Les sculpteurs chrétiens comme Yaqoob Masih, un catholique pakistanais qui fabrique des figures religieuses depuis quatre décennies, doivent faire face aux critiques non seulement des musulmans extrémistes, mais aussi des oppositions venant de la communauté chrétienne. Beaucoup de protestants reprochent en effet à l’Église catholique d’adorer les idoles. Face à ces critiques, l’Église cherche à sensibiliser les gens et à préserver l’artisanat religieux.
Yaqoob Masih, un catholique pakistanais, est une personnalité controversée parmi les chrétiens de la province du Pendjab, à cause des statues qu’il fabrique. L’homme de 53 ans, avec sa famille, sculpte des figures religieuses depuis quatre décennies, à Warispura, une banlieue chrétienne de Faisalabad. Ses créations se vendent comme des petits pains dans les quatre boutiques gérées par la congrégation des Filles de Saint-Paul. Son travail peut être vu dans de nombreuses paroisses rurales. Pourtant, pour beaucoup, c’est un pécheur. « Malheureusement, beaucoup de ces critiques viennent de notre propre communauté », regrette Yaqoob. Beaucoup de pasteurs protestants lui ont conseillé de se repentir et d’être baptisé à nouveau… « Ils disent que je défends l’adoration des idoles », explique-t-il, estimant que la foi n’est pas fragile au point de se croire obligé de se protéger contre des menaces imaginaires.
Les musulmans conservateurs considèrent également ses statues comme antireligieuses. Ils y voient une offense à la culture pakistanaise. Après l’indépendance du Pakistan en 1947, la capitale du Penjab, Lahore, est devenue un centre culturel important dans le pays, qui a hérité de beaucoup de monuments historiques et de statues de personnalités britanniques et indiennes. Mais une grande partie de tout cela a disparu.
L’Église accusée de vénérer les idoles
En 1974, durant la période d’islamisation de Muhammad Zia-ul-Haq, militaire et homme d’État pakistanais, une grande statue de la reine Victoria a été retirée des jardins de l’assemblée du Pendjab pour être remplacée par un modèle en bois du Coran. En 1950, une statue en bronze de Mahatma Gandhi qui se trouvait à Karachi, capitale de la province de Sindh, a été retirée et endommagée. De même, les Talibans pakistanais interdisent toute représentation d’êtres vivants, par fondamentalisme islamique. En 2007, le groupe extrémiste a dynamité une image du Bouddha, sculptée au VIIe siècle sur une falaise de la vallée de Swat, au nord de la province de Khyber Pakhtunkhwa. Cette année, le gouvernement a restauré le monument, l’un des plus grands de ce genre en Asie du Sud, avec l’aide d’archéologues italiens. L’année dernière, des statues de Bouddha âgées de 1 500 ans ont été retrouvées dans les poubelles du Musée national de Karachi.
Par chance, Yaqoob Masih n’a pas eu à subir l’opposition des musulmans de son quartier. Ce père de deux enfants a réservé une échoppe près du sanctuaire marial national du village de Mariamabad, au Pendjab, à l’occasion du pèlerinage catholique annuel du 7 au 9 septembre. Il comptait y faire quelques profits en vendant des rosaires, des grottes de Lourdes miniatures, des crucifix et des plaques affichant des versets bibliques sculptés, ainsi que des statues de saints. Durant la saison de Noël, ses crèches sont très demandées, avec des prix pouvant s’élever jusqu’à 240 dollars, bien que cela reste moitié moins cher que les prix que l’on trouve dans les boutiques gérées par l’Église.
Le fait de se débarrasser d’une statue endommagée ou brisée peut poser problème à des gens comme Yaqoob. Au Pakistan, une loi sur le blasphème condamne à des peines pouvant aller jusqu’à dix ans de prison en cas « d’outrage envers les sentiments religieux », qui s’applique à toutes les religions. Yaqoob doit se débarrasser des statues invendues sans risquer que les restes puissent être profanés. Le sculpteur, à ce jour, n’a pas pu créer sa propre boutique permanente. « C’est aux sœurs paulines de vendre les statues », ajoute-t-il, précisant que beaucoup de protestants accusent l’Église catholique de vénérer les idoles.
Préserver l’artisanat religieux
Contre ces critiques, la commission épiscopale pour la catéchèse utilise sa page Facebook afin d’avertir et former les gens. « Beaucoup de pasteurs ne savent pas faire la différence entre une idole et une statue », affirme l’une de ces publications. Le Centre éducatif Jérémie, une association catholique basée à Lahore, soutient les artistes, notamment à travers des formations informelles proposées aux enfants des familles démunies des bidonvilles. Cinq parents, dont des veuves, sont ainsi formés à la sculpture chrétienne, un talent qui les aidera à subvenir à leurs besoins et ceux de leurs proches. Le centre pense que l’artisanat religieux est un art en déclin et qui a besoin d’être préservé pour les générations futures.
Source : Eglises d’Asie