Le processus de paix est officiellement relancé avec les musulmans séparatistes de Mindanao. Le 7 novembre dernier, le président philippin Rodrigo Duterte a signé un décret présidentiel établissant une commission élargie pour la création du Bangsamoro, le « pays des Moros », nom donné aux musulmans de Mindanao, principale île du sud de l’archipel et deuxième plus grande en termes de superficie. En près d’un demi-siècle, la guérilla du Bangsamoro est devenue l’une des guérillas les plus meurtrières d’Asie du Sud-Est, avec 150 000 morts.
Au pouvoir depuis le 30 juin dernier, Rodrigo Duterte est le premier président des Philippines originaire de Mindanao, la grande île du sud de l’archipel. Un symbole fort pour beaucoup d’habitants de la région.
Avant d’être élu président, « j’étais le seul à parler [de Mindanao] car, malgré tout le respect que je dois aux autres [responsables politiques philippins], aucun n’a jamais eu la moindre idée des problèmes individuels de Mindanao (…). Peut-être par peur de s’aliéner les autres mais aussi d’admettre avec franchise qu’il y a un problème que nous devons résoudre », a déclaré Rodrigo Duterte, après avoir signé le décret.
Négocier la paix avec le MNLF et le MILF
Chargée de préparer un nouveau texte de loi pour le futur gouvernement du Bangsamoro, la commission élargie sera composée pour moitié de membres du Front moro de libération islamique, le MILF (onze membres dont le président de la commission sur un total de 21 personnes).
Dans la grande île du sud de l’archipel, l’islam a fait son apparition dès la fin du XIVe siècle, avant l’arrivée du christianisme avec le colonisateur espagnol au XVIe siècle. Aujourd’hui, les Philippines sont le principal pays catholique d’Asie, à plus de 80 %. De rite sunnite, l’islam est minoritaire dans le pays, sauf dans le Bangsamoro, situé au centre-ouest de Mindanao.
Le Bangsamoro envisagé est constitué des cinq provinces à majorité musulmane (plus certaines municipalités) : Basilan, Lanao del Sur, Maguindanao, les archipels de Sulu et Tawi-Tawi. Pour le moment baptisée officiellement « Région autonome musulmane de Mindanao » (ARMM), cette entité dispose déjà de son propre gouvernement politique. C’est la seule région dans ce cas au sein des Philippines.
En mars 2014, sous le précédent gouvernement Aquino, un accord de paix historique avait été signé avec le MILF, prévoyant la création d’une région semi-autonome. Le projet n’a jamais vu le jour, faute de ratification par le Congrès philippin. A son arrivée à la tête du pays, Rodrigo Duterte a voulu faire table rase, en élargissant le processus de paix au Front moro de libération nationale, le MNLF, le groupe de séparatistes musulmans dont est issu le MILF (à l’occasion d’une scission en 1990).
Nur Misuari reçu au palais présidentiel
En parallèle de la commission présidée par le MILF, le conseiller présidentiel pour le processus de paix Jesus Dureza a annoncé la mise en place d’un panel de cinq personnes avec à sa tête le fondateur du MNLF, Nur Misuari. Le 9 novembre, Rodrigo Duterte a reçu au palais présidentiel de Manille ce dernier, pourtant officiellement en fuite depuis le siège en 2013 de la ville de Zamboanga (située à la pointe sud de la façade occidentale de Mindanao). Au total, l’assaut avait déplacé 100 000 personnes. Selon Jesus Dureza, le président philippin a décidé de suspendre le mandat d’arrêt visant Nur Misuari afin de lui permettre de participer aux négociations de paix.
Les sultanats locaux, les communautés indigènes, les gouvernements locaux, les femmes, les jeunes pourront également y prendre part, a assuré Irene Santiago, représentante du gouvernement dans les négociations. « Les gens pourront s’asseoir à la table des discussions, eux aussi. Ce n’est pas réservé uniquement aux représentants du gouvernement, au MNLF ou au MILF », a déclaré la responsable politique, ajoutant qu’un projet de loi pourrait être soumis au Congrès dès la mi-2017.
Offensive contre Abu Sayyaf
Maire de Davao durant vingt ans avant d’être élu président de la République, Rodrigo Duterte affirme avoir rétabli la sécurité et transformé sa ville, la principale municipalité de Mindanao, en l’une des plus sûres du pays grâce à son combat contre la criminalité (aujourd’hui décrié à l’échelle nationale), mais aussi grâce à un dialogue permanent avec l’ensemble des groupes rebelles de la région.
« Si je pouvais obtenir un accord de paix avec les communistes et négocier quelque chose avec tous les groupes moro [MNLF et MILF], voire même avec Abu Sayyaf, si je pouvais simplement leur tendre la main en signe d’amitié et leur dire qu’il est grand temps de rétablir la paix pour nos enfants, alors j’aurais réussi », a poursuivi Rodrigo Duterte, dans son discours du 7 novembre.
Auparavant, le chef du MNLF, Nur Misuari, avait offert au gouvernement son aide pour lutter contre Abu Sayyaf, groupuscule islamiste spécialisé dans les enlèvements contre rançons et qui a rallié Daech. Depuis l’arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte, l’armée philippine a lancé une offensive tous azimuts contre Abu Sayyaf à Sulu et Tawi-Tawi pour tenter de sauver les otages. Le dernier Occidental libéré en échange du paiement d’une rançon est le Norvégien Kjartan Sekkingstad, propriétaire d’un complexe balnéaire sur l’île de Samal, au large de Davao ; il était détenu depuis un an sur l’île de Jolo (province de Sulu) et a été libéré à la mi-septembre. Deux de ses compagnons d’infortune de nationalité canadienne avaient été décapités par Abu Sayyaf.
Le 7 novembre, jour de la signature du décret présidentiel relançant le processus de paix, Abu Sayyaf a annoncé avoir tué à bord de leur bateau, au large de Tawi-Tawi, une touriste allemande et kidnappé son mari, alors qu’ils faisaient le tour du monde. Récemment, des marins indonésiens et vietnamiens ont été également capturés.
Source : Eglises d’Asie