Les images du vieillard de tous les temps hantent toujours notre inconscient collectif, et les réactions spontanées vis-à-vis de la personne âgée sont parfois l’expression de l’anxiété que renvoient ces modèles. C’est dans ce cadre, et en raison de notre crainte de perdre la beauté ou la performance, que se construit l’âgisme. L’âgisme regroupe toutes les formes de discrimination, de ségrégation ou de mépris fondées sur l’âge. Ce terme, proposé en 1969 par Robert Butler, gérontologue, premier président du National Institute of Aging (Rockville, Maryland, USA), désirait alerter contre la tendance des sociétés occidentales à valoriser la beauté, la force et la performance, ce qui tend à créer de la discrimination envers les personnes âgées.
En y réfléchissant, on peut se demander ce qui pousse réellement à cette tendance. En effet, qui a envie d’être considéré comme vieux ? Ne sommes-nous pas tous prêts à gommer ce qui tend à nous rendre vieux ? En fait, nous sommes naturellement âgistes. Ce qui nous permet de penser autrement, c’est une culture et une réflexion éthique, personnelle et collective, qui nous montrent que l’âgisme est un non-sens. En effet, refuser de vieillir, c’est refuser notre avenir, sur le plan personnel comme sur le plan collectif. Une société qui ne respecterait pas les plus âgés est une société sans avenir. En effet, que penser d’une société qui indiquerait à ses membres qu’ils ne seront pas respectés lorsqu’ils seront âgés ? Qui respecterait ou travaillerait pour une société qui enverrait ce genre de signe ? Il existe une sorte de contradiction interne majeure dans notre société, qui protège contre les risques de la vie, qui dépense beaucoup pour la santé, la prévention et l’accompagnement social, et qui, dans le même temps, met à l’écart ceux qui vivent longtemps. Les personnes âgées représentent le fruit de ce travail collectif et des progrès qui l’ont permis. Œuvrer toute sa vie pour construire une société qui protège, c’est désirer en avoir le bénéfice. Les progrès de la médecine, de l’hygiène et plus largement de la santé publique ont réussi à augmenter notre espérance de vie, et donc, simplement, nous permettent de vivre plus longtemps. Et ce serait à exclure de notre avenir ?
On rétorquera que l’on veut bien vieillir, à condition que ce soit dans de bonnes conditions, avec une qualité de vie suffisante. Mais c’est le cas ! Le vieillissement n’altère profondément la qualité de vie que d’une minorité de personnes âgées (seuls 17 % des plus de 80 ans sont dépendants), et ce très tardivement. Mais nous ne le voyons pas. Nous préférons parler de ceux qui sont en difficulté. C’est vertueux si c’est pour améliorer leur condition ; c’est âgiste si nous n’avons rien à dire qui serait du côté de la chance de vivre longtemps. Or, malheureusement, c’est trop souvent le cas. Nombre de responsables politiques et de professionnels du monde de la santé, en particulier, n’ont à la bouche que le seul discours négatif, en permanence amplifié. On comprend le bénéfice que trouvent ces professionnels ou ces politiques à assombrir le tableau : cela leur permet de montrer à quel point ils sont utiles et combien ils œuvrent sans répit « pour » les personnes âgées. En fait, l’accumulation de ces discours les rend contre-productifs et envoie plutôt le message récurrent que vieillir est une malchance.
J’entends déjà toutes les réactions déclenchées par l’affirmation que vieillir est une chance. Chacun ira de son refrain sur telle personne qui est malade, qui est malheureuse, qui est seule, et plein d’autres exemples. De manière un peu surprenante, ce sont des personnes de 75 ans en pleine santé, entourées de leur famille, qui font des voyages et passent de bons moments avec leurs amis (il y en a beaucoup, c’est même la majorité), qui vont être les plus agressives vis-à-vis de l’âge. Si nous étions au clair avec notre âge, cela se saurait ! On entend parfois également des personnes qui disent vouloir mourir plutôt que vieillir. Mais de quoi parle-t-on ? De vivre longtemps ou d’être malade ? Car ce n’est plus pareil, et cela, il faut le faire savoir.