Peut-on être chrétien et Franc-Maçon ? L’Eglise aurait-elle changé d’avis ?

Peut-on être chrétien et Franc-Maçon ? L’Eglise aurait-elle changé d’avis ?

Alors que François Hollande vient de rendre un hommage appuyé aux frères trois points, un mouvement insidieux voudrait laisser croire que l’Eglise serait devenue plus “ouverte” aux Franc-Maçons.

Cette étude publiée par ICHTUS pose à la fois le problème, son histoire et la position claire de l’Eglise.

La vérité, c’est qu’il n’y a pas d’entente possible entre l’esprit de la franc-maçonnerie : le culte de l’Homme affranchi du dogme et de la morale, seule interprète du bien et du mal, du vrai et du faux « sans intervention divine superflue » [[« Humanisme », juillet 1975.]], il n’y a pas le moindre compromis possible entre cette déification de l’Homme sans Dieu, et la religion du Dieu fait homme.

 

Est-il possible d’être à la fois chrétien et franc-maçon ?

La présente étude a pour objet de rappeler qu’il n’en est rien parce que la philosophie maçonnique est fondamentalement inconciliable avec la doctrine catholique

Un peu d’histoire

La franc-maçonnerie moderne, née de la constitution, par quatre loges londoniennes, le 24 juin 1717, de la Grande Loge de Londres, est-elle, comme elle le prétend, l’héritière des antiques confréries de « bâtisseurs de cathédrales » ?

La franc-maçonnerie a sans doute, historiquement, de lointaines origines chrétiennes. Toutefois :

– la maçonnerie traditionnelle des constructeurs et tailleurs de pierre qui périclitait depuis plusieurs siècles, mais survivait encore en Angleterre, fut amenée au cours du XVIIè siècle à s’ouvrir à des hommes tout à fait étrangers au métier. Or, ceux-ci ne tardèrent pas à devenir majoritaires au sein des loges. Aussi la franc-maçonnerie dite « spéculative » (principalement constituée d’intellectuels) s’est-elle finalement substituée à l’ancienne maçonnerie dite « opérative » (celle des gens de métier).

– Jusqu’en 1717, la maçonnerie britannique demeura néanmoins fidèle à la religion chrétienne, voire même à l’Eglise catholique romaine. En témoignent les statuts des loges et les obligations qu’ils contenaient (« old charges ») : ceux qui sont parvenus jusqu’à nous invoquent Dieu, la Sainte Trinité, la Sainte Eglise ou la Vierge Marie.

En 1720 ou en 1722, la majeure partie des archives des loges opératives d’antan fut volontairement détruite, à Londres, au cours d’un vaste autodafé, comme si l’on avait voulu qu’aucun maçon ne puisse plus, désormais, s’y reporter.

En outre, la nouvelle charte de la franc-maçonnerie moderne que sont les « Constitutions d’Anderson » de 1723 (qui furent rédigées par deux pasteurs protestants, James Anderson et Jean-Théophile Désaguliers) ne comporte plus la moindre référence à Dieu ni à la religion chrétienne. L’article 1er « concernant Dieu et la religion » se contente en effet d’affirmer qu’ »un maçon est obligé, par son titre, d’obéir à la loi morale, et s’il comprend bien l’Art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux. Bien que dans les temps anciens les maçons aient été tenus dans chaque pays de pratiquer la religion, quelle qu’elle fût, de ce pays, il est maintenant considéré plus à propos de seulement les astreindre à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord, laissant à chacun ses propres opinions, c’est-à-dire d’être hommes de bien et loyaux, ou hommes d’honneur et de probité, quelles que soient les dénominations ou confessions qui aident à les distinguer; de la sorte, la maçonnerie devient le centre d’union et le moyen de nouer une amitié sincère entre des hommes qui n’auraient pu que rester perpétuellement étrangers« .

Par rapport aux Anciens Devoirs de la franc-maçonnerie opérative, la rupture saute aux yeux : autrefois chrétienne, la franc-maçonnerie n’est plus, en 1723, que vaguement déiste. Il n’existe plus, désormais, pour Anderson et pour ses frères, écrit un ancien grand maître du Grand Orient de France, « qu’une seule obligation religieuse affirmée, c’est l’astreinte « à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord… être hommes de bien et loyaux, hommes d’honneur et de probité ». Anderson n’évoque ni Dieu, ni péché originel, ni rédemption, ni enfer, ni paradis, mais une large morale humaine (…).

Ainsi, dès 1723, les Francs-Maçons (…) posent les principes d’une nouvelles morale.

De telles idées devaient mener loin et, valables sous toutes les latitudes, elles constituaient vraiment une « religion universelle », au sens étymologique du mot puisqu’elles reliaient les hommes entre eux » [[Jacques Mitterrand, « La politique des francs-maçons », Roblot (1984), pp. 42-43.]].

Héritière de la Grande Loge de Londres de 1717, la Grande Loge Unie d’Angleterre est incontestablement « the mother lodge in the world » : la Grande Loge Mère d’où l’ensemble de la franc-maçonnerie moderne est issu.

La franc-maçonnerie a cependant perdu son unité d’origine depuis qu’au XIXè siècle, plusieurs obédiences se sont affranchies de la tutelle de la Grande Loge d’Angleterre.

« Il est à noter que, par la grâce de Dieu, toutes les branches de l’arbre maçonnique se détestent fraternellement les unes les autres. Leurs divisions font notre salut. Il en est de la franc-maçonnerie comme du protestantisme : il y a unité de nom et de haine, mais division à l’infini entre toutes les sectes de la Secte. La division est le caractère des oeuvres de Satan parce que l’unité ne subsiste que dans la vérité et dans la charité« , écrivait en 1884 Mgr de Ségur dans son étude sur « Les francs-maçons ».

Les trois principaux courants qui, de nos jours, divisent la franc-maçonnerie sont très schématiquement les suivants :

1 – La franc-maçonnerie dite « régulière », c’est-à-dire celle que reconnaît comme telle la Grande Loge Unie d’Angleterre qui, après avoir plusieurs fois remanié le texte des Constitutions d’Anderson en 1738, en 1784, en 1813 puis en 1929, impose par ses « landmarks » (principes fondamentaux) la croyance en Dieu, Grand Architecte de l’Univers. En France, la seule obédience « régulière » aux yeux de la Grande Loge Unie d’Angleterre est la Grande Loge Nationale Française (GLNF).

2 – La franc-maçonnerie « athée », ou plus précisément agnostique dont l’archétype est le Grand Orient de France. Cette obédience n’est plus reconnue comme « régulière » par la Grande Loge d’Angleterre depuis l’abandon, au nom de la liberté de conscience, de toute référence au Grand Architecte de l’Univers dans ses statuts en 1877. En fait, le Grand Orient de France (et la famille de pensée qu’il représente) est plus fidèle au texte initial des Constitutions d’Anderson de 1723, que la Grande Loge d’Angleterre qui en a modifié l’esprit. Il ne fait que « tirer les ultimes conséquences des principes maçonniques alors qu’elles restent plus ou moins latentes dans la maçonnerie anglo-saxonne et spécialement dans la branche anglaise » [[L. de Poncins, in « La Franc-maçonnerie d’après ses documents secrets », Diffusion de la Pensée Française (DPF), 1972.]].

3 – Enfin, la franc-maçonnerie de rite écossais dont certaines obédiences, comme la Grande Loge de France, bien qu’elles travaillent à la gloire du « Grand Architecte de l’Univers », ne sont pas reconnues par la Grande Loge Unie d’Angleterre parce que pour elles, le Grand Architecte de l’Univers n’est qu’un symbole :
« La franc-maçonnerie se garde bien de définir le Grand Architecte de l’Univers et laisse à chacun de ses adeptes pleine latitude pour s’en faire une idée conforme à sa foi et à sa philosophie » [[Oswald Wirth, in « L’idéal initiatique », cité par A. de Lassus in « Connaissance élémentaire de la franc-maçonnerie », AFS .]].

En tout état de cause, « aucune interprétation particulière ne saurait être imposée à tout franc-maçon, aussi bien en ce qui concerne le Grand Architecte de l’Univers et le Volume de la loi Sacrée, ni aucune lecture privilégiée » [[« Jardin caché », livret du Conseil Fédéral de la Grande Loge de France (mars 1994).]].

La franc-maçonnerie « régulière »

Existe-t-il une différence essentielle entre la franc-maçonnerie « régulière » et les obédiences « irrégulières » ? Un catholique peut-il appartenir à la franc-maçonnerie régulière au motif qu’elle reconnaît l’existence de Dieu et qu’elle ne serait pas hostile à l’Eglise ? C’est en tout cas ce qu’ont soutenu l’écrivain catholique (et franc-maçon) Alec Mellor ou le R.P. Riquet.

Or, il y aurait beaucoup à dire sur la prétendue neutralité ou la soi-disant bienveillance de la franc-maçonnerie régulière à l’égard de l’Eglise catholique.

Contrairement aux idées les plus communément répandues, l’anti-cléricalisme actif et militant n’est pas le propre des obédiences « irrégulières ». Autrement dit, la régularité maçonnique « n’est pas synonyme de respect inconditionnel du catholicisme ou d’absence d’anti-cléricalisme, note Luc Nefontaine. On connaît par exemple le rôle joué par le Grand Orient d’Italie dans la laïcisation de l’Etat et dans la revendication de l’abolition des Accords du Latran. La maçonnerie américaine elle-même, si tolérante et si ouverte sur le monde, n’a pas été exempte de manifestations anti-catholiques ou anti-papistes » [[Luc Nefontaine, « Eglise et franc-maçonnerie », éditions du Chalet (1990), p. 64.]].

Selon d’éminents historiens de la franc-maçonnerie comme le frère Albert Lantoine, l’évolution de la franc-maçonnerie et ses rapports conflictuels avec l’Eglise catholique s’expliquent par les origines protestantes de la Grande Loge de Londres :

« Le mobile des fondateurs de la Franc-maçonnerie, écrit-il, ne fut pas de grouper des penseurs libres mais des croyants de diverses religions. Nous leur prêtons encore, en disant cela, une intelligence beaucoup trop généreuse. Il est beaucoup plus exact de dire qu’on entendait créer un trait d’union entre les deux branches de la religion protestante (avec, en Angleterre, l’hypocrite arrière-pensée d’évincer doucement les catholiques). La preuve en est dans le tripatouillage des anciens textes, des old charges aux formules trop catholiques auquel se livra le pasteur Anderson… Donc, dès la genèse de l’institution, nous voyons que la lettre n’enferme pas du tout l’esprit, qu’elle est une fallacieuse enseigne pour faire entrer dans cette succursale de la boutique huguenote les hommes réfléchis… » [[Albert Lantoine in « La franc-maçonnerie chez elle », cité par J. Marquès-Rivière dans « La trahison spirituelle de la franc-maçonnerie », Jean-Renard, 1941, p. 41.]].

Sans doute est-ce la raison pour laquelle, de nos jours encore, « la Grande Loge Unie de Grande Bretagne (…) ainsi que les nombreuses obédiences de l’Amérique du Nord, ne comportent absolument pas de catholiques (…). Ajoutons qu’il en est certainement de même dans tous les pays plus ou moins régis par les normes maçonniques anglo-saxonnes : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, auxquelles on pourrait ajouter l’Afrique du Sud (…). Les franc-maçonneries scandinaves sont strictement régulières, mais d’inspiration nettement luthérienne. Par conséquent, quand on examine cette carte du monde, on est bien obligé de constater que sur le plan chrétien, ce sont les différentes « dénominations » protestantes qui sont susceptibles d’inspirer spirituellement les Grandes Loges maçonniques« , constate pour sa part Yves Marsaudon, Grand Commandeur Honoraire du Suprême Conseil de France [[Yves Marsaudon, « Souvenirs et réflexions », Editions Vitiano, p. 361.]].

En Angleterre, des liens particulièrement étroits ont toujours existé entre l’Eglise anglicane et la Grande Loge d’Angleterre, qui compte d’ailleurs dans ses rangs de nombreux ecclésiastiques, l’une et l’autre ayant un seul et même chef « protocolaire » en la personne du souverain lui-même [[Les femmes sont traditionnellement écartées de la franc-maçonnerie régulière; c’est le Duc de Kent qui exerce actuellement les fonctions de Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre par procuration de la Reine Elisabeth.]].


Faut-il en conclure que la Grande Loge Unie d’Angleterre, à défaut d’être favorable au catholicisme, est au moins d’inspiration chrétienne ?

C’est précisément ce que contestent tant le livre du Révérend méthodiste C. Penney Hunt : « The menace of Freemasonry to the christian faith » (1930), que l’étude intitulée « Darkness visible » que le Révérend Walton Hannah publia en 1952 (« Je suis fermement convaincu que pour un chrétien, s’engager dans une organisation religieuse, ou quasi religieuse, dont les prières et la croyance en Dieu excluent délibérément le nom de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ est une apostasie », écrivait-il en guise d’introduction), et surtout le livre remarquablement documenté que Stephen Knight fit paraître en 1983 : « The brotherhood ».

Ce dernier ouvrage eut un tel retentissement en Angleterre qu’en juin 1986, une commission de l’Eglise anglicane élabora un premier rapport intitulé : « Freemasonry and Christianity are they incompatible ? » à la suite duquel le Synode général de l’Eglise anglicane dût lui-même reconnaître, par 394 voix contre 52, d’une part que certains rites maçonniques sont « hérétiques » et « blasphématoires », et d’autre part que l’appartenance à la franc-maçonnerie régulière est incompatible avec la foi chrétienne (déclaration du 13 juillet 1987).

En France, la Grande Loge Nationale Française n’en continue pas moins à séduire de nombreux catholiques, faussement convaincus que la franc-maçonnerie régulière n’a rien d’incompatible avec la foi chrétienne.

Or, l’Eglise catholique condamne depuis plus de 250 ans (1738) la franc-maçonnerie dans son ensemble et non point seulement lorsqu’elle est « athée » (les papes n’ont d’ailleurs pas attendu l’abandon du Grand Architecte de l’Univers dans les statuts du Grand Orient de France en 1877 pour se prononcer), parce que ses principes sont, dans tous les cas, inconciliables avec la doctrine catholique.

Pourquoi l’Eglise condamne-t-elle la franc-maçonnerie ?

Selon certains historiens et quelques théologiens, seules d’inavouables raisons politiques et purement contingentes (la lutte en Angleterre entre la dynastie des Stuart et celle des Hanovre protestants pour lesquels la franc-maçonnerie anglaise prit parti) seraient à l’origine de l’excommunication des francs-maçons par Clément XII en 1738, et depuis lors, la condamnation de la franc-maçonnerie par l’Eglise serait dépourvue de tout fondement doctrinal sérieux.

Telle est très brièvement résumée la thèse qu’Alec Mellor développait au début des années 60 [[Alec Mellor, « Nos frères séparés, les francs-maçons », Mame, 1961.]] et que le père Ferrer-Benimeli (s.j.), professeur à l’Université de Saragosse, reprend aujourd’hui à son compte [[J.A. Ferrer-Benimeli : « Les archives secrètes du Vatican et de la Franc-Maçonnerie » Dervy-Livres, 1989.]].

C’est faire bien peu de cas des condamnations répétées de l’Eglise à l’encontre de la franc-maçonnerie (ou de la « secte impie »), non seulement par la bulle « In Eminenti » du 28 avril 1738, par laquelle Clément XII interdit aux catholiques, sous peine d’excommunication, « d’entrer dans lesdites sociétés de francs-maçons », ou la bulle « Providas » du 16 mars 1751 par laquelle Benoit XIV confirme la sentence dictée par son prédécesseur, mais aussi par les mises en garde de :
– Clément XIII en 1758 (« A quo die »), 1759 (« Ut Primum ») et 1766 (« Christianae republicae salus »).
– Pie VI en 1775 (« Inscrutabile »).
– Pie VII en 1820 (« Ecclesiam a Jesu Christo »).
– Léon XII en 1825 (Constitution apostolique « Quo graviora »).
– Pie VIII en 1829 (« Traditi Humilitati »).
– Grégoire XVI en 1832 (« Mirari Vos »).
– Pie IX en 1846 (« Qui pluribus »), en 1849 (« Quibus quantique ») et en 1865 (« Multiplices Inter »).
– et surtout Léon XIII en 1884 (« Humanum Genus »), en 1892 (Lettre à l’épiscopat d’Italie et Lettre au peuple italien, toutes deux datées du 8 décembre).
Selon l’ancien Code de Droit canonique de 1917, les catholiques affiliés à la franc-maçonnerie ou d’autres associations du même genre intrigant contre l’Eglise ou les pouvoirs civils légitimes, encouraient « ipso facto » l’excommunication réservée au siège apostolique (canon 2335).

Le nouveau code promulgué le 27 novembre 1983 ne mentionne plus expressément la franc-maçonnerie et se contente d’énoncer que quiconque adhère à une association qui agit contre l’Eglise doit être puni d’une juste peine et que quiconque soutient ou dirige une telle association doit être frappé d’interdit (canon 1374). Aussi les catholiques qui adhèrent à la franc-maçonnerie ne sont-ils plus automatiquement excommuniés comme autrefois.

En revanche, et pour couper court à toute interprétation fallacieuse selon laquelle la « double appartenance » à l’Eglise et à la franc-maçonnerie serait désormais tolérée, la Sainte Congrégation pour la Doctrine de la foi publia le 26 novembre 1983 une « déclaration sur la franc-maçonnerie », signée du Cardinal Ratzinger, précisant clairement que le jugement négatif de l’Eglise sur la franc-maçonnerie demeure inchangé, parce que ses principes ont toujours été considérés comme incompatibles avec la doctrine de l’Eglise; c’est pourquoi il reste interdit par l’Eglise de s’y inscrire. Les catholiques qui font partie de la franc-maçonnerie sont en état de péché grave et ne peuvent s’approcher de la Sainte Communion [[Cf le texte complet de cette déclaration et le commentaire de l’ »Osservatore romano » du 23 février 1985 en pages 14 et 15 de ce numéro.]].

Il ressort donc, non seulement de la déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 26 novembre 1983, mais des principaux documents pontificaux relatifs à la franc-maçonnerie que nous avons mentionnés, en particulier l’encyclique « Humanum Genus » de Léon XIII (20 avril 1884) entièrement consacrée à « la secte des francs-maçons », que la franc-maçonnerie est condamnée dans son ensemble (sans distinction de rites ou d’obédiences), parce que ses principes fondamentaux sont absolument incompatibles avec la doctrine de l’Eglise, qu’elle soit « déiste » ou « athée », « régulière » ou « irrégulière ».
Concrètement, les motifs essentiels pour lesquels l’Eglise condamne la franc-maçonnerie sont au nombre de trois :


1-Le naturalisme et le laïcisme

Le naturalisme ne consiste pas tant à nier l’existence de Dieu, qu’à refuser d’en tirer les conséquences dans l’ordre humain. Aussi la société doit-elle être organisée comme si Dieu n’existait pas.

« Il s’agit pour les francs-maçons, proclame Léon XIII dans « Humanum Genus », et tous leurs efforts tendent à ce but, il s’agit de détruire de fond en comble toute la discipline religieuse et sociale qui est née des institutions chrétiennes, et de lui en substituer une nouvelle façonnée à leurs idées, et dont les principes fondamentaux sont empruntés au naturalisme (…).

Or, le premier principe des naturalistes, c’est qu’en toutes choses la nature ou la raison humaine doit être maîtresse et souveraine. Cela posé, s’il s’agit des devoirs envers Dieu, ou bien ils en font peu de cas, ou ils en altèrent l’essence par des opinions vagues et des sentiments erronés. Ils nient que Dieu soit l’auteur d’aucune révélation. Pour eux, en dehors de ce que peut comprendre la raison humaine, il n’y a ni dogme religieux, ni vérité, ni maître en la parole de qui, au nom de son mandat officiel d’enseignement, on doive avoir foi. Or, comme la mission tout à fait propre et spéciale de l’Eglise catholique consiste à recevoir dans leur plénitude et à garder dans une pureté incorruptible les doctrines révélées de Dieu, aussi bien que l’autorité établie pour les enseigner avec les autres secours donnés du ciel en vue de sauver les hommes, c’est contre elle que les adversaires déploient le plus d’acharnement et dirigent leurs plus violentes attaques (…).

Ainsi, dût-il lui en coûter un long et opiniâtre labeur, elle se propose de réduire à rien, au sein de la société civile, le magistère et l’autorité de l’Eglise; d’où cette conséquence que les francs-maçons s’appliquent à vulgariser, et pour laquelle ils ne cessent pas de combattre, à savoir qu’il faut absolument séparer l’Eglise et l’Etat. Par suite, ils excluent des lois aussi bien que de l’administration de la chose publique la très salutaire influence de la religion catholique, et ils aboutissent logiquement à la prétention de constituer l’Etat tout entier en dehors des institutions et des préceptes de l’Eglise« .

En France, cette « prétention de constituer l’Etat tout entier en dehors des institutions et des préceptes de l’Eglise » déboucha, sous la IIIè République, sur tout un arsenal de lois et de règlements tels que :
– l’expulsion forcée de 265 congrégations religieuses non autorisées en 1880 (Jésuites, Dominicains, Bénédictins, Franciscains, Carmes…),
– l’interdiction de tout enseignement religieux dans les écoles publiques par la loi du 28 mars 1882,
– la suppression des aumôneries militaires en 1883,
– la suppression en août 1884 des prières publiques prévues au Parlement dans la Constitution de 1875,
– la fermeture de la quasi totalité des écoles catholiques du pays (16.000 établissements congréganistes) et l’adoption d’une loi interdisant à toute congrégation d’enseigner en 1904,
– la rupture en 1904 également des relations diplomatiques entre la France et le Vatican,
– enfin, le vote de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en décembre 1905, loi selon laquelle la République ne reconnaît plus aucun culte…
Mise en oeuvre par des francs-maçons notoires comme Jules Ferry (ministre de l’Instruction publique de 1879 à 1883) ou Emile Combes (président du Conseil entre 1902 et 1905), et destinée à priver l’Eglise et la foi catholique de toute assise et de toute influence sociales, cette politique (en particulier les lois scolaires relatives à la laïcisation de l’enseignement) sont largement à l’origine de la déchristianisation actuelle du pays.


2-Le relatisvisme doctrinal

Un « relativisme érigé en dogme » : c’est ainsi qu’Henri Tincq, chroniqueur religieux du « Monde », résume en quelques mots le tour d’esprit maçonnique [[« Le Monde » du 16 novembre 1985.15 – « Jardin caché…. », livret du Conseil fédéral de la GLF.]].

La franc-maçonnerie proclame la relativité de toute vérité. Elle se donne pour objet « la recherche de la Vérité dans la Liberté » [[Note n°15 non trouvée en bas de page]]… à condition que nul n’ait jamais la prétention de l’atteindre ou de la connaître avec certitude : « N’est libre que celui qui cherche et qui réfléchit… L’homme qui croit n’est plus libre », s’exclamait le frère Jammy Schmidt, orateur du Convent du Grand Orient de France en 1925 [[Convent du GODF de 1925, compte-rendu (p. 431), cité par J. Marquès-Rivière, opus cit., p. 190.]].

« La méthode maçonnique, soutenait Richard Dupuy, grand maître de la Grande Loge de France, le 20 juillet 1968, à l’occasion du Convent de son obédience, c’est la remise en cause perpétuelle de ce qui est acquis (…), c’est la certitude que nous avons, au plus profond de nous-mêmes, de par notre initiation traditionnelle, que nous sommes incapables d’énoncer, une fois pour toutes, une vérité éternelle, une vérité absolue, mais que nous sommes capables de découvrir la vérité à condition que nous ayons la volonté de la rechercher perpétuellement et de remettre en question les certitudes dans lesquelles nous étions assis la veille » [[Cité par Jean Ousset dans « Marxisme et Révolution », C.L.C., p. 182.]].

« Nous nous garderons d’oublier que la franc-maçonnerie est dès l’origine l’ennemie de tout absolu, qu’elle proclame que la vérité n’est jamais acquise (…). Tout est relatif, toute fin est transitoire, tout pouvoir est contestable », rappelait quant à lui l’ancien grand maître du Grand Orient de France, Michel Baroin, sur les ondes de « Radio-France », le 4 février 1979.

« La vérité n’est ni splendide ni affreuse, elle est inqualifiable », précise pour sa part Gilbert Abergel en tant que grand maître du Grand Orient de France, à propos de la récente encyclique « Veritatis Splendor » de Jean-Paul II. « Elle est inqualifiable. Elle est cet objet quêté : dès lors qu’elle est prétendue atteinte, elle confine au dogme » [[« Humanisme » n° 213, décembre 1993.]].

« Nul ne doit affirmer : « la vérité vous rendra libres »; c’est au contraire la liberté qui peut conduire à la vérité », soutient l’ancien grand maître de la Grande Loge de Farnce, Henri Tort-Nouguès, [[Au cours de la discussion qui suivit la projection du film « Jardin caché », rue de Puteaux, au siège de la Grande Loge de France, en présence de Mgr Thomas, le 22 mars 1994.]].
La franc-maçonnerie ne conteste pas forcément l’existence de la vérité, mais elle nie la possibilité d’une connaissance objective de la vérité.

La liberté de pensée n’est d’ailleurs à ses yeux qu’ »une absence complète de lien à l’égard d’une vérité immuable, d’un ordre transcendant; ce qui conduit au refus de se soumettre à l’ordre naturel et à l’ordre surnaturel » [[Arnaud de Lassus, « Connaissance élémentaire de la Franc-Maçonnerie », AFS, p. 73.]], conception purement subjective et dérivée de la doctrine protestante du « libre examen » qui fait de la conscience individuelle le juge suprême du bien et du mal, du vrai et du faux.

Enfin, la tolérance dont elle se réclame n’est, en fait, qu’un autre aspect du relativisme qui la caractérise. « La tolérance, explique Alain Gérard dans la revue des francs-maçons du Grand Orient de France, ce n’est pas camper sur ses propres positions en attendant que l’autre cède : c’est au contraire accepter à chaque instant de tout remettre en jeu » [[« Humanisme » n° 181-182, septembre 1988.]].

Cette attitude est, une fois de plus, en totale opposition avec la conception chrétienne de la tolérance qui ne consiste pas à confondre ou à nier le bien et le mal, à pactiser avec l’erreur ou transiger avec elle, mais à faire preuve de patience et de miséricorde envers tout homme.

« La doctrine catholique nous enseigne que le premier devoir de la charité n’est pas dans la tolérance de convictions erronées, quelques sincères qu’elles soient, ni dans l’indifférence théorique ou pratique pour l’erreur où nous voyons plongés nos frères… Si Jésus a été bon pour les égarés et les pécheurs, il n’a pas respecté leurs convictions erronées… : il les a tous aimés pour les instruire, les convertir, les sauver », proclamait Saint Pie X dans « Notre charge apostolique« .

Ce relativisme doctrinal n’est pas sans graves implications sur le plan religieux comme sur le plan moral :

– Sur le plan religieux : ce relativisme a nécessairement pour conséquence le refus de tout dogme et de toute révélation.

Au futur apprenti qui sollicite son initiation au grade d’apprenti, c’est-à-dire son admission dans la franc-maçonnerie, il n’est rien demandé d’autre que d’admettre qu’aucune « vérité » n’est indiscutable et qu’aucune croyance n’est à l’abri du doute, ce qui pour un catholique est naturellement incompatible avec sa profession de foi.

Car, n’en déplaise au Grand Orient de France, la foi n’est pas « une expérience, une façon de vivre, une façon d’être : un sentiment éprouvé bien davantage qu’une connaissance ou qu’une adhésion » qui « n’hésite pas à se remettre en question » [[Alain Gérard, « Franc-maçonnerie et catholicisme » in « Humanisme » n° 181-182, septembre 1988.]]. Elle est au contraire, rappelle le « Catéchisme de l’Eglise Catholique« , « l’assentiment libre à toute la vérité que Dieu a révélée » parce qu’ »il est juste et bon de se confier totalement en Dieu et de croire absolument ce qu’Il dit » [[Cf. « Catéchisme de l’Eglise Catholique », n° 150.]], et « le Magistère de l’Eglise engage pleinement l’autorité reçue du Christ quand il définit des dogmes, c’est-à-dire quand il propose, sous une forme obligeant le peuple chrétien à une adhésion irrévocable de foi, des vérités contenues dans la Révélation divine ou des vérités ayant avec celles-là un lien nécessaire » [[« Catéchisme de l’Eglise Catholique », n° 88.]].

D’ailleurs, la franc-maçonnerie n’admet la présence de catholiques dans ses rangs qu’« à condition qu’ils acceptent les principes maçonniques de tolérance, d’esprit d’ouverture et de laïcité » [[André Combes, « Eglise de France et franc-maçonnerie », in « Humanisme » n° 208-209, mars 1993.]]. « Il faut absolument, écrivait en 1776, le frère Jacques Mauvillon, qu’en adorant l’architecte suprême avec sincérité, et à leur manière, ils ne condamnent absolument point, et en aucune façon, ceux qui l’adorent de telle autre manière que ce soit » [[Cité dans « Humanisme » n° 193, octobre 1990, p. 30.]].

– Sur le plan moral : relativiste par essence, la franc-maçonnerie ne saurait admettre qu’une morale objective, universelle et considérée comme intangible puisse s’imposer à l’ensemble de la société. Aussi combat-elle ce qu’elle appelle la « morale traditionnelle » avec la prétention chimérique d’élaborer dans ses loges une éthique indépendante de l’Eglise et libérée de tous les « préjugés » du passé : « Il n’y a pas de morale universelle à soubassement divin; la morale étant essentiellement contingente, elle évolue, elle n’est pas transcendentale. Ce qui est vrai aujourd’hui, se révèlera faux demain« , soutient Henri Caillavet [[Cité dans « Permanences » n° 271, avril 1990, pp. 42-43.]], l’ancien président de la Fraternelle parlementaire [[Une « Fraternelle » réunit des francs-maçons de toutes obédiences par affinités professionnelles, géographiques, politiques, etc… La « Fraternelle des parlementaires », qui regroupe les députés et sénateurs francs-maçons de « droite » comme de « gauche », toutes obédiences confondues (GODF, GLF, GLNF, etc), joua dans les années 60 et 70 un rôle tout à fait déterminant dans l’adoption des lois sur la contraception et surtout, l’avortement. « C’est un fait, écrit « Le Point » du 11 septembre 1978, que les travaux maçonniques sont souvent à l’avant-garde du mouvement des idées. Le Planning Familial, la contraception, l’avortement, c’est eux ».]].

« C’est en protestant contre la loi et la morale chrétienne que nous distinguerons et arriverons à créer une place nécessaire à une morale nouvelle dont nous appelons une codification à grands cris. Je n’ai jamais été autant scandalisé que le jour où j’ai entendu dire, à la tribune de la Chambre, par un ministre des Affaires étrangères, que la plus haute autorité morale du monde était à Rome« , clamait en 1929, le Frère Zaborowski lors du Convent annuel de son obédience [[Compte-rendu du Convent de 1929, p. 260.]].

« A une morale immuable figée en termes absolus et rigides, la conscience de nos contemporains refuse d’adhérer, au grand scandale des moralistes professionnels qui prêchant la rigueur pour les autres et pratiquant la licence pour eux-mêmes, ne secrètent que l’hypocrisie pour tous. Notre siècle appelle la naissance d’une morale rationnelle et scientifique qui lui permettra d’assurer, à cause ou en dépit de l’amélioration de nos conditions matérielles de vie, le plein développement de nos potentialités psychologiques et spirituelles. C’est dans nos loges que s’élabore la morale universelle de demain« , assurait dans les années 70, Richard Dupuy, ancien grand maître de la Grande Loge de France [[Richard Dupuy, « La foi d’un franc-maçon », Plon, 1975, p. 114.]].

Quant au docteur Pierre Simon, co-fondateur et vice-président du Mouvement français pour le Planning Familial, ancien président de la « Fraternelle du Planning Familial » (cf. fac-simile p. 18), collaborateur direct de Robert Boulin puis de Simone Veil au Ministère de la Santé, et plusieurs fois grand maître de la Grande Loge de France, il fut à l’avant-garde du combat pour la légalisation de l’avortement et mérite donc d’être pris au sérieux quand il écrit :

« La polémique autour de la Loi Veil, c’est le choc de deux mondes (…). Les solutions que nous fournit la morale traditionnelle ne peuvent plus nous contenter. Elles reposent sur une sacralisation du principe de vie dont l’essence est superstitieuse et la démarche fétichiste (…). La contraception libératoire a fait tomber le mur des fatalités traditionnelles. Sa disparition ouvre le champ libre où il va falloir installer la nouvelle morale (…). Nous découvrons ainsi que la nature, la vie, sont plus que jamais une production humaine (…). La vie perd le caractère d’absolu qu’elle avait dans la Genèse. Le bonheur sera sans Marx et sans Jésus; le mariage deviendra une communauté sociale. Son problème : ne pas empiéter sur la vie sexuelle. Au géniteur succédera l’amant (…). La sexualité sera dissociée de la procréation, et la procréation de la paternité. C’est tout le concept de famille qui est en train de basculer ici » [[Pierre Simon, « De la vie avant toutes choses », Ed. Mazarine 1979. Voir la brochure AFS : « Les étapes maçonniques d’une politique de la mort ».]].

Comment l’Eglise catholique, « gardienne de la foi et des moeurs » dont dépend le salut des âmes, pourrait-elle trouver le moindre terrain d’entente avec une institution dont l’effort principal tend, sur le plan social et politique, à déchristianiser la société, sa culture et ses lois, et subvertir la morale et les moeurs ?


3-Le secret maçonnique

Le fameux « secret maçonnique » excite amplement l’imagination et fait couler beaucoup d’encre.

Il consiste d’abord en ceci qu’un maçon est censé ne jamais dévoiler à de simples « profanes » l’identité de ses frères. Tout au plus pourra-t-il, s’il le juge utile et nécessaire, révéler sa propre appartenance à la franc-maçonnerie.

Il ne devra pas davantage divulguer à qui que ce soit (y compris en confession…), le contenu des travaux auxquels il a pris part au sein de son atelier, ni divulguer aux frères de grades inférieurs les signes, mots de passe ou symboles propres à chaque grade.

Par-dessus tout, il existe, dit-on, un secret d’une autre nature et parfaitement incommunicable, qui n’est autre que la révélation intérieure illuminant chacun des initiés au fur et à mesure qu’il progresse dans la voie de la Connaissance…

En vérité, le secret qui se justifiait sans doute, pour la franc-maçonnerie dite « opérative », par la nécessité de protéger l’art ou les secrets de fabrication propres à chaque corporation, perd toute légitimité dans le cas de la franc-maçonnerie dite « spéculative » qui ne travaille plus sur des matériaux mais sur des idées, « en vue de la reconstruction toujours inachevée du temple de Salomon » (c’est-à-dire du temple de l’Humanité).

Dès 1738 (date de la première condamnation de la franc-maçonnerie par la bulle « In Eminenti » du Pape Clément XII), le secret fut l’un des principaux griefs invoqués par l’Eglise à l’encontre des francs-maçons. Notre Seigneur Jésus-Christ n’a-t-il pas proclamé : « Quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient dévoilées; mais celui qui agit dans la vérité vient à la lumière, pour qu’il apparaisse au grand jour que ses oeuvres sont faites en Dieu » (Jn, III, 20-21) ?

Or, ainsi que l’écrivait un ancien grand maître de la Grande Loge France, « la franc-maçonnerie est et ne peut être qu’une société secrète » [[Richard Dupuy, opus cit, p. 109.]].

Certes, elle s’efforce, de nos jours, d’apparaître sous un jour tranquille et débonnaire :

« Les obédiences ont pignon sur rue ! Elles s’expriment à la radio, à la télévision ou dans la presse, les grands maîtres sont connus, les temples ont des adresses… » [[Patrice Burnat et Christian de Villeneuve, « Les francs-maçons des années Mitterrand », Grasset, 1994, p. 20.]]. Elle donne également l’apparence d’une institution irréprochablement démocratique : chaque loge élit un Vénérable (son président) et quatre officiers (premier et second surveillant, orateur et secrétaire) pour la diriger; le « Grand Maître » (ou président) de l’obédience et son « conseil exécutif » (le Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France, le Conseil Fédéral de la Grande Loge de France, etc.) sont eux-mêmes élus par une assemblée générale (ou « convent ») comprenant un « délégué » (représentant élu) par atelier…


Or, qu’on le veuille ou non, la franc-maçonnerie est en fait « une superposition de sociétés secrètes dont la base ignore ce qui se passe et ce que l’on décide au sommet. Les apprentis (1er grade), les compagnons (2ème grade) et les maîtres (3ème grade) ne sont pas admis dans les ateliers supérieurs, dans les loges des hauts grades que l’on appelle chapitres ou aéropages, mais seulement dans les ateliers inférieurs dits « loges bleues ». Par contre, les affiliés des hauts grades, formant les chapitres (18ème grade) et les aéropages (30ème grade), ces chevaliers Rose-Croix et ces chevaliers Kadosch, participent obligatoirement aux travaux des loges bleues, et se mêlent ainsi à leurs frères des premiers grades, dont ils inspirent, guident ou surveillent les activités » [[« Lectures françaises » n° 288, avril 1981.]].

En d’autres termes, « la société secrète inférieure – inférieure par son rang et sa qualité – est conduite, à son insu, par une autre société secrète supérieure, qui est elle-même dirigée de la même manière (…). Tandis que « la doctrine de l’Eglise est claire sous tous ses aspects » (Pie XII), qu’elle peut être connue de n’importe qui, la maçonnerie dérobe aux regards la source de son génie, ses chefs, ses plans. Elle n’éclaire ses membres que graduellement à mesure qu’elle les gagne et compromet; rien ne se fait que dans le secret » [[Daniel Jacob, « Derrière les francs-maçonneries de papa », « Permanences » n° 32, août-septembre 1966.]].

Ainsi donc « les maçons d’un grade supérieur observent leurs frères d’un grade inférieur et n’admettent parmi eux que ceux qu’ils choisissent » [[Arnaud de Lassus, opus cit. p. 58.]].

« Une fois que le dignus intrare a été prononcé, la loge devient pour l’apprenti ou le compagnon un cours du soir. Il y entend des leçons et des conférences sur des sujets de religion, de morale, de philosophie, de sociologie, de politique, on lui remet des jeux de fiches contenant une documentation abondante, et d’ailleurs bien faite, apparemment objective, mais habilement tendancieuse et sectaire, sur toutes les questions proposées à son étude, on lui fournit des thèmes à développer. En récompense de son zèle, il est admis à un degré supérieur, chargé de fonctions honorifiques et peut espérer gravir un à un tous les échelons qui le séparent de la révélation suprême du grand secret.

La majorité des maçons demeurent toutefois confinés aux degrés inférieurs. il est indispensable qu’il en soit ainsi. La force de la franc-maçonnerie est faite de l’existence de ce prolétariat à la docilité aveugle et ignorante des véritables desseins de ses chefs » [[Robert de Beauplan, in « L’illustration » du 12 octobre 1940.]].

« Les grades, écrit Benjamin Fabre, ne sont rien en eux-mêmes. Ils sont plus ou moins pompeux, selon les temps, les lieux, les circonstances. Ils sont conférés à des intervalles plus ou moins éloignés, pour permettre aux supérieurs d’opérer une intelligente sélection; de faire de leurs disciples des hommes nouveaux; de les débarasser des préjugés philosophiques, religieux, politiques; de les rendre dociles à toutes les impulsions venues d’en haut; de les conduire, comme par la main, jusqu’au sanctuaire où le vrai but, enfin, se révèle, sans que l’initié s’en étonne, ou que sa conscience, depuis longtemps cautérisée, en soit alarmée » [[Cité par Daniel Jacob in « Permanences » n° 32, août-septembre 1966, p. 34.]].

Comment ne pas en conclure, comme l’ »Osservatore romano » du 23 février 1985, que dans ces conditions, « le climat de secret comporte pour les inscrits le risque de devenir les instruments de stratégies qu’ils ignorent » ?

« Déiste dans son principe, note Jean-Claude Lozac ‘hmeur, la franc-maçonnerie présente sa théorie par degrés et commence par adopter des formes compatibles avec le christianisme » [[J.C. Lozac ‘hmeur et B. de Karer, « De la Révolution – Essai sur la politique maçonnique », Editions Sainte Jeanne d’Arc,1992, p. 24.]].

Par contre, les rituels propres aux grades les plus élevés font clairement apparaître que la haine du catholicisme et la lutte contre l’Eglise sont les traits caractéristiques majeurs de l’institution [[A noter que les hauts grades ne dépendent nullement du Grand Maître ou du président élu des différentes obédiences, mais sont administrés par un Conseil dont les dirigeants se recrutent par cooptation. Il s’agit :- du Grand Collège des Rites pour les frères du Grand Orient de France qui pratiquent le » rite français ».- du Suprême Conseil de France pour les maçons de la Grande Loge de France qui pratiquent le « rite écossais ancien et accepté ».- du Suprême Conseil pour la France, en ce qui concerne les frères de la GLNF (seule obédience régulière).- enfin, du Suprême Conseil Mixte de France pour les frères et soeurs de Droit Humain et du Suprême Conseil Féminin pour les soeurs de la Grande Loge Féminine de France.]].

« Le grade le plus intéressant, le plus significatif des hauts-grades est celui de Rose-Croix, numéroté 18ème degré, expose Jean Marquès-Rivière dans « La trahison spirituelle de la franc-maçonnerie ». Dans ce grade, on voit une parfaite caricature du catholicisme (…). Le signe de ce grade (…) est celui du « Bon Pasteur ». Il consiste à tenir les bras croisés sur la poitrine, les mains écartées; le mot de passe est « Emmanuel », la réponse étant « paix profonde »; le mot sacré est I.N.R.I. [[Dont la signification maçonnique n’est pas « Jésus de Nazareth, roi des Juifs », mais « Igne Natura Renovatur Integra » (« Par le feu – ou l’esprit – la nature est rénovée tout entière »). NDLR]] et l’âge, 33 ans (…). Les trois vertus qui sont enseignées dans ce grade sont la Foi, l’Espérance et la Charité; nous avons vu précédemment comment il fallait « comprendre » ces trois vertus dans le langage maçonnique. La tunique dont on revêt le récipiendaire se nomme une chasuble (…). Je mentionnerai également dans ce grade la fameuse cérémonie de la cène, qui se fait le Jeudi Saint. Pour achever de parodier l’Eglise, la table s’appelle l’autel, les verre sont les calices » [[J. Marquès-Rivière, opus cit. , pp. 231-232.]].

Quant au grade de Chevalier Kadosch (30ème degré), il est très explicitement un grade de vengeance : celle du meurtre d’Hiram, l’architecte du temple de Salomon qui, selon la légende maçonnique, aurait été assassiné puis enseveli par trois mauvais compagnons (mais ressuscita grâce aux Maîtres envoyés à sa recherche par le roi Salomon)… mais aussi celle de Jacques de Molay, Grand Maître de l’Ordre du Temple, condamné au bûcher en 1314 sous le roi de France Philippe le Bel avec la « complicité » du pape Clément V.

Aux yeux des francs-maçons (qui revendiquent « l’héritage spirituel » des Templiers), Clément XV symbolise plus particulièrement l’ignorance, le fanatisme et l’ambition de la papauté [[Cf. Mgr de Ségur, « Les francs-maçons », in « L’anti-maçonnisme catholique », Emile Poulat et J.P Laurant, Berg International, 1994, pp. 50-55.]].

La franc-maçonnerie est-elle une religion ?

Lors d’un colloque entre chrétiens et francs-maçons organisé en novembre 1992 au centre Sèvres, à Paris, en présence du grand maître de la Grande Loge de France de l’époque, Michel Barat, Mgr Thomas soutenait qu’ »un catholique peut parfaitement appartenir à une loge maçonnique sans pour autant perdre sa propre foi, puisque la maçonnerie n’est pas une religion » [[« Le Monde » des 14-15 novembre 1992.]].

Certes, la franc-maçonnerie se défend ouvertement de constituer une religion nouvelle et concurrente des autres religions, puisqu’elle ne propose « aucune théologie de la pensée, aucune doctrine, aucun credo » [[« Humanisme » n° 208-209, mars 1993.]].

« La franc-maçonnerie, précise pour sa part le Conseil Fédéral de la Grande Loge de France, n’est pas une religion au sens où celle-ci veut apporter aux hommes le salut et la vie éternelle à partir d’une révélation historique donnée » [[« Jardin caché , livret du Conseil fédéral de la GLF ( mars 1994).]].

Mais dans le même temps, la franc-maçonnerie se propose de « réunir ce qui est épars » et selon le texte initial des Constitutions d’Anderson de 1723, d’établir ici-bas « cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord » et qui ferait d’elle le véritable « centre d’union » de l’Humanité toute entière…

Elle incarne en fait l’ »universalisme d’une religion (au sens étymologique) qui tend à unir tous les Frères de bonne volonté », comme l’écrivait le Frère Jean Corneloup, « Grand Commandeur d’Honneur du Grand Collège des Rites » dans son livre : « Universalisme de la Franc-Maçonnerie » [[Editions Vitiano (1963).]].

En vérité, la franc-maçonnerie, dont c’est pour ainsi dire la raison d’être, a pour suprême ambition l’instauration, au-dessus du catholicisme et de toutes les religions particulières, de LA religion universelle. Qu’on en juge : « Si la Franc-Maçonnerie n’est pas aujourd’hui une religion, au sens courant du mot, elle provient cependant d’une antique religion ayant son dieu, son culte, ses dogmes, ses cérémonies et, rivale non seulement du Christianisme mais aussi du judaïsme et peut-être du paganisme officiel de la Grèce et de Rome« , expose la « Revue Maçonnique » de novembre-décembre 1897 [[Cité par J.C Lozac ‘hmeur et B. de Karer in « De la Révolution – essai sur la politique maçonnique », éd Sainte Jeanne d’Arc, 1992.]].

« Il appartient (aux francs-maçons) d’assurer la direction spirituelle de la société moderne (…). Il s’agit (…) non plus de réfuter bruyamment des systèmes religieux, à juste titre discrédités, mais de mettre soi-même debout une religion viable adaptée aux progrès des lumières et susceptible de satisfaire les intelligences les plus émancipées (…). Nous n’avons sapé, renversé, abattu, démoli avec une fureur qui semblait parfois aveugle que pour rebâtir dans de meilleures conditions de goût et de solidité« , écrivait en 1916 un certain Frère Hiram dans la revue du Grand Orient de France, « L’acacia » [[Cité par Daniel Jacob dans « Permanences » n° 33, octobre 1966 (« Les courants maçonniques actuels »).]].

« Un jour viendra où la Maçonnerie sera fatalement la direction spirituelle de tous, et ce jour-là sera l’aube de cette paix universelle qui jusqu’à présent était une utopie, mais qui sera bientôt une réalité », s’exclamait en 1924 le Frère Barcia, ancien grand maître du Grand Orient espagnol [[Cité par J. Marquès-Rivière, opus cit. pp. 126-127.]].


Grand Commandeur du Suprême Conseil de France, le Frère Charles Riandey prophétisait en 1946 qu’un jour, « le monde futur créera du neuf après avoir assimilé le christianisme et d’autres formes actuelles de spiritualité et donnera peut-être naissance, par analogie avec le phénomène physique de collectivisation totale, à une sorte de panthéisme dans lequel se trouveront fondues, amalgamées toutes les pensées actuelles, redynamisées toutes ensemble vers des objectifs encore inconcevables » [[« Le Temple », septembre-octobre 1946.]], tandis qu’un membre du Suprême Conseil de France, le baron Yves Marsaudon, s’écriait au début des années 60 : « Catholiques, Orthodoxes, Protestants, Musulmans, Hindouistes, Bouddhistes, Penseurs-Libres, Penseurs-Croyants, ne sont chez nous que des prénoms : c’est Francs-Maçons le nom de famille ! » [[« L’oecuménisme vu par un Franc-Maçon de Tradition », éditions Vitiano, p. 126.]].

De fait, consciente de l’impossibilité de détruire l’Eglise catholique, son principal adversaire dans l’exercice du pouvoir spirituel auquel elle prétend sous couvert d’oecuménisme, la franc-maçonnerie ne désespère pas d’assimiler ou de dissoudre le christianisme au sein d’une Super-religion tolérante et syncrétiste. Mère et Maîtresse de vérité, l’Eglise catholique ne serait plus alors qu’une autorité morale et spirituelle parmi d’autres.

Au demeurant, n’est-ce pas l’impression qu’elle a donné lorsqu’en novembre 1985, le Conseil permanent de l’épiscopat français joignit sa signature à celles de la Licra, du Mrap, du Conseil supérieur rabbinique et du Recteur de la Mosquée de Paris, au bas d’un « Appel commun contre le racisme », le tout sous l’égide… de la Grande Loge de France ?

N’est-ce pas également le piège dans lequel elle risque de tomber chaque fois qu’au sein du Comité national consultatif d’éthique, un représentant de l’Eglise catholique désigné par l’épiscopat rejoint d’autres personnalités « appartenant aux principales familles philosophiques et spirituelles » du pays et donne l’impression d’approuver tous les avis dudit comité ou de se rallier à un pseudo-consensus ?…


Qui ne voit que dans le cas de la franc-maçonnerie – fût-elle spiritualiste -, toute tentative de « rapprochement » ou de « dialogue » avec l’Eglise est non seulement une chimère, mais un redoutable piège ?

La correspondance échangée en 1905 et 1906 entre les deux grands maîtres du Grand Orient et de la Grande Loge de France, ne laisse d’ailleurs planer aucun doute sur le fait que, depuis le début du siècle, le « spiritualisme » est l’alibi grâce auquel une partie de la franc-maçonnerie s’efforce, sinon de séduire, du moins d’endormir la méfiance des catholiques à son égard.

C’est dans cet esprit qu’en 1908 fut organisé un convent des « maçonneries spiritualistes » à propos duquel « frère Hiram » écrivait dans « L’acacia » (revue du Grand Orient de France) : « C’est à cette nouvelle forme de lutte contre l’Eglise que nous conduira la réaction ritualiste, symboliste, et pourquoi ne pas le dire, religieuse, au sens social du mot qui commence dans la maçonnerie française » [[« L’Acacia », mars 1908.]].

La vérité, c’est qu’il n’y a pas d’entente possible entre l’esprit de la franc-maçonnerie : le culte de l’Homme affranchi du dogme et de la morale, seule interprète du bien et du mal, du vrai et du faux « sans intervention divine superflue » [[« Humanisme », juillet 1975.]], il n’y a pas le moindre compromis possible entre cette déification de l’Homme sans Dieu, et la religion du Dieu fait homme.

« Non nobis Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam » [[« Pas à nous, Seigneur, la gloire, mais à Toi seul » ( Vg, 113 B, verset 1).]]

 

 

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