Le père Imad Twal est l’administrateur du Patriarcat latin de Jérusalem. A l’occasion de la XIVe assemblée générale et du forum international du MIAMSI (Mouvement International d’Apostolat des Milieux Sociaux et Indépendants), il s’est exprimé sur les défis propres à l’identité des chrétiens arabes de Terre Sainte. Voici quelques extraits de son intervention.
Le terme « chrétien arabe » pourrait être considéré par l’esprit occidental comme un oxymore dans lequel les termes semblent contradictoires. Cette contradiction apparente est enracinée dans une compréhension ambiguë de ce que signifie être chrétien ou arabe. Que signifie être chrétien arabe ou d’être arabe? Le terme arabe ne renvoie pas exclusivement aux musulmans, mais comprend également une population chrétienne significative. En outre, tous les Arabes ne sont pas des musulmans, ni tous les musulmans, des arabes.
Les arabes chrétiens s’insurgent contre l’esprit occidental et les médias dans leur tentative d’explication de la différence entre un musulman et un islamiste (on se place au niveau de l’idéologie) ou par le fait que les chrétiens arabes constituent l’Eglise d’origine qui existe de manière continuelle depuis le 1er siècle. Cette Eglise a survécu à travers l’histoire coexistant avec une diversité de communautés et confessions.
« Une église de la diversité: l’Eglise de Terre Sainte se caractérise par sa grande diversité ecclésiale. Elle est composée de différentes Églises, chacune ayant sa propre histoire, sa pensée, sa spiritualité, sa langue, son rite et sa tradition. » (Assemblée des Ordinaires Catholiques de Terre Sainte, 2001)
Le nombre total des chrétiens en Terre Sainte est d’environ 400 000, dont la moitié vit en Jordanie, et l’autre moitié vivant en Palestine et en Israël. Il y a 170 000 catholiques. Tous ces chrétiens sont des arabes, et ils appartiennent à la culture arabe et partage l’histoire arabe. (Nous faisons une distinction avec les chrétiens de langue hébraïque, les communautés hébréophones ou les chrétiens étrangers qui travaillent et vivent en Terre Sainte). « Numériquement parlant, l’Eglise a été une minorité pendant dix-huit des vingt siècles de son histoire. Il y avait bien une majorité du 5ème au 7ème siècle, après quoi son statut majoritaire a commencé à décliner. Pour certains historiens, le nombre de chrétiens au début des Croisades atteignait 50 pour cent de la population. Au début du 20ème siècle, il était de 20 à 30 pour cent. Les statistiques d’aujourd’hui admettent que seuls 2,5 à 3 pour cent de la population est chrétienne. » (évêque Maroun Lahham).
Tous ces chrétiens portent témoignage du Christ dans le pays où il vivait. L’Eglise mère de Jérusalem est un message et un témoin qui parle au cœur de la foi chrétienne. C’est un don et un rappel de son incarnation dans une réalité physique: Nazareth, Bethléem, Jérusalem.
Qu’est-ce qu’être catholique en Terre Sainte? Que voulons-nous dire quand nous parlons d’une identité catholique? Le mot qui ressemble le plus au mot « identité » est le mot appartenance. L’identité de quelqu’un est son appartenance. L’identité catholique est d’abord l’appartenance à une abstraction, comme la spiritualité, à un idéal ou une doctrine, bien que cette appartenance puisse communiquer tout cela et bien plus encore. Il est, en son cœur, une appartenance à un peuple. Il est une appartenance à un corps, sociologiquement identifiable dans l’histoire, avec sa propre forme et son visage. Cela s’appelle l’Eglise.
Ici, en Terre Sainte, notre identité catholique signifie que, tout d’abord, bien qu’il existe de nombreux défis, nous sommes un peuple, une communauté visible unie qui appartient à Jésus qui nous rend différents. «Vous serez mes témoins » (Ac 1, 8). Ce témoignage est notre vocation et notre mission en tant que disciples de « l’Eglise Mère ». La Terre Sainte a été appelé le cinquième évangile, et nous « les pierres vivantes », les chrétiens dans les saints lieux sont le sixième évangile. « Il est vrai que dans ce pays l’Eglise est née non de bâtiments ou de pierres, mais de l’assemblée des fidèles chrétiens qui composent le sixième Evangile.» (Mansour, 2004).
Le deuxième point essentiel est que nous sommes arabes par identité et par nationalité. Nous sommes pleinement intégrés dans la vie nationale du monde arabe, partageant la même langue maternelle, les luttes pour la paix et la justice. Notre objectif est de protéger notre langue précieuse, admirer notre tradition, conserver notre patrimoine et respecter nos coutumes. Cependant, même si nous sommes des Arabes, notre être arabe n’est pas la totalité de notre être.
Nous comprenons qui nous sommes, qui sont les autres, et ce que le monde est dans une perspective qui va au-delà du fait d’être arabe. Notre appartenance à l’Eglise crée une sous-culture qui est elle-même un défi à la culture majoritaire de notre société.
Je pense souvent à la naissance de l’Eglise à la Pentecôte. Je vois là notre identité en cours de création. Les apôtres et Marie, qui avaient été élevés à connaître Dieu, créateur du ciel et de la terre et de la justice de Dieu et de la vérité, étaient unis. Ils avaient vécu avec Jésus et ne pouvaient qu’être d’accord avec lui quand il s’est identifié à Dieu. Leur expérience a confirmé ce qu’il a dit. Personne ne les regardait et leur parlait comme il l’a fait. Après qu’il les ait laissés, cette chose est arrivée, cette venue de l’Esprit Saint et ils ont commencé à avoir la même expérience d’être ensemble que lorsqu’ils étaient avec lui. Leur communion est devenue l’endroit où ils l’ont rencontré. Ils ont reconnu dans ce qui se passait entre eux , la même vie qu’ils avaient connu en lui. Ainsi, avec Marie, dirigée par Pierre, ils ont commencé à proposer aux autres exactement ce qu’il leur avait proposé, la vie avec lui, et par lui, par la puissance du Saint-Esprit, la communion avec le Père. Notre identité est formée par l’appartenance au peuple où cela se perpétue.