Point de vue – L’origine protestante de la politique et du droit moderne

Point de vue – L’origine protestante de la politique et du droit moderne

(Cet article est une reprise estivale d’une tribune datée du 31 octobre 2016)

Alors que commence officiellement aujourd’hui, 31 octobre 2016, l’année du cinquième centenaire de la Réforme protestante, avec la participation controversée du pape François, nous vous proposons, tout au long de cette année, un ensemble de tribunes pour comprendre l’histoire et les enjeux, afin d’éviter de confondre, œcuménisme et syncrétisme et de rester dans la ligne du pape posée à Assise, ni syncrétisme, ni relativisme. Une sorte de disputatio virtuelle. 

Miguel Ayuso, président de l’Union internationale des juristes catholiques, professeur de science politique et de droit constitutionnel à l’Université pontificale de Comillas (Madrid), a consacré un très important article publié en France par la revue Catholica, au thème de son étude  « L’origine protestante de la politique et du droit moderne ».

Il répond à Philippe Maxence pour l’Homme Nouveau.

Extraits

Ce que l’on appelle la Réforme protestante a constitué la véritable Révolution religieuse, de telle sorte que furent bouleversés tant la théologie que son présupposé métaphysique et qui, à partir de là, a eu des incidences décisives en philosophie pratique. Mon travail en particulier et, de façon générale, le livre qu’il conclut traitent des conséquences des théories et des options de Luther sur le plan éthique, politique et juridique, c’est-à-dire celui de la philosophie de la praxis. Le poids qu’a représenté le luthérianisme sur celui-ci a été à ce point déterminant qu’il est possible d’affirmer qu’il a marqué une « inflexion » qui a caractérisé toute la modernité.

 

L’école du traditionalisme espagnol a toujours considéré que « l’Europe » n’était pas autre chose que la sécularisation de la chrétienté. Le protestantisme a joué un rôle décisif dans un tel changement : non seulement par la destruction pratique de la chrétienté qui – selon l’expression de saint Bernard de Clairvaux – était un regroupement hiérarchique de peuples, reliés entre eux en conformité à des principes organiques en subordination au soleil de la papauté et à la lune de l’Empire et dont la rupture de l’unité religieuse entraîna celle de la politique, mais aussi par la révolution intellectuelle qui sépara la nature de la grâce, d’où procède le processus général de sécularisation.

 

On ne peut omettre que le monde protestant a laissé sa marque, plus profonde que ce qu’il paraît, en France où la minorité calviniste a toujours été influente. Sur ce point il est possible d’effectuer une nette différenciation entre les expériences française et espagnole, celle-ci étant fondée sur l’unité catholique et mue par un esprit de croisade, jusqu’à sa récente « européisation » – c’est-à-dire sa dissolution.

 

La gnose luthérienne consiste essentiellement au refus de l’être des choses créées, qui par effet de conséquence ont à se construire. Le point central réside dans la liberté négative, celle du refus de servir et celle de se donner à soi-même la loi : en dépit de ses origines très profondes et éloignées dans le temps – lucifériennes et adamiques pour commencer – elle trouva un climat culturel particulièrement favorable pour être à nouveau proposée et se développer avec la doctrine protestante. C’est l’idée luthérienne de la « liberté du chrétien », par la suite sécularisée, qui va être à l’origine et donner naissance à l’idéologie moderne. 

 

L’esprit calviniste et l’esprit libéral se sont renforcés réciproquement. Quoique la doctrine calviniste ait pu perdre de sa vigueur en de nombreux domaines, l’éthique calviniste a conservé sa force. Le protestantisme a nié la raison humaine et, par la suite, la valeur sacramentelle de la création : l’univers s’est trouvé alors réduit – comme le disait mon ami, le philosophe américain Frederick D. Wilhelmsen – à la matière première du manchestérisme.

 

Il convient tout d’abord de signaler que la modernité doit se comprendre comme un concept axiologique et non simplement chronologique. En outre elle est une et indivisible, contrairement à ce que prétendent les « conservateurs » de toutes sortes. Et Luther est le précurseur de la modernité. Lorsque l’on se confronte à cette question en dehors des chemins battus du conformisme et du cléricalisme, il faut reconnaître que le professeur Francisco Elias de Tejada avait raison de voir dans la Réforme luthérienne la première des ruptures qui ont engendré la modernité, avec celles de Machiavel, Bodin et Hobbes.

Articles liés

Partages