Pour le sucession de Carlos Ghosn, étudier la gouvernance des Dominicains

Pour le sucession de Carlos Ghosn, étudier la gouvernance des Dominicains

Que penserait-on si finalement le successeur de l’emblématique patron soit un inconnu issu des rangs d’une des entreprises composant la galaxie de l’alliance ? Qu’il soit élu, non pas seul mais avec des conseillers pour un mandat limité ? Et qu’au terme de celui-ci, il redevienne un acteur comme les autres dans l’organisation.

Ces questions me sont venues en interrogeant le prieur d’un Couvent de Dominicains, alors que le chapitre provincial (instance démocratique) allait élire son responsable. En effet, cette gouvernance démocratique ne relève pas de la fiction, mais de la réalité d’une organisation religieuse au fonctionnement ancien. Cela nous ramène à un Moyen Âge qui comme le souligne Pierre-Yves Gomez est bien plus avancé démocratiquement que son image ne le laisse entendre. Il faut, comme le rappelle Leo Moulin souligner que la Grande Charte signée en 1215, prémisse d’un régime parlementaire, est crée alors que l’ordre cistercien fonctionne depuis un siècle déjà autour d’assemblées élues.

La multinationale de l’ordre dominicain

Dans la galaxie des ordres, les Dominicains se caractérisent par un fonctionnement particulier qui prévaut depuis 800 ans et prend la forme de principes de « gouvernement ». En quoi cette organisation, qui n’a ni actionnaire, ni client, qui vit sur la pauvreté pourrait enrichir la gouvernance des entreprises ?

D’abord, les Dominicains comptent 60 000 membres tout autour du globe : à ce titre, c’est finalement une multinationale de bonne taille. Sa singularité (qui est celle des ordres religieux en général) est son âge. Elle fonctionne depuis l’origine avec peu ou prou les mêmes règles présentes dans un petit livre, « le livre des constitutions et des ordinations » et pratique le management inter culturel depuis des siècles. Une nouvelle règle doit être validée à l’identique par trois chapitres généraux successifs. Le renouvellement des collèges éléctifs assure une légitimité au changement.

L’ordre des Dominicains se singularise particulièrement par son caractère démocratique.

Le « gouvernement » (puisque c’est le terme employé par l’ordre) est assuré à trois échelons : le couvent, la province (région) et le monde. Le Prieur, respectivement conventuel, provincial ou général est élu par des collèges larges, et pour un mandat limité dans le temps, et éventuellement renouvelable une fois. Il faut insister sur le fait que le Prieur, personnage central de l’organisation est un frère comme les autres qui le redevient au terme de son mandat. Il est au service de ses frères et d’une organisation qui le dépasse car étant présente avant lui et après lui. Par ailleurs, il appartient à une province et de ce fait, peut être élu Prieur d’un couvent qui n’est pas le sien.

Couvent des Dominicains, Guebwiller (HDR). Thomas Bresson/FlickrCC BY

Un sujet de réflexion pour les entreprises « libérées »

Plus surprenant encore, personne n’est candidat à une charge. Celui qui est élu a des compétences qui lui sont reconnues par ses pairs et qui permettront de répondre aux différents enjeux de l’organisation. C’est ce qui rend le processus électif assez rapide et simple. Un nom émerge rapidement, et pour reprendre la phrase du Prieur, « la décision se cueille comme un fruit mûr ». Une élection qui ne serait pas large et massive serait un mauvais signe. L’expression « ne pas avoir voix au chapitre » vient du fait qu’un couvent qui ne peut élire son responsable perd son pouvoir d’expression.

Cette caractéristique démocratique s’accompagne du fait de pouvoir participer au fonctionnement de l’ordre par le pouvoir de proposer. En effet, le droit de proposition et de pétition permet aux acteurs de communiquer les sujets qui leur semblent importants et de s’exprimer sur ces sujets en prenant position. Plus généralement, les Frères disposent d’une grande liberté qui leur permet d’innover, de créer, de tester. Il en résulte un vrai esprit… d’intrapreneuriat. Ceci conduit à une organisation libre, beaucoup plus que bien des organisations dites « libérées ».

Au delà de ce fonctionnement politique, il y a l’impact de la vie communautaire, donc autour de ce qui est commun. Cela peut sembler superflu d’insister sur ce terme. Il est pourtant essentiel. Ces 60 000 personnes partagent des conventions qui leur sont communes et collectivement défendues. Il faut bien rappeler que c’est l’organisation qui décide de l’acceptation d’un nouveau membre : il doit avoir la capacité de se reconnaître dans ce qui est partagé et commun.

Un cas de contraste

En termes de gouvernance, l’élection est un moment important qui marque pour la communauté son choix. Elle se retrouve et vit le moment, d’une façon intense… qui n’a rien à voir avec un séminaire ou un « team building » comme on le voit en entreprise. L’incarnation et le caractère vécu des principes font l’organisation et les acteurs.

Cependant, il ne faut pas faire de cette organisation un modèle mais un cas de contraste. Elle a aussi ses difficultés, ses doutes, ses « erreurs de casting ». Elle y répond autrement. Comment expliquer à celui avec qui l’on vit qu’il n’est pas à sa place ? Les réponses sont différentes, bien évidemment.

Cela doit nous amener à nous interroger sur les pratiques et à regarder ce cas qui est tout prêt de nous. La vraie question n’est-elle pas de savoir pourquoi ces organisations sont si peu étudiées ? Cette question est entière à l’heure ou Jeff Bezos pense possible la fin prochaine d’Amazon. Finalement, lequel de ces deux cas faire étudier dans les business school ?

 

Source The Conversation 

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