Hier, jeudi 14 septembre, à 20h, le glas a sonné pendant 5 minutes à travers l’archidiocèse de Manille. Dans une lettre pastorale publiée le 8 septembre dernier, le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, demandait de faire sonner ‘la cloche des morts’ à l’intention des victimes de la politique antidrogue du président de la République Rodrigo Duterte.
Dans cette déclaration, qui est sans doute la plus engagée du cardinal contre les meurtres liés à la drogue, l’archevêque de Manille invite, sans le nommer, le président Duterte à renoncer à sa guerre antidrogue. « Nous ne pouvons permettre que la destruction de vies devienne normale. Nous ne pouvons gouverner la nation en tuant. Nous ne pouvons favoriser une culture philippine humaine et décente en tuant » dénonce le cardinal.
« Nous ne pouvons gouverner la nation en tuant »
L’archevêque de Manille n’est pas ni le premier ni le seul à faire sonner le glas : depuis la mi-août, les évêques des Philippines sont nombreux à avoir pris cette décision.
Le premier d’entre eux est sans doute Mgr Pablo Virgilio David, évêque de Caloocan et futur vice-président de la conférence épiscopale des Philippines, réputé être critique à l’endroit de la politique menée par l’actuel président de la République. Dans son diocèse se trouve la ville de Bulacain où, le 15 août dernier, les opérations anti-drogue ont fait 32 victimes, ce qui constitue le plus grand nombre de décès en un jour depuis le début de la guerre anti-drogue.
Pour le président Duterte, « Ce qui s’est passé à Bulacain est une bonne chose. Si nous pouvons tuer 32 personnes tous les jours, alors peut-être pourrons-nous réduire ce qui nuit à ce pays ». Mais parmi les victimes figurent notamment Kian delos Santos, un lycéen de 17 ans. Selon le rapport de police, le jeune homme aurait été abattu après avoir ouvert le feu sur les forces de l’ordre. Des vidéos de surveillance contredisent cette version des faits et montrent l’adolescent être emmené par les forces de police. Les policiers mis en cause ont depuis été suspendus et font l’objet de poursuites judiciaires pour homicide. Les Philippines ont été choquées par cette affaire, qui n’est a priori pas un cas isolé : plusieurs autres adolescents auraient été victimes de forces de l’ordre, comme le dénonce Human Rights Watch.
Suite à ce drame, l’évêque de Caloocan, Mgr Pablo Virgilio David, a pris la décision de faire sonner le glas dans son diocèse, chaque soir, à 20h, pendant dix minutes, et a condamné la politique du gouvernement qu’il qualifie de « naïve, totalement inadaptée et qui nécessité d’être évaluée sérieusement et repensée ».
Au lendemain de cette semaine du 14 août particulièrement meurtrière, le cardinal Tagle, dans une déclaration lue dans les églises de son archevêché, a dénoncé un « gâchis de vies humaines ». Il a fait appel aux consciences des narcotrafiquants et à celles de « ceux qui tuent même les personnes sans défense, en particulier ceux qui dissimulent leur visage ».
« Gâchis de vies humaines »
De son côté, Mgr Mgr Socrates Villegas, archevêque de Lingayen-Dagupan et président de la conférence épiscopale des Philippines (CBCP) jusqu’en décembre 2017, a annoncé que, dans son archevêché, à compter du 17 août, le glas retentira pendant 15 minutes, pour rendre hommage aux victimes de la guerre anti-drogue et « appeler à arrêter de soutenir les exécutions ». Il s’est indigné des consciences « devenues lâches dans l’expression de leur colère face au mal [qui ne sont] plus horrifiés par le bruit des armes et le sang qui coule sur le trottoir ». Il a en outre dénoncé des exécutions extra-judiciaires, auxquelles les forces de l’ordre étaient encouragées mais dont seules les pauvres étaient victimes.
Mgr Antonio Ledesma, archevêque de Cagayan de Oro, Mgr Honesto Ongtioco, évêque de Cubao, Mgr Roberto Malarri, évêque de San Jose, et Mgr Mgr Patricio Buzon, évêque de Bacolod, ont eux aussi fait sonner le glas.
Le président de la conférence épiscopale, Mgr Socrates Villegas, a publié le 12 septembre une lettre pastorale dans laquelle il invite les Philippins à lutter contre l’indifférence. Ainsi, il les fidèles à prier le rosaire et à allumer des bougies pour les victimes de la guerre antidrogue, et les prêtres à faire sonner le glas, du 23 septembre au 1er novembre, à 20h, à travers tout l’archipel.
« Nous reconnaissions le caractère démoniaque des drogues, mais nous désapprouvons vivement les‘solutions proposées’ pour mettre un terme à ce problème : une solution sans considération pour la justice, pour les droits de l’homme, pour la vie humaine » dénonce Mgr Ongtioco.
Ce n’est pas la première fois que l’Eglise catholique manifeste publiquement son opposition à la politique antidrogue du président Duterte. Ce dernier reste très populaire dans un archipel, comme en témoigne une étude du Social Weather Station, où les catholiques représentent plus de 80 % de la population.
Dans le projet de budget pour 2018, le parlement a accordé un budget de 1000 pesos philippins, soit 16 euros, à la commission des droits de l’homme. Selon l’article 13 de la Constitution des Philippines, cette commission, indépendante est chargée d’« enquêter sur toute forme d’atteinte aux droits de l’homme ». En 2017, son budget était de 749 millions de pesos.
Selon la police, depuis juillet 2016, 3.800 toxicomanes ou trafiquants présumés ont été exécutés.