’aide au développement, la question change de nature. Si l’on ne veut ni massacres ni basculement complet de l’Europe dans le nationalisme et le populisme, on attend une réponse globale, civilisationnelle, une vision chrétienne exprimée à l’échelle de l’angoisse des Européens et de l’espoir des Africains. Une encyclique sur l’Europe, la Méditerranée, l’Afrique, notre destin commun, serait nécessaire. Elle devrait répondre à ce dilemme : tous les peuples ont besoin de frontières, toute l’humanité est migrante. Et inclure un discours structuré sur la démographie, ce sujet que l’Église catholique a tant de peine à aborder, prisonnière qu’elle est du cadre donné par Humanæ vitæ, il y a 50 ans et de son discours nataliste.