Magistrat honoraire et commentateur habituel de la vie politique, Philippe Bilger se penche sur la question du vote catholique qui a marqué les dernières primaires de la droite et du centre. Ces dernières ont donné une victoire très nette à François Fillon. Il faut s’interroger sur les raisons d’une poussée aussi forte. La question du vote catholique, de l’empreinte catholique est donc posée.
Extrait de cette intéressante réflexion : “ce qui a suscité, sous la superficialité politique, une libération des coeurs et des esprits et donc l’adhésion majoritaire à François Fillon est la révolte des catholiques. “ Un phénomène à suivre. Le résultat des primaires traduit bien ce fait élémentaire que quelque chose se passe en France.
Voici l’article en question:
Les catholiques ne sont pas morts, dommage !
François Fillon, comme il était prévu, l’a largement emporté au second tour de la primaire LR et il sera le candidat de la droite en 2017.
Au-delà de l’analyse politique qui peut expliquer le sort différent fait par le peuple de droite et du centre à deux personnalités de qualité, je voudrais mettre l’accent sur un élan plus fondamental, une aspiration plus profonde qui ont structuré et bouleversé dans le bon sens cette campagne.
Le catholicisme non seulement n’est pas mort mais il a eu le front d’affirmer son existence. La catosphère, comme on la qualifie vulgairement, qui a “dopé François Fillon” (L’Obs), a été représentée en effet par un compétiteur brillant qui ne s’est pas caché sous la table démocratique mais a illustré des valeurs, des principes, des convictions trop vite étiquetés de conservatisme social alors que j’y vois plutôt un désir, une restauration de normalité sociale.
Le retour d’un catholicisme combatif est une grande nouvelle mais encore fallait-il qu’il trouvât une incarnation audacieuse et plausible. Cela a été le cas.
Pourtant ce n’était pas gagné et probablement ne seront pas éradiqués, d’un coup, de notre espace culturel et médiatique les procès indécents, les attaques indignes contre un catholicisme qui, avec le FN, était la seconde cible d’un journalisme sans inspiration.
Trop longtemps la pensée intelligemment conservatrice avait été moquée au bénéfice du progressisme même bête.
Un homme d’habitude moins sommaire, Laurent Joffrin, n’a pas hésité à comparer François Fillon et son projet à Tariq Ramadan (Libération) parce qu’il était intolérable que le catholicisme ne demeure pas dans les catacombes discrètes politiques et médiatiques où il était considéré à peine comme une partie intégrante de l’âme française, mais sans avoir le droit de le revendiquer.
A la suite de la Manif pour tous trop vigoureusement et injustement réprimée, les associations et organisations qui avaient pris conscience de leur force, de leur influence et de leur identité, sans avoir honte d’être ce qu’elles étaient et du terreau irremplaçable qui les unissait, étaient évidemment vilipendées pour les quelques outrances qu’on leur imputait quand des mouvements de gauche qui n’étaient constituées que d’excès et de violence étaient traités avec une indulgence infinie.
Dans la sphère audiovisuelle, quelques rigolards décérébrés et sans l’ombre d’une sensibilité, applaudis par des rires gras et des gloussements de satisfaction, traînaient dans une boue médiocre le catholicisme et tout ce qui y ressemblait.
Je me rappelle la condescendance avec laquelle la presse écrite, dans des portraits consacrés à des chefs d’entreprise ou à des personnalités, même sportives, soulignait leur nombre d’enfants et leur catholicisme. Comme si la relation de ces deux réalités démontrait une quelconque turpitude !
Le catholicisme est une religion, une morale, une sensibilité, des états d’âme, un ensemble de préceptes et de vertus dont il ne serait pas scandaleux, Dieu et César étant chacun dans son monde, qu’il irriguât tout de même la pratique politique.
Quand François Fillon, avec un courage que l’absurdité et les dérives dominantes rendaient provocateur alors qu’il était d’évidence, soulignait l’obligation d’une éthique publique, de comportements irréprochables de la part des gouvernants, que disait-il d’autre qu’une parole dont les tréfonds, chez lui, n’étaient pas sans lien avec sa foi, ce qui ne signifie pas qu’une exigeante conception laïque – elle a souvent des faiblesses – serait forcément démunie sur ce plan.
François Mitterrand, si discutable par ailleurs, avait bien compris la richesse d’une culture catholique bien au-delà de son incarnation religieuse strictement entendue.
Quand sur France Inter, dans une émission paraît-il humoristique, le maire d’Aulnay-sous-Bois Bruno Beschizza est ridiculisé grossièrement parce qu’il a pris le parti d’enlever, aux arrêts de bus près des écoles, des affiches montrant une homosexualité ostensible par les photos et avec des textes compliqués à expliquer à de jeunes enfants, quelle bronca autosatisfaite, quelle dérision, quels sarcasmes ! Pourtant il y avait dans ces préoccupations au moins de quoi faire réfléchir, émouvoir un monde digne de ce nom !
Cette information, ces futilités qui ne cessent pas de déformer, ce n’est plus supportable.
Il est vrai que ces plumitifs de la charge systématique anticatholique, longtemps ont pu s’ébattre à coeur joie contre un adversaire qui ne cessait pas de tendre l’autre joue. Une hiérarchie religieuse qui manquait de conviction et de courage, comprenait trop bien les criminelles dérives de l’islam et appréhendait avec une résignation tendrement affligée les assauts incessants menés contre elle et contre la papauté même si le pape François a mené, à sa manière, la rébellion.
Ce qui a suscité, sous la superficialité politique, une libération des coeurs et des esprits et donc l’adhésion majoritaire à François Fillon est la révolte des catholiques. L’affirmation tranquille et résolue, grâce à cet homme, de pensées, d’intentions, de dénonciations et d’exigences qui ne prêtaient non seulement pas à moquerie mais au contraire à fierté, à enthousiasme.
Par exemple, lors d’une émission sur France 2, Valérie Boyer, soutien talentueux et fidèle de François Fillon, était questionnée sur la famille comme si elle avait à justifier l’importance qu’elle donnait à cette valeur incontestable et structurante pour beaucoup. C’est cette étrangeté qui doit cesser : que la norme et les institutions fondamentales d’une société soient présumées coupables au point d’avoir à répondre de leur existence et de leur insupportable pérennité. La tradition n’est pas la trahison du progrès mais son exemple.
Le vainqueur de la primaire LR a sans doute gagné, bien plus que par son programme économique et financier, grâce à ce coup de force consistant à ne plus s’excuser d’être ce qu’il était, de penser et de sentir ce qu’il pensait et sentait mais à porter haut une manière d’être et de vivre en société qui, contre les forces de destruction et de délitement, avait besoin d’être clairement remise à l’honneur.
Les catholiques ne sont pas morts. Dommage pour ceux qui les rêvaient impuissants, effacés, sans pouvoir sur le pouvoir, chassés de la vie et de l’Histoire.
Leur corps bouge plus que jamais.
Source: Philippe Bilger, Justice au Singulier