La justice doit être accessible à tous: le Pape l’a martelé ce mardi 4 juin 2019 en fin d’après-midi dans le cadre d’un discours prononcé à l’Académie pontificale des Sciences sociales devant les participants à une rencontre de juges venus de différents pays américains.
Cyprien Viet – Cité du Vatican
Cette rencontre faisait suite à un colloque organisé à la Faculté de Droit de l’Université de Buenos Aires en 2018, et à un sommet organisé au Vatican en 2016 sur la lutte contre la traite des êtres humains. Devant une centaine de magistrats, le Pape a rappelé que leur mission doit les amener à «se consacrer au service de la justice et du bien commun avec l’appel constant à ce que les droits des personnes, et spécialement des plus vulnérables, soient respectés et garantis». C’est la mission essentielle d’un État: «prendre en charge le bien commun de son peuple», a souligné le Pape argentin, qui avait remarqué, dans son pays d’origine, que les défaillances de l’état de droit menait à de nombreuses situations d’inégalité.
Les problèmes rencontrés dans les pays américains ne peuvent pas seulement se résoudre par «des actions isolées ou des actes volontaristes d’une personne ou d’un pays, mais cela réclame une nouvelle atmosphère», avec l’émergence de leaders qui puissent ouvrir de nouveaux chemins aux générations actuelles et futures en «semant les conditions pour surmonter les dynamiques d’exclusion et de ségrégation de façon à ce que l’iniquité n’ait pas le dernier mot».
Une époque paradoxale
Le Pape a relevé le paradoxe juridique de notre époque, marqué par «un phénoménal développement normatif» mais en même temps par «une détérioration dans l’exercice effectif des droits globalement consacrés». Certaines politiques économiques et sociales en viennent à relativiser la notion même de «droits sociaux» et constituent une forme de «violence silencieuse» en justifiant des situations d’inégalité et d’indignité.
Dans la lignée de son encyclique Laudato Si’ et de son discours aux mouvements populaires prononcé en juillet 2015 à Santa Cruz, en Bolivie, le Pape a souligné que le système politico-économique ne peut se développer harmonieusement que dans le plein respect de l’état de droit et de la démocratie, en tenant compte des besoins de toutes les catégories de la population, et non seulement d’une élite. «Il n’y a pas de démocratie avec la faim, ni de développement avec la pauvreté, ni de justice dans l’iniquité», a martelé le Pape François. La démocratie ne doit donc pas être une fiction purement nominale, mais une réalité vécue concrètement, et garantie par les institutions judiciaires.
Le danger des vides juridiques
«Les vides juridiques (…) mettent en marche des cercles vicieux qui privent les personnes et les familles des garanties nécessaires à son développement et son bien-être. Ces vides sont générateurs de corruption», a rappelé François, qui appelle les magistrats à bien se former pour faire face à «toutes les nouvelles réalités sociales» qui sont vécues par les personnes confrontées à la justice. Les plus pauvres, notamment, doivent être reconnus dans leur pleine citoyenneté, et reconnus comme des agents potentiels de changement et de transformation.
Le Pape s’est aussi arrêté sur les dangers du “lawfare”, un concept récemment mis en lumière par les spécialistes du droit et qui consiste en l’exploitation du droit dans une optique de déstabilisation politique, voire géopolitique, quand le droit est utilisé par exemple dans le cadre d’une revendication territoriale, en appui à une pression militiaire. «Le “lawfare”, en plus de mettre en danger la démocratie des pays, est généralement utilisé pour miner les processus politiques et tendre vers la violation systématique des droits sociaux», s’est alarmé le Pape, en appelant à «détecter et neutraliser ce type de pratiques», afin de «garantir la qualité insitutionnelle des États».
Remettre la magistrature au service des personnes
Remarquant que souvent les magistrats sont trop isolés, le Pape s’est réjoui de la création, à l’issue de cette rencontre, d’un Comité panaméricain des Juges pour les droits sociaux, qui pourra apporter «appui et assistance réciproque afin de revitaliser l’exercice» de la magistrature. Le vrai savoir ne se constitue pas en effet avec une simple accumulation de données, qui finit par créer une saturation, mais avec «la réflexion, le dialogue et la rencontre généreuse entre les personnes», a expliqué François.
Le Pape a enfin invité les magistrats à jouer un rôle central «dans la transformation du système judiciaire», afin de garantir «la dignité de la personne humaine». Il a conclu son intervention en reprenant les paroles du Christ dans le 5e chapitre de l’Évangile selon saint Matthieu: «Heureux ceux qui ont faim et soif de justice; heureux ceux qui travaillent pour la paix».