Le 2 novembre 2005, le Comité national d’éthique déconseillait « l’ouverture de l’aide médicale à la procréation à l’homoparentalité et aux personnes seules » 1 . Le 15 juin 2017, le même Comité d’éthique se prononce favorablement à l’AMP pour toutes2 . Ce qui n’était pas éthique en 2005 le deviendrait en 2017.
Le long avis de 2017 est intéressant. Il décrit l’évolution des techniques, des mœurs, des « demandes sociétales ». Il comprend de très nombreuses références… mais il manque la mention de son propre avis de 2005 ! Pourtant ce qu’il déconseille en 2005, il le conseille en 2017. Que s’est-il passé ?
Le texte du Comité d’éthique s’étend sur les « disjonctions » introduites dans la venue au monde de l’enfant. Ce qui est naturellement unifié et continu peut aujourd’hui, la science aidant, être séparé : l’acte sexuel humain, la rencontre de deux gamètes, la gestation, l’accueil d’un enfant, son éducation par des parents géniteurs ou « socialement institués ». Le comité d’éthique en prend acte. Au bout du compte de ces disjonctions, il y a l’enfant. Les personnes qui décident de vivre ces « disjonctions » ne seront jamais jugées. Et cet enfant est le bienvenu, et il le sera toujours.
Pour le chrétien, c’est toujours et un enfant de Dieu et un petit de l’homme et de la femme. Il a deux parents car il y a dans l’humanité voulue par Dieu deux sexes nécessaires à la procréation. L’enfant sera encore le bienvenu quand, au lieu de deux, trois parents réclameront d’être ses parents « sociaux », puisque le sexe des parents n’est plus impératif. De telles demandes pour trois parents (ou plus) ne sont pas imaginaires. C’est déjà le cas en d’autres pays. Honnêtement, le Comité d’éthique énonce des arguments contraires à l’AMP, tel que le risque avéré dans d’autres pays – sans doute en France aussi – de marchandisation du corps humain. Il pense que nous pourrons lutter contre. Il déclare être dans l’incertitude du bien de l’enfant devant l’absence programmée d’un papa. Il relève justement que ce n’est pas la même chose pour une veuve. Mais, en définitive, le Comité d’éthique déclare ne pas vouloir résister à l’évolution des mœurs (les disjonctions), et des demandes. En fait, il consacre « le droit à l’enfant » par tous les moyens.
L’homme se fait Dieu, du moins le tente-t-il.
Le Comité d’éthique recommande d’aller plus loin. Il faudra convaincre les résistants, sous couvert de solidarité : « En cas d’ouverture large à l’Insémination avec donneur, mener des campagnes énergiques, répétées dans le temps, dans le but d’augmenter les dons de sperme et de répondre aux besoins et aux demandes que pourrait entraîner cette évolution, est d’une absolue nécessité. » Bref, il faudra s’attendre à un matraquage : les hommes ne seront pas de bons citoyens s’ils ne se précipitent pas en laboratoire pour donner leur sperme.
Comment les chrétiens peuvent-ils entendre ce raisonnement qui prend acte des disjonctions et des possibilités de la science que rien ne semble pouvoir arrêter ?
En premier lieu, le chrétien sait que l’enfant est un don, et non un droit. Il sait qu’il n’est pas créateur mais seulement pro-créateur ! Il admire l’humilité de Dieu qui fait dépendre une vie de l’action humaine. Il le respecte, il combat en lui toutes les tentations de se faire Dieu, en mettant la main sur l’homme, à commencer par l’enfant qui serait le fruit de son seul désir, donc un droit. Il rend à Dieu sa place de Créateur, Lui qui l’a créé homme et femme. Et cela est bon, très bon, dit la Parole divine. Les catholiques peuvent aussi faire mémoire du Bienheureux pape Paul VI. En 1968, il indiquait, tel un prophète, la voie la meilleure pour le bien de l’enfant et du couple, au début de la vie : la conjonction et non la disjonction ! La conjonction entre l’acte sexuel humain et la procréation d’un enfant est le meilleur chemin. Cette unité est une joie de la procréation voulue par Dieu. Elle demeure un combat pour tous les couples. L’harmonie charnelle, le désir d’enfants partagé par les deux membres du couple, la décision et l’accueil de la nouvelle vie sont autant de joies que notre péché et nos faiblesses rendent parfois difficiles. Cela a toujours été, même sans l’apport des sciences. Les chrétiens demandent la grâce, dans la prière et les sacrements, de rechercher l’unité entre leur corps, leurs sentiments, leurs volontés, leurs âmes. Cela est bon, même très bon. Les chrétiens rendent grâce pour la belle expression de « procréation ». Ils sont co-créateurs et non créateurs. Le Comité d’éthique semble baisser les bras lorsqu’il parle – il est vrai entre guillemets – de « faire un enfant ».
Non, pour le chrétien, un enfant n’est jamais fabriqué. Il est reçu, accueilli dès les premiers instants de la conception comme un don de Dieu !
Puissent les catholiques s’entraider à suivre le beau chemin de l’unité et du respect de la vie. Sans Dieu, le Comité d’éthique fait sans doute ce qu’il peut. Avec Dieu, rien n’est impossible, et surtout pas le respect de la vie, le respect de la dignité de l’homme et de la femme, le respect des droits de l’enfant à vivre avec ses deux parents. Catholiques, nous ne pouvons utiliser la science contre Dieu. Les chrétiens proposeront toujours à la société un beau chemin d’humanité. Peuvent-ils le faire sans s’interroger sur leur propre manière de répondre à l’appel de l’Evangile ? Les enfants sont-ils vraiment accueillis par la communauté des disciples de Jésus, surtout les plus pauvres ? Dans la communauté ou parmi ses proches, n’y a-t-il pas trop de femmes isolées, laissées pour compte ? N’y a-t-il pas trop de couples laissés à leur seule conscience quand se présente l’infertilité ou bien un enfant probablement handicapé ? Comment nos communautés accueillent, écoutent, accompagnent-elles les personnes homosexuelles, ou trop seules ? Avec l’aide de l’Esprit Saint, dans les communautés catholiques, se développent l’attention aux familles, aux mamans, aux papas, à leurs vocations. Des pèlerinages, des catéchèses, des prières, des maisons de la famille se développent. Dieu n’abandonne pas ses enfants ! Aidons-le !
Rouen, le 5 juillet 2017
DOMINIQUE LEBRUN Archevêque de Rouen.
1 « L’AMP a toujours été destinée à résoudre un problème de stérilité d’origine médicale et non à venir en aide à une préférence sexuelle ou à un choix de vie sexuelle. L’ouverture de l’AMP à l’homoparentalité ou aux personnes seules ouvrirait de fait ce recours à toute personne qui en exprimerait le désir et constituerait peut-être alors un excès de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif. La médecine serait simplement convoquée pour satisfaire un droit individuel à l’enfant » (§ I.3.5 – Avis n° 90 adopté à l’unanimité moins une voix).
2 « La majorité des membres du CCNE se prononcent pour la recommandation d’ouverture de l’AMP aux couples femmes et aux femmes seules, sous réserve de la prise en compte de conditions d’accès et de faisabilité » (avis n° 126 adopté aux deux tiers des voix).