Déplacées, refoulées, plus de 20.000 nouvelles victimes de la guerre entre l’armée gouvernementale et l’Armée pour l’indépendance kachin (KIA) ont fui leurs villages ou leurs camps, ces dernières semaines. Depuis l’offensive conjointe de quatre groupes rebelles fin novembre, les ethnies kachin et shan paient un lourd tribut au regain de tensions au nord-est du pays, où la minorité chrétienne est très présente.
Elles ont fui les bombes. Elles ont cherché désespérément un abri. Elles ont même songé à quitter leur pays pour se réfugier en Chine. Plus de 4 000 personnes de l’ethnie kachin ont erré pendant plusieurs jours, baluchons sur le dos la journée, allongées sous des bâches tendues entre des pieux de bambou la nuit. « Elles ont dormi à même le sol, s’est offusqué Gum Sha Awng, le porte-parole d’une coalition d’organisations non-gouvernementales, le 13 janvier dernier. Il y avait des personnes âgées et des femmes enceintes. Notre première inquiétude, c’est leur sécurité. La seconde, leur alimentation. La troisième, leur santé. »
Le 10 janvier dernier et les jours suivants, d’intenses combats ont obligé ces 4.000 personnes à fuir, en pleine nuit, les camps de déplacés qu’elles occupaient depuis la reprise du conflit en juin 2011 entre la KIA et l’armée birmane. Le 13 janvier par exemple, sept obus de mortier ont partiellement détruit le camp de Zai Wang. Personne n’a été blessé. La localité avait déjà été évacuée car des bombes étaient tombées à proximité les jours précédents.
Ces milliers de personnes ont essayé de fuir en Chine, en vain. Plusieurs sources indiquent que les autorités chinoises ont refoulé les réfugiés. L’Ambassade de Chine à Rangoon a démenti cette information, rejetant la faute sur les autorités birmanes locales. « La Chine doit respecter les droits de l’Homme au niveau international, a expliqué Gum Sha Awng. Elle doit protéger les gens qui ne peuvent pas éviter les combats. » Finalement, les 4 000 déplacés ont regagné les camps qu’ils occupaient auparavant.
L’Etat kachin compte 100.000 déplacés. La plupart d’entre eux vivent depuis 2011 dans des zones qui ne sont pas contrôlées par le gouvernement birman et qui, ces dernières semaines, font l’objet d’offensives de la part de l’armée birmane. La presse locale rapporte que l’insurrection kachin a perdu de nombreux postes avancés.
En novembre dernier, la KIA ainsi que trois autres groupes ethniques rebelles actifs dans le nord-est de la Birmanie ont lancé une offensive coordonnée contre plusieurs postes de police. Ils ont revendiqué leur action, admettant pour la première fois, que leur rôle n’était pas simplement défensif dans le conflit qui les oppose à l’armée birmane. Plusieurs roquettes sont tombées sur des infrastructures de transport, notamment des routes et des ponts, ainsi que dans des zones peuplées de civils, aux alentours de la ville frontière de Muse. L’armée birmane a indiqué que dix personnes avaient perdu la vie dans cette opération. Parallèlement, l’alliance rebelle a pris la ville de Mong Ko, un peu plus à l’est, qu’elle a ensuite perdue au terme d’intenses affrontements soutenus par l’aviation birmane. Des dizaines de civils ont été tués au cours de ces combats d’après la coalition d’ONG dont Gum Sha Awng est le porte-parole.
En visite en Birmanie, Yanghee Lee, l’envoyée spéciale des Nations-Unies pour les droits de l’Homme, a essayé de se rendre à Laiza, le siège de l’insurrection kachin, pour y évaluer la situation. Dirigé de fait par la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi, le gouvernement lui a interdit l’accès à cette ville adossée à la frontière chinoise, invoquant des raisons de sécurité. Secrétaire général de la Convention baptiste kachin, Hkalam Samson estime pour sa part qu’il n’y avait aucun affrontement dans cette ville ni à ses abords lorsque la diplomate coréenne a souhaité s’y rendre. « Le précédent gouvernement [des anciens militaires] avait autorisé l’envoyé spécial d’alors, M. Quintana, à voyager à Laiza, remarque-t-il. Le gouvernement actuel semble ne pas vouloir laisser Yanghee Lee observer la situation de ses propres yeux. » Et le révérend baptiste de confier son amertume au sujet de l’annulation de cette visite, qui, selon lui, traduit la proximité qu’entretient Aung San Suu Kyi avec les militaires : « Elle essaie encore de trouver des compromis avec eux mais cela ne fonctionne pas ».
La minorité chrétienne est fortement représentée dans l’Etat kachin. Composée à deux tiers de baptistes et un tiers de catholiques, elle forme 34 % de la population de cette région la plus septentrionale de Birmanie, d’après le recensement de 2014. Et elle souffre tout particulièrement. « À Mong Ko, un pasteur et son assistant ont disparu le 24 décembre dernier, s’inquiète Hkalam Samson. Nous les recherchons. Mais les autorités locales et les religieux ont peur de poser des questions à l’armée. Nous avons retrouvé trois corps non identifiés à proximité du camp militaire de Mong Ko. Ce ne sont pas ceux des pasteurs disparus. » Les deux religieux ont été vus la dernière fois alors qu’ils se rendaient à une caserne militaire, où ils avaient été convoqués par téléphone (voir notre article à ce sujet).
Le Général Gun Maw, un des principaux dirigeants de la KIA, accuse lui aussi le gouvernement d’Aung San Suu Kyi d’accroître la souffrance des civils par sa mauvaise gestion de la crise kachin. « Nous croyons que le gouvernement a la volonté, mais qu’il n’a pas la capacité de mettre en œuvre [le processus de paix], estime-t-il dans un entretien au journal en exil, The Irrawaddy. Il ne dit rien et il semble que cela encourage les offensives [de l’armée birmane]. »
Depuis leurs attaques coordonnées de novembre, les quatre groupes rebelles du nord du pays sont considérés comme des organisations terroristes par l’armée birmane. Le Général Gun Maw affirme qu’il n’est pas possible de mener des pourparlers de paix dans ces conditions. Or, la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi doit convoquer une conférence sur la paix le mois prochain. Hkalam Samson espère d’ailleurs y envoyer une délégation de son église afin de soutenir les efforts de paix. Il dit attendre une invitation officielle pour cela. Mais dans le contexte actuel extrêmement tendu, la relance du processus de paix paraît bien délicate.
Source : Eglises d’Asie