En juin 2017, lors d’un « start up week-end », le diocèse de Nantes avait choisi le projet d’un bar catholique et l’avait annoncé en grande pompe. Il devait être animé par Étienne, ancien employé de banque, Benoît, spécialiste en design de transport et Marine, ex-téléconseillère, des jeunes de 24 à 40 ans investis dans leurs paroisses. Le bar devait ouvrir près de l’église Sainte-Croix, dans le Bouffay. Il est finalement enterré, mais non par la faute du diocèse. Explications.
Il y a d’autres bars catholiques en France : il en existe à Paris (la cave du 222), Toulon (Le Graal, dans un ancien… bar gay), Grenoble (Isèreanybody), Lyon – il y en a même deux (le Simone et la Cave des Dominicains), Lille (le Comptoir de Cana), Bayonne, Saint-Etienne(le Narthex) depuis le 8 décembre etc.
Etienne Blin, l’un des fondateurs, accuse la mauvaise volonté du diocèse et du passage Sainte-Croix
Interrogé par le blog catholique Le Salon Beige, Étienne Blin, l’un des fondateurs – qui a fini par porter le projet seul – a accusé le diocèse de ne pas l’avoir aidé : « pour être honnête le diocèse était même moins accueillant que la mairie de Nantes ». Même s’il a eu un rôle clé : « la condition était que le diocèse nous fournisse le lieu. Un lieu était parfait et disponible : L’Ecclésiole en plein centre-ville de Nantes à côté de l’église Sainte Croix », rue Belle Image.
Une autre épine serait venue du passage Sainte-Croix : « C’est un musée qui a pour but d’évangéliser grâce à l’art. Cependant ce dernier n’a pas souhaité notre présence car nous avions l’étiquette catholique. A notre grande surprise ! », accuse Etienne Blin, qui enfonce le clou : « depuis que cette association existe (10 ans) le conseil d’administration a évolué et est composé aujourd’hui à majorité de personne non-catholiques, je dirais même « anti-catho » car ils souhaitent enlever l’esprit d’évangélisation au sein du musée ».
En réalité, il semble surtout que le passage Sainte-Croix n’était pas chaud pour que le café utilise le passage le soir – les grilles sont en effet fermées à 18h30, en accord avec la mairie, mais aussi pour que la faune parfois dangereuse et souvent alcoolisée qui traîne dans le quartier Bouffay n’en fasse pas son refuge, avec tous les dommages collatéraux (casse, dégradations, bagarres) que cela pourrait impliquer.
« Pas d’équipe et pas de rentabilité »
Dans les commentaires du Salon Beige, prompts à vilipender le diocèse – qui il est vrai tend parfois des perches grandes comme des poteaux téléphoniques pour se faire battre, notamment au niveau de la collaboration avec l’invasion migratoire – le message de Soeur Marie Anne, de la Fraternité bénédictine apostolique [les sœurs qui vivent au prieuré Sainte-Croix et s’impliquent dans la paroisse] dénote : «il aurait été plus juste qu’Étienne évoque également les difficultés au sein de sa propre équipe pour arriver à travailler ensemble (ils étaient 3 jeunes) ainsi que sa difficulté à monter un projet fiable économiquement. Ayant eu connaissance du projet, ce sont des points de fragilité que j’ai remarqués ».
Nous avons recueilli le témoignage d’une des sœurs : « ce que dit Étienne Blin sur le web est inexact et surtout injuste. Nous avons passé du temps sur son projet. Le problème, c’est qu’il n’y avait pas d’équipe, et il n’y avait pas de rentabilité jusque cinq ans au moins. Tout ce temps, c’est le diocèse qui aurait du abonder, en plus de fournir le local ».
«Il faut que le projet soit viable économiquement »
Étienne Blin a-t-il voulu les hosties, le calice, le beurre et l’argent de la quête ? Édouard Roblot, aumônier des étudiants à Nantes et responsable des projets novateurs, est plus nuancé. « En fait, il y a eu un quiproquo – on ne devait pas fournir le local », commence-t-il d’emblée, avant de s’arrêter sur les dissensions de l’équipe du départ – ils partirent trois et ne resta qu’Étienne Blin. Qui « pensait que le diocèse fournisse le local, mais il n’en a jamais été question ». Pourtant, il était assez clair que le café catholique s’implanterait dans les anciens locaux de l’Ecclésiale près de Sainte-Croix puisque les protagonistes locaux – passage Sainte-Croix, sœurs, paroisse – ont participé aux réunions d’élaboration du projet.
« On voulait susciter des actions pour moderniser l’image de l’Eglise », explique Edouard Roblot. Qui aurait pu trouver de l’inspiration dans le diocèse voisin de Rennes où le père Nîcolas Guillou s’est inspiré de Star Wars deux Noëls de suite, dégainant le sabre laser sous le slogan « que la force de Jésus soit avec vous ». Quant au local, « celui de l’Ecclésiale était libre, mais il fallait que le projet soit viable économiquement ». Et il se fait plus précis : « on ne voulait surtout pas se retrouver avec un fil à la patte. Si une entreprise a des liens avec l’Eglise c’est très bien, mais là Etienne Blin pensait que le diocèse allait lui fournir un local », où en plus de gros travaux étaient à prévoir. Sans compter l’intervention d’autres parties, dont la mairie et le préfet.
Justement à propos de préfet, sur le Salon Beige, Etienne Blin affirme que « le préfet qui a donné son accord pour la dérogation d’une licence 4 à côté d’une église (chose qui aujourd’hui est interdite en France) une chance incroyable ! ». Réponse du père Roblot : « je ne pense pas que le préfet l’a fait, en tout cas il ne me l’a pas dit, et s’il a acheté une licence IV ça me surprendrait énormément ». Et il enfonce le clou « il n’y avait aucun business-plan ».
De la part d’un employé de banque, qui sait combien les banques demandent de garanties et sont réticentes à faire la seconde partie de leur vocation – collecter l’argent et le réinjecter dans l’économie réelle – allant jusqu’à encalminer, voire couler des entreprises tout à fait viables, aux carnets de commandes surchargés qui ont besoin de financements à un moment clé de leur existence, pour acheter une machine, un bâtiment, s’agrandir, recruter…, ça laisse songeur.
Quant au prieuré Sainte-Croix, pour Édouard Roblot, « il n’a rien à voir là-dedans, c’est de l’amertume de la part d’Etienne à qui j’ai dit plusieurs fois les choses, en vain ». Résultat, aujourd’hui le diocèse retient que l’idée est bonne, mais il faut d’autres porteurs : « c’est une bonne idée !Une équipe qui souhaiterait s’en emparer aurait comme première tâche […] de lui assurer une pleine viabilité économique en s’entourant de partenaires multiples qui pourraient y contribuer ». Bonne chance, puisque Etienne Blin avait calculé (La Vie, 12/10/2017) que « le chiffre d’affaires d’un bar catholique est moitié moins élevé que celui d’un bar normal. Beaucoup hésitent à passer la porte d’un établissement confessionnel ».
Commentaire de la part d’un paroissien du nord-castelbriantais : « ce diocèse il est bien gentil avec ces start-ups catholiques, mais ils sont comme les autres, les idées, innovantes ou non, c’est pour la ville, les paroisses rurales ont soit la chance d’avoir un bon curé, soit elles n’ont qu’à crever ». Dans les petites communes rurales, la disparition des commerces– bars en tête – est comme la sève qui quitte les arbres. Elles aimeraient bien des jeunes, cathos ou non, pour reprendre le flambeau, faire revivre, amener le regain.
Café catho : un équilibre (très) difficile à trouver, l’exemple de Lille
En ligne, on trouve le compte-rendu d’expérience du Comptoir de Cana, qui comme son nom ne l’indique pas, n’est pas à Ancenis, mais à Lille. Ouvert le 17 mars 2015, « s’adressant prioritairement aux 25-35 ans, pour des rencontres et un lieu de convivialité pas comme les autres », c’est le café catho de Lille, dont l’ouverture a été remarquée et relayée par la presse locale toute entière. Imaginé en 2013, il s’est inspiré de « l’Escale au Havre [fermé depuis] ou The Blackfriars (pub tenu par des Dominicains) à Louvain-la-Neuve en Belgique » et a été mûri pendant deux ans avec une équipe de 8 diocésains et de 12 bénévoles.
Il a bien fallu deux ans pour « trouver un lieu, un concept, un gérant et un modèle économique », écrit Régis Heaulme, diacre et gérant du lieu de 2015 à 2017. Ouvert « que le soir du mardi au samedi ainsi que le samedi après-midi », le comptoir de Cana propose des soft, des vins, cocktails, bières et de la petite restauration (faute d’extraction d’air) ainsi que le wifi. Il a une licence IV et est porté juridiquement par une association – les amis du Comptoir de Cana.Le local est petit pour limiter les risques (52m²), tout comme la structure – « un seul salarié aidé par des bénévoles ».
Néanmoins le diocèse a consenti un prêt d’un an pour acheter le fonds de commerce (78.000 €), la licence IV (9000€), les formations et frais à l’ouverture. Ce prêt – de 100.000 € – a été « remboursé par les dons collectés la première année », à savoir deux dons de communautés religieuses de 20.000 et 15.000 €, une subvention déguisée du diocèse – à savoir du service diocésain des jeunes – de 10.000 € et l’apport personnel des fondateurs (15.000 €). Tout cela pour un CA moyen de 70.000 € par an, avec un objectif quotidien de 380€ en moyenne.
Quant au retour d’expérience, il montre que ce n’est pas le miroir aux alouettes. « Il a fallu nous battre avec les services municipaux […] J’encourage à beaucoup de ténacité […] L’équilibre des comptes est une difficulté permanente ». Effectivement, «il est un peu frustrant de mesurer l’énergie et la bonne volonté dépensées [et] malgré ces efforts, on peine à dégager un maigre bénéfice ». Sans compter que « les nombreuses charges sont les mêmes : salaire, loyer, assurances, cabinet comptable, cotisations obligatoires comme la Sacem ou la Médecine du Travail, impôts et taxes de toutes sortes qui grèvent considérablement le budget ».
A ce propos, l’Escale au Havre a mis la clé sous la porte après une liquidation judiciaire, provoquant de gros remous au diocèse qui y a perdu 60.000 €, qu’il qualifie de prêt et l’ancien gérant de subvention. Quant au diacre qui portait le projet et ancien président de l’association gestionnaire, il a entamé une procédure au civil contre le diocèse, s’estimant diffamé – le diocèse l’a en effet accusé de « graves erreurs de gestion » dans un communiqué du 24 janvier 2015. Bref, quel que soit le degré des boissons servies ou des passions, il est peu probable que l’esprit d’Evangile y ait gagné.