Dans un entretien accordé à Atlantico, Christophe Dickès, après avoir évoqué les ruptures et continuité entre Benoît XVI et le pape François, tente une esquisse de bilan de ce dernier.
Il est un peu tôt pour le dire. François a entamé des chantiers de grande ampleur visant à réformer les structures de la curie. Cinq ans après, la réforme est toujours en cours. Cependant, des éléments essentiels ont changé comme la création d’un secrétariat pour l’Economie ou d’un secrétariat pour la communication qui répondent à la nécessité de rationalisation des structures. Il s’agit d’un point très positif. Le pape argentin souhaite aussi davantage de décentralisation dans l’Eglise : il me semble aussi qu’il s’agit d’une bonne chose parce que l’Eglise, pour se développer, a besoin de grands évêques. Mais les évêques n’ont pas forcément les compétences sur certains sujets : avant et après le synode sur la famille (2014-2015), le pape a souhaité leur donner davantage de pouvoir sur les questions liés aux mariages et aux divorces. Mais les évêques ne sont pas tous des juristes, spécialistes de droit canon. Rome reste donc un centre nécessaire dans le traitement de plusieurs dossiers. Enfin, François incarne une religiosité populaire que l’Occident avait délaissée dans la continuité de la crise des années 1970. Cette religiosité est typique de l’Amérique du Sud et vivifie l’Eglise.
Cependant, la lutte contre la pédophilie reste difficile comme l’a montré récemment son voyage au Chili où il a pris la défense d’un évêque contesté, suscitant des réprobations. De façon générale, il est très difficile de passer des intentions aux actes. Par ailleurs, François s’est isolé dans son gouvernement en critiquant régulièrement et violemment la curie et la centralité romaine. Or, la curie possède une légitimité : elle a pour vocation d’aider le pape dans son gouvernement. En agissant de la sorte, François s’est aliéné un soutien essentiel. Il a surtout révélé sa volonté de décider seul avec un cercle très restreint. De façon assez monocratique, il faut le dire. Un climat très pesant existe aujourd’hui à Rome où, dans les universités pontificales par exemple, on n’ose remettre en cause la vision du pape François qui laisse entendre que le dogme ne varie pas mais que les circonstances permettent à tout à chacun d’interpréter ses actes. Le synode sur la famille a créé une ambiguïté à cet égard, ambiguïté qui n’est toujours pas levée. Enfin, les déclarations du pape sur les migrants ont créé en Europe un malaise dans le catholicisme. Si bien qu’au total, on en arrive à cette situation étonnante d’un pape populaire à l’extérieur de l’Eglise -pour ses initiatives essentiellement politiques et cette conscience universelle qu’il incarne- mais en même temps impopulaire au sein de l’Eglise.