Alors que les combats n’en finissent pas à Marawi, ville du Sud philippin où plusieurs dizaines de djihadistes sont retranchés dans quelques quartiers et résistent aux assauts de l’armée gouvernementale, le président philippin s’est montré particulièrement affirmatif ce 1er juin à Malacanang, le palais présidentiel à Manille. Selon lui, l’action en cours à Marawi n’est pas l’œuvre du groupe de djihadistes locaux dirigés par les frères Maute, mais « c’est purement ISIS [Etat islamique en Iraq et en Syrie – Daech selon son acronyme arabe] ». « L’attaque de Marawi a été planifiée bien en amont et je vous préviens : avant qu’ils ne soient défaits et cèdent [sous l’assaut des militaires], ils vont chercher à se répandre partout », a affirmé le président Duterte.
Pour les généraux philippins, l’analyse de la situation sur le terrain plaide également en faveur d’une action préparée de longue date. Selon eux, en effet, le raid monté par l’armée le 23 mai dernier visait à arrêter Isnilon Hapilon, un des dirigeants historiques du groupe islamiste Abou Sayyaf. Connu depuis quelque temps sous le nom de cheikh Mujahid Abou Abdullah al-Filipini, ce dernier a été désigné par Daech comme le leader de l’organisation terroriste aux Philippines – ce qui explique notamment que sa tête ait été mise à prix par les Etats-Unis pour cinq millions de dollars. Pour les généraux philippins, c’est uniquement parce que le groupe des frères Maute préparait une action sur Marawi qu’ils ont pu aussi vite et brutalement réagir face au raid des forces de sécurité. « La zone a révélé une grande quantité d’éléments qui indiquent que ces activités ont été planifiées longtemps avant notre arrivée sur place », a déclaré le général Restituto Padilla, porte-parole des forces armées philippines.
L’Asie du Sud-Est, une cible pour Daech
De fait, plusieurs éléments plaident en faveur de l’analyse du président philippin et de ses généraux. Avant même d’être en difficulté dans ses bases d’Irak et de Syrie, Daech a fait de l’Asie du Sud-Est un de ses objectifs principaux. Avec des pays à majorité musulmane comme l’Indonésie et la Malaisie, des régions comme le Sud thaïlandais ou le Sud philippin en proie depuis des décennies à des conflits séparatistes armés, l’Asie du Sud-Est est une région tout indiquée pour une organisation qui cherche à étendre son influence au-delà des frontières du monde arabe. Et la réponse des milieux islamistes à la propagande de Daech sur les réseaux sociaux a été de fait importante : aujourd’hui, une trentaine de groupes armés de la région ont prêté allégeance à Daech.
Est-ce à dire que Daech est en passe de s’implanter profondément dans la région ? Le nombre d’attentats revendiqués par l’organisation commis en Indonésie et aux Philippines en 2015 et en 2016 pourrait plaider en ce sens. Mais dans le cas philippin, Daech semble surtout en mesure de s’attacher l’allégeance de groupes certes visibles et capables de coups d’éclat, comme Abou Sayyaf ou les hommes du BIFF (Bangsamoro Islamic Freedom Fighters), mais insuffisamment structurés pour entrer dans une logique de conquête territoriale. Un groupe comme celui des frères Maute compterait parmi ses membres une forte proportion de combattants étrangers, malaisiens et indonésiens notamment, qui manquent d’implantation locale durable et forte.
Des « corridors de paix » négociés avec le MILF
Dans l’immédiat, afin de trouver une issue à la crise ouverte à Marawi, le président Duterte a remporté une victoire politique de taille lorsque, le 29 mai, le MILF (Front moro de libération islamique), la principale organisation musulmane avec laquelle Manille mène les négociations pour trouver une solution à la revendication d’autonomie des « Moros » (les musulmans) de Mindanao, a accepté d’engager ses hommes pour créer « des corridors de paix » à Marawi afin d’« aider à sauver les civils prix au piège des combats ». Le 30 mai, Rodrigo Duterte était présent à Davao, la ville de Mindanao dont il a été le maire durant vingt-deux ans, pour mener en personne les négociations avec les leaders du MILF, signifiant ainsi que l’armée philippine n’était pas d’abord engagée dans des combats contre les musulmans mais qu’elle agissait avec à ses côtés des forces rebelles musulmanes philippines contre des hommes agissant sous le drapeau d’une organisation étrangère.
Pour autant, une fois la crise de Marawi passée, il appartiendra au président Duterte de renouer les fils des négociations de paix entre le MILF et le gouvernement philippin, des négociations qui n’ont pas vraiment repris depuis les combats de Zamboanga en 2014 (vingt jours de violents combats entre les forces armées philippines et quatre cents militants islamiques) et le guet-apens tendu en janvier 2015 à des policiers d’élite venus arrêtés un terroriste malaisien lié à la Jemaah Islamiyah, formation indonésienne liée à Al-Qaida.
Des négociations de paix qui seront difficiles à renouer tant que la loi martiale, décrétée le 24 mai par le président sur la totalité de l’île de Mindanao, sera en vigueur. Du 27 mai au 1er juin devaient avoir lieu aux Pays-Bas des pourparlers entre des émissaires de la rébellion communiste active à Mindanao et des représentants du gouvernement philippin. Ces pourparlers ont été annulés à l’initiative du gouvernement philippin après que les chefs de la rébellion communiste ont déclaré qu’ils allaient intensifier leurs attaques contre les institutions gouvernementales tant que la loi martiale resterait en vigueur.
Source : Eglises d’Asie