Un pape qui déroute ou qui met en déroute ? Réponse d’un lecteur à Mgr Wintzer

Un pape qui déroute ou qui met en déroute ? Réponse d’un lecteur à Mgr Wintzer

Nous recevons en même temps la tribune de Monseigneur Wintzer donnant son explication du pape François, un pape qui déroute et la réponse d’un internaute plus inquiet de la déroute. Fidèle à notre tradition de débat, nous publions l’un et l’autre en même temps.

 

Monseigneur Wintzer, archevêque de Poitiers a publié lundi dernier dans la Croix une tribune, que vous trouverez ci-dessous, au sujet de laquelle je lui ai fait parvenir la réponse suivante.

Pensant que vous pourriez juger utile de porter ces éléments de débat à la connaissance de vos lecteurs, je vous les adresse ci-dessous.

Un lecteur

François, un pape bien déroutant

Mgr Pascal Wintzer

François est un pape bien déroutant, en tout cas il l’est pour moi, comme, je pense pour nombre de Français et d’Européens ; déroutant, au sens fort et beau de ce terme : il contraint, dans un premier temps quant aux manières de penser, ensuite, peut-être, dans les comportements, à changer de la route parfois trop habituelle sur laquelle nous sommes engagés. Je pense en particulier à ses propos, comme à ses gestes, sans cesse répétés, en faveur de l’accueil, presque inconditionnel, des migrants, quels que soient leur pays d’origine et leur religion. Déroutant, il l’est aussi pour certains dans l’exhortation apostolique Amoris laetitia lorsqu’il appelle à cette même chose : l’accueil des familles, de toutes les familles.

En effet, nous étions habitués, depuis… deux mille ans à entendre des papes de plain-pied avec la culture européenne. Beaucoup d’entre eux furent italiens, les deux derniers, polonais et allemand, mais toujours européens. Et voici un pape qui vient d’ailleurs, même si son père naquit italien. Jusqu’à François, nous n’avions sans doute pas mesuré que la manière d’annoncer la foi était conditionnée par une culture particulière, parce que cette culture, c’est la nôtre ! Nos réactions actuelles, non seulement à la parole, mais aussi à certains des gestes du pape François sont certainement révélatrices de conditionnements culturels dont nous n’avions pas jusqu’ici pleine conscience.

Bien entendu, lorsqu’un évêque est élu pape, il devient un « homme universel », il est donné par une Église particulière, ici celle d’Argentine, à toute l’Église catholique. Pourtant, faut-il que cette universalité gomme l’histoire et les particularités du lieu d’où vient ce pape ? Certes non. Mais, Européens, nous pensions que les précédents papes étaient par définition universels, puisqu’ils étaient comme nous ; le pape François nous fait mesurer que l’universalité n’est pas la simple extension au monde entier des us et coutumes du Vieux Continent, ces us et coutumes fussent-ils chrétiens.

Nos étonnements d’Européens sont alors révélateurs de ce que certaines Églises d’autres continents pouvaient éprouver en entendant et regardant des papes qui, jusqu’en 2013, furent tous européens.

Avec François, l’acculturation et la catholicité prennent consistance, s’inscrivent dans le réel : il ne s’agit plus seulement d’adapter des modalités européennes de vie à d’autres contextes culturels, il s’agit de percevoir que l’Évangile n’est pas une possession européenne que nous devrions transmettre à d’autres, il s’agit de recevoir, à notre tour, ce que d’autres peuples vivent d’un Évangile qui leur est directement adressé, l’Esprit saint pouvant leur parler sans passer par notre truchement. Encore faut-il pour cela que, catholiques, tant fidèles que pasteurs, y compris prélats, comprennent que le modèle romain, si juste est-il, n’est pas la totalité de l’Évangile, en tout cas n’en est pas le mètre-étalon. Assurer la communion, ce n’est pas en être le seul déterminant.

Mgr Pascal Wintzer

Archevêque de Poitiers

Réponse à Monseigneur Wintzer

Vous remerciant pour l’intéressante et stimulante tribune que vous avez bien voulu publier dans la Croix du 9 octobre 2017, je crois de mon devoir d’approfondir l’intéressant débat que vous avez ainsi ouvert :

–              « Nous étions habitués » dites-vous… « depuis deux mille ans, à entendre des papes de plain-pied avec la culture européenne ». Voici donc une première révélation : Saint Pierre, pêcheur juif, était européen, bien des siècles avant que l’idée même d’Europe ne commence à émerger dans les consciences ! Par ailleurs, je n’ose imaginer que c’est par préjugé que vous ne citez pas les trois papes berbères (Victor Ier, Miltiade et Gélase) qui ont régné sur l’Eglise catholique.

–              A vous en croire, un homme se définirait exclusivement par son origine géographique ; la fraîcheur déroutante de notre pontife tiendrait à sa seule nationalité argentine. N’êtes-vous pas bien barrésien à définir ainsi la foi et l’âme d’un homme par son seul passeport ? Le pape François n’est-il pas culturellement bien plus proche des archétypes européens que ne le sont bien des prélats moins « ébouriffés » (l’on pense au Cardinal Sarah, au Cardinal Zen ou à Monseigneur Schneider).

–              Si notre pontife nous déroute – ou nous dévoie -, n’est-ce pas au contraire parce qu’il est trop « de la vieille Europe », de l’Europe de mai 1968, de l’Europe du cardinal Kasper, de l’Europe de La Croix, de l’Europe de tout ce qui a échoué, de l’Europe des têtes grisonnantes, de l’Europe que l’on espérait ne plus jamais voir revenir ?

–              Face à cette agitation, à ce risque de déroute (car qui dit dérouter dit déroute), ne vaut-il pas mieux écouter le sage conseil du rabbin Gamaliel (Actes des Apôtres, 5, 38-39 : « Et maintenant, je vous le dis, ne vous occupez plus de ces hommes, et laissez-les aller. Si cette entreprise ou cette œuvre vient des hommes, elle se détruira ; mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez la détruire. Ne courez pas le risque d’avoir combattu contre Dieu. »

Telles étaient, Monseigneur, les très humbles réflexions que suscite en moi votre magnifique tribune.

Veuillez agréer, Monseigneur, l’expression de ma haute considération.

 

RD

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