« Le gouvernement a enfin pris une mesure sérieuse contre cette pratique. A présent, il reste à appliquer rigoureusement cette nouvelle loi, afin que les auteurs de ces actes ne puissent pas échapper à la justice, une fois qu’ils ont tué ces femmes. » C’est par ces propos que le père Emmanuel Yousaf Mani, directeur de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, a accueilli le vote par le Parlement pakistanais, le 6 octobre dernier, d’une loi visant à sanctionner plus durement les auteurs de crimes d’honneur. Le même jour, une deuxième loi punissant plus sévèrement les auteurs de viols était également votée par le Parlement.
Les « crimes d’honneur », également appelés karo kari en ourdou, puisent leur légitimité dans différentes pratiques traditionnelles et culturelles. Ce sont des punitions infligées à certaines personnes pour leur manquement à l’honneur d’un groupe ou d’une communauté. La plupart du temps, elles prennent la forme d’une sanction faite à une femme ou une jeune fille, suite à une action ou un comportement que sa famille ou sa communauté a jugé déviant et salissant pour l’honneur du groupe. Ces crimes peuvent recouvrir différentes réalités, allant d’une violence psychologique à des formes appuyées de violence physique, comme des violences à l’acide ou le meurtre par lapidation. Les motifs sont divers : refus d’un mariage arrangé, refus de faveurs sexuelles, tentative de divorce dans un contexte de violences conjugales ou d’adultère, grossesse en dehors du mariage, ou encore le fait d’être victime d’un viol ou d’un abus sexuel incestueux.
Des chiffres alarmants
Selon un rapport du Center for Social Justice, une ONG chrétienne située à Lahore, la moitié des crimes d’honneur dans le monde sont commis au Pakistan, et la plupart de ces crimes sont perpétrées contre des femmes ou des jeunes filles. Ces crimes ont principalement lieu dans des régions reculées, où les lois tribales et patriarcales priment sur le droit pénal, et où les forces de police et les médias sont peu présents.
D’après les chiffres officiels du ministère pakistanais des Droits de l’homme, en 2015, plus de 1 100 femmes ont été tuées par des proches dans le cadre d’un « crime d’honneur ». Sur les 8 648 cas enregistrés de violations des droits de l’homme, entre 2012 et 2015, 10 % concernait des crimes d’honneur, des chiffres qui seraient bien inférieur à la réalité, puisque très peu de cas de ces violences font l’objet de déclarations auprès de la police ou de la justice, du fait de l’implication fréquente de l’entourage direct et du poids culturel qui tend à rendre légitime la défense de l’honneur du groupe, coûte que coûte.
Contenu de la nouvelle loi
La loi votée le 6 octobre vise donc à dissuader ces pratiques en sanctionnant plus durement les auteurs de ces crimes, qui jusqu’ici, selon une disposition du Code pénal pakistanais, inspirée du droit islamique, pouvaient échapper à toute condamnation si la victime ou les membres de la famille de celle-ci leur avaient pardonné son acte, en échange d’une compensation financière.
Désormais, les auteurs de ces crimes seront passibles de 25 ans d’emprisonnement minimum. La nouvelle loi supprime également la possibilité d’accorder une grâce à l’auteur du crime, même si la famille de la victime est parvenue à un accord avec l’assassin.
Un Oscar et le meurtre d’une icône pakistanaise des réseaux sociaux
En février 2016, le Premier ministre pakistanais avait déjà promis de faire abolir cette pratique, après le retentissement international du documentaire pakistanais «Une fille dans la rivière, le prix du pardon» de la journaliste et réalisatrice pakistanaise Sharmeen Obaid Chinoy, qui avait reçu l’Oscar du Meilleur film documentaire, sur le thème d’un crime d’honneur commis par un père sur sa fille et des pressions familiales exercées sur la victime.
Puis cet été, ce débat a resurgi de plus bel, après le meurtre « au nom de l’honneur » d’une jeune star pakistanaise des réseaux sociaux, Qandeel Baloch, étranglée par son propre frère au domicile de ses parents dans la province du Pendjab, pour avoir bafoué « l’honneur familial », ce qui avait suscité de vives réactions dans la société pakistanaise.
Les crimes d’honneur ne sont malheureusement pas rares. Le 8 juin, à Lahore, Zeenat Bibi, une adolescente de 17 ans, a été tuée par sa propre mère, qui l’a brulée vive après l’avoir aspergée de kérosène, pour avoir osé épouser l’homme de son choix contre l’avis de sa propre famille. Le 1er juin, Maria Abbasi, une enseignante de 19 ans de la province de Pendjab, a été torturée et brûlée vive, après avoir refusé une demande de mariage. En avril 2016, dans la province de Khyber Pakhtunkwa, une adolescente de 16 ans, Ambreen Riasat, a été étranglée et brulée, pour avoir aidé une amie à s’enfuir du village, afin d’épouser l’homme de son choix. Le 28 avril dernier, à Karachi, une adolescente de 16 ans a été poignardée par son propre frère et laissée pour morte devant la maison de ses parents, pour avoir été surprise au téléphone avec un homme. L’acte de son frère avait ensuite été salué par toute la famille.
Face à la multiplication de ces violences, le ministre fédéral de la Justice, Zahid Hamid, avait alors annoncé un durcissement des demandes de grâce, les familles ne pouvant bénéficier d’une demande de grâce que dans le cas d’une condamnation à mort, qui pouvait alors être commuée en peine à perpétuité. « Le gouvernement prend très au sérieux ces meurtres pour crimes d’honneur et ces violences faites aux femmes, il souhaite purifier notre société de ce démon », avait indiqué Mohammad Ishaq Dar, ministre fédéral des Finances.
Un communiqué de 40 muftis dénonçant ces crimes d’honneur
Le 11 juin dernier, un communiqué d’une quarantaine de muftis venait condamner ces crimes d’honneur : « A la demande d’Hamid Raza, président du Sunni Ittehad Council Sahibzada (1), 40 muftis ont publié unanimement un communiqué déclarant que le meurtre d’une femme au nom de l’honneur est un acte non-islamique et un crime impardonnable. » « Rendre légitime le meurtre d’une femme au nom de l’honneur est un acte d’ignorance » et « brûler vive une jeune femme pour des questions de mariage d’amour est contraire à l’enseignement de l’islam » car « l’islam permet à une femme adulte de se marier de son plein gré », précisait le communiqué en insistant également sur la gravité de la situation – plus de 1 000 crimes d’honneur en l’espace d’un an – et sur la responsabilité de la société, le rôle du gouvernement, des groupes religieux, des politiques et des médias, dans la lutte contre « ces coutumes insensées ».
Une deuxième loi au sujet du viol
La deuxième loi votée le 6 octobre 2016 cherche également à protéger davantage les femmes, en punissant plus sévèrement les auteurs de viol, avec une peine plancher de 25 ans de prison. Elle prévoit notamment que des tests ADN puissent être réalisés à la fois sur la victime et sur les suspects, une première au Pakistan. Le viol sur mineur ou toute personne handicapée ou mentalement malade sera sanctionné de peine de mort.
Mais encore faut-il que les viols soient enregistrés auprès de la police et de la justice, dans un pays où les condamnations pour viol restent rares, estime le P. Yousaf Mani, président de la Commission ‘Justice et paix’ de la Conférence épiscopale pakistanaise. « Voter une loi importe peu si ensuite elle ne n’est pas appliquée, car elle perd alors de son caractère dissuasif. Par contre, nous sommes contre la peine de mort et nous espérons que la prison à perpétuité permettra d’éradiquer les violences faites aux femmes et aux jeunes filles », a commenté le prêtre auprès de l’agence Ucanews.
D’après les chiffres officiels du ministère des Droits de l’homme, sur les 8 648 cas enregistrés de violations des droits de l’homme entre 2012 et 2015, 14 % concernait des cas de viols et 3 % des cas de harcèlement sexuel, des chiffres bien au deçà de la réalité vécue par de nombreuses femmes pakistanaises, victimes à la foi de violences et de la prééminence de la loi du silence.
Sources : Eglises d’Asie