Face au chômage des jeunes « il faut de la créativité », une « créativité courageuse », déclare le pape François qui déplore que la finance internationale n’arrive pas à remettre la personne humaine, homme et femme, à sa « place » c’est-à-dire « au centre ».
Le pape François a reçu en audience les participants à la rencontre « Jésuites européens en formation », qui se déroulait à Rome, mercredi 1er août 2018, dans la Petite salle jouxtant la Salle Paul VI.
Après son discours, le pape a pris le temps de répondre à une question d’un des participants sur le problème du chômage des jeunes. Le texte, en italien, a été publié par le Saint-Siège le 1er août également.
Le pape a souligné les conséquences tragiques du chômage des jeunes: « Suicide, dépendances et sortie vers la guérilla sont les trois options que les jeunes ont aujourd’hui, quand il n’y a pas de travail. C’est important : comprendre le problème des jeunes ; faire sentir [à ce jeune] que je le comprends, et c’est cela communiquer avec lui. Et puis se remuer pour résoudre ce problème. »
Voici notre traduction de la question (en anglais) et de la réponse du pape François (en italien), en ce temps de préparation au Synode sur les jeunes, en octobre prochain.
Question – Merci de vos paroles, Saint-Père. Le thème de nos rencontres est la communication, les jeunes. Une fois, quelqu’un m’a dit qu’être religieux ou prêtre signifie qu’il y a une chose à laquelle nous ne serons jamais confrontés, c’est le chômage. Mais beaucoup de jeunes, même avec une formation de haut niveau, courent aussi le risque du chômage. Je trouve que c’est un défi pour moi, pour voir les choses de leur point de vue, parce que je sais que la Compagnie de Jésus et l’Église auront toujours une tâche pour moi, quelque part. Je trouve que c’est un grand défi pour la communication : c’est une expérience du chômage que je sais que je n’aurai jamais. Je trouve que c’est quelque chose de difficile…
Pape François – Peut-être est-ce un des problèmes les plus aigus et les plus douloureux pour les jeunes parce que cela touche vraiment le cœur de la personne. La personne qui n’a pas de travail se sent privée de sa dignité. Je me souviens d’une fois, dans mon pays, une dame est venue me dire que sa fille, universitaire, parlait plusieurs langues mais ne trouvait pas de travail. Je me suis remué avec quelques laïcs et ils ont trouvé un travail. Cette femme m’a écrit un mot dans lequel elle disait : « Merci, Père, parce que vous avez aidez ma fille à retrouver sa dignité ». Ne pas avoir de travail ôte la dignité. Et plus encore : ce n’est pas le fait de ne pas pouvoir manger, parce qu’on peut aller à la Caritas et on recevra de quoi manger. Le problème est de ne pas pouvoir rapporter le pain à la maison : cela ôte la dignité.
Quand je vois – vous voyez – tant de jeunes sans travail, nous devrons nous demander pourquoi. Vous trouverez certainement la raison : il y a une réorganisation de l’économie mondiale où l’économique, qui est concrète, laisse la place à la finance qui est abstraite. Au centre, il y a la finance et la finance est cruelle : elle n’est pas concrète, elle est abstraite. Et on joue là avec un imaginaire collectif qui n’est pas concret, mais qui est liquide ou gazeux. Et au centre, il y a cela : le monde de la finance. À sa place, il aurait dû y avoir l’homme et la femme.
Aujourd’hui, c’est, je crois, le grand péché contre la dignité de la personne : la déplacer de sa place centrale. L’an dernier, en parlant avec une dirigeante du Fonds monétaire international, elle m’a dit qu’elle avait eu le désir de promouvoir un dialogue entre l’économie, l’humanisme et la spiritualité. Et elle m’a dit : « J’y suis parvenue. Et puis je me suis enthousiasmée et j’ai voulu le faire entre la finance, l’humanisme et la spiritualité. Et je n’y suis pas parvenue parce que l’économie, même celle de marché, peut s’ouvrir à l’économie sociale de marché, comme l’avait demandé Jean-Paul II ; en revanche, la finance n’en est pas capable, parce que tu ne peux pas saisir la finance : elle est « gazeuse ». La finance ressemble, à l’échelle mondiale, à la chaîne de saint Antoine ! Ainsi, avec ce déplacement de la personne du centre et en mettant au centre une chose comme la finance, qui est « gazeuse », cela génère des vides dans le travail.
J’ai voulu dire cela en général, parce qu’il y a là les racines du problème du manque de travail, soulevé par ta question : « Comment puis-je comprendre, communiquer et accompagner un jeune qui est dans cette situation de chômage ? » Mes frères, il faut de la créativité ! Dans chaque cas. Une créativité courageuse pour chercher comment affronter cette situation. Mais ce n’est pas une question superficielle que tu as posée. Le nombre de suicides chez les jeunes augmente mais les gouvernements – pas tous – ne publient pas le chiffre exact : ils publient jusqu’à un certain point, parce que c’est un scandale. Et pourquoi ces jeunes se pendent-ils, se suicident-ils ?
La raison principale de presque tous les cas est le manque de travail. Ils sont incapables de se sentir utiles et ils finissent… D’autres jeunes ne veulent pas affronter le suicide mais ils cherchent une aliénation intermédiaire avec les dépendances et la dépendance, aujourd’hui, est une fuite de ce manque de dignité. Pensez que derrière chaque dose de cocaïne – c’est ce que l’on pense – il y a une grande industrie mondiale qui permet cela et, probablement – je n’en suis pas sûr – le plus grand mouvement d’argent dans le monde. D’autres jeunes, sur leur téléphone portable, voient des choses intéressantes comme projet de vie : au moins, il y a du travail… C’est réel, cela se produit ! « Ah, je prends l’avion et je vais me faire enrôler par Daech : au moins j’aurai mille dollars en poche tous les mois et quelque chose à faire ! ».
Suicide, dépendances et sortie vers la guérilla sont les trois options que les jeunes ont aujourd’hui, quand il n’y a pas de travail. C’est important : comprendre le problème des jeunes ; faire sentir [à ce jeune] que je le comprends, et c’est cela communiquer avec lui. Et puis se remuer pour résoudre ce problème. Le problème a une solution, mais il faut trouver la manière, il faut une parole prophétique, il faut une inventivité humaine, il faut faire beaucoup de choses. Se salir les mains… Ma réponse à ta question est un peu longue, mais ce sont tous les éléments pour prendre une décision dans la communication avec un jeune qui n’a pas de travail. Tu as bien fait d’en parler, parce que c’est un problème de dignité.
Et que se passe-t-il quand un jésuite n’a pas de travail ? Là, c’est un gros problème ! Parle vite avec ton père spirituel, avec ton supérieur, fais un bon discernement sur la raison…
Merci. Je ne te donne plus de travail [adressé au traducteur].
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Source : Zenit.org