Récemment le pape François a laissé entendre que la liturgie depuis Vatican II avait pu se laisser gagner par une certaine médiocrité. Un moine de Triors, dans l’Homme nouveau revient sur ce qu’a dit le pape.
Il est assez rare que le Pape parle de liturgie. Aussi devons-nous regarder avec soin le discours du 4 mars dernier. Parlant à des spécialistes de la Musique sacrée, le Pape souligne que depuis la réforme conciliaire, la célébration eucharistique a été parfois entachée de médiocrité. Cela est inacceptable car la liturgie est une théophanie. Elle est entièrement centrée sur Dieu par l’adoration que lui rend sa créature. Vouloir, au nom d’une participation mal comprise, la ramener à une simple fête de l’homme serait faire fausse route, en oubliant que la liturgie est avant tout le lieu de l’adoration de la Sainte Trinité et qu’elle rend véritablement présent le mystère de notre Rédemption qui est commémoré dans le mystère de la Sainte Eucharistie. Or un mystère, par définition, ne pourra jamais être pleinement compris. Sans la foi, on ne peut entrer dans le mystère. Sans la foi par conséquent aucune liturgie ne saurait être acceptable.
Le Pape aborde surtout dans ce discours la musique sacrée qui, elle aussi et peut-être surtout, a connu bien des vicissitudes depuis une cinquantaine d’années, avec l’oubli quasi général du fameux n°116 de la Constitution sur la liturgie qui affirme que « l’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ». Le Pape ne cite pourtant pas ce numéro, mais il donne des directives générales à partir de l’instruction Musicam sacram dont le but avait été d’approfondir les rapports entre la musique sacrée et la culture contemporaine.
Le Pape remarque que la Constitution fut le premier document conciliaire accepté à la quasi unanimité. Ce fut lui pourtant qui posa dans la pratique le plus de difficultés. Les Pères avaient averti les fidèles du danger d’une « participation active » mal comprise. Cependant celle-ci était nécessaire pour faire entrer tous les croyants dans le grand mystère de la Liturgie qui n’est autre que celui de la prière de l’Église. Le Pape insiste sur cette participation qu’est le chant liturgique qui permet de rendre la cérémonie plus noble, plus digne et plus fervente. Le chant permet aussi l’unité des cœurs dans la louange. On connaît les phrases de saint Augustin sur le chant liturgique : l’unité des cœurs apparaît plus évidente dans l’unité des voix. Le chant liturgique nous élève ainsi et nous fait vraiment concitoyens de la Jérusalem céleste, car il n’y a qu’une seule liturgie. Pourtant, cette participation doit suivre l’action liturgique qui est d’abord divine. C’est pourquoi tout chant liturgique doit être non seulement digne, mais encore à l’unisson du chant des anges. Il doit nous faire entrer dans le mystère théophanique. Il faut toujours se rappeler que toute action liturgique s’accomplit par le Christ unique prêtre du Nouveau Testament : par Lui, avec Lui et en Lui. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons participer pleinement au mystère actualisé de notre salut. On ne pourra comprendre encore une fois totalement le mystère qui nous dépasse indéfiniment, mais nous devons adorer, accueillir dans la foi et l’espérance, pour en percevoir le sens véritable. Cela ne peut se faire que par l’écoute et dans le silence qui nous permet d’écouter la musique et le sens du langage intime du Seigneur qui parle et agit dans l’action liturgique. On ne pourra jamais gommer le passé de vingt siècles liturgiques. Il faut le conserver dit le Pape, sans pour autant tomber dans une vision archéologique et nostalgique, déjà condamnée d’ailleurs par Pie XII dans Mediator Dei. Grande est donc l’ambition du Pape. On ne peut alors que chanter avec lui un Magnificat.
Le discours du Pape
Je suis heureux de vous rencontrer, vous tous réunis à Rome de divers pays pour participer au congrès sur «Musique et Église: culte et culture cinquante ans après Musicam sacram», organisé par le Conseil pontifical de la culture et par la Congrégation pour l’éducation catholique, en collaboration avec l’institut pontifical de musique sacrée et l’institut pontifical liturgique de l’université Saint-Anselme. Je vous salue tous cordialement, en commençant par le cardinal Gianfranco Ravasi, que je remercie pour son introduction. Je souhaite que l’expérience de rencontre et de dialogue vécue en ces jours, dans la réflexion commune sur la musique sacrée et en particulier dans ses aspects culturels et artistiques, se révèle fructueuse pour les communautés ecclésiales.
Un demi-siècle après l’Instruction Musicam sacram, le congrès a voulu approfondir, dans une optique interdisciplinaire et œcuménique, le rapport actuel entre la musique sacrée et la culture contemporaine, entre le répertoire musical adopté et utilisé par la communauté chrétienne et les tendances musicales prédominantes. La réflexion sur la formation esthétique et musicale tant du clergé et des religieux que des laïcs engagés dans la vie pastorale, et plus directement dans les scholae cantorum, a été également très importante.
Une longue réflexion
Le premier document issu du concile Vatican II fut précisément la Constitution sur la liturgie Sacrosanctum Concilium. Les pères conciliaires percevaient la difficulté des fidèles à participer à une liturgie dont ils ne comprenaient plus pleinement le langage, les paroles et les signes. Pour concrétiser les lignes fondamentales tracées par la Constitution, des Instructions furent publiées, parmi lesquelles, précisément, celle sur la musique sacrée. Depuis lors, bien qu’aucun nouveau document du magistère n’ait été produit sur ce thème, diverses interventions pontificales importantes ont eu lieu, qui ont orienté la réflexion et l’engagement pastoral.
Le préambule de l’Instruction mentionnée est encore d’une grande actualité: «L’action liturgique revêt une forme plus noble lorsqu’elle est accomplie avec chant, que chaque ministre y remplit la fonction propre à son rang et que le peuple y participe. Sous cette forme, en effet, la prière s’exprime de façon plus pénétrante; le mystère de la liturgie, avec ses caractères hiérarchique et communautaire, est plus ouvertement manifesté; l’unité des cœurs est plus profondément atteinte par l’union des voix; les esprits s’élèvent plus facilement de la beauté des choses saintes jusqu’aux réalités invisibles; enfin la célébration tout entière préfigure plus clairement la liturgie céleste qui s’accomplit dans la nouvelle Jérusalem» (n. 5)
Le document, suivant les indications conciliaires, souligne à plusieurs reprises l’importance de la participation de toute l’assemblée des fidèles, définie comme «active, consciente et pleine», et souligne également très clairement que la «véritable solennité d’une action liturgique dépend moins d’une forme recherchée de chant ou d’un déploiement magnifique de cérémonies que de cette célébration digne et religieuse» (n. 11). Il s’agit donc avant tout de participer intensément au Mystère de Dieu, à la «théophanie» qui s’accomplie dans toute célébration eucharistique, dans laquelle le Seigneur est présent au milieu de son peuple, appelé à participer réellement au salut réalisé par le Christ mort et ressuscité. La participation active et consciente consiste donc à savoir entrer profondément dans ce mystère, à savoir le contempler, l’adorer et l’accueillir, à en percevoir le sens, grâce en particulier au silence religieux et à la «musicalité du langage avec lequel le Seigneur nous parle» (Homélie à Sainte Marthe, 12 décembre 2013). C’est dans cette perspective que s’inscrit la réflexion sur le renouveau de la musique sacrée et sur sa précieuse contribution.
Sauvegarde et inculturation
À cet égard, apparaît une double mission que l’Église est appelée à poursuivre, en particulier à travers ceux qui, à titre divers, œuvrent dans ce secteur. Il s’agit, d’un côté, de sauvegarder et de valoriser le patrimoine riche et multiforme hérité du passé, en l’utilisant de façon équilibrée dans le présent et en évitant le risque d’une vision nostalgique ou «archéologique». D’autre part, il est nécessaire de faire en sorte que la musique sacrée et le chant liturgique soient pleinement «inculturés» dans les langages artistiques et musicaux de l’actualité; c’est-à-dire qu’ils sachent incarner et traduire la Parole de Dieu en chants, sons, harmonies qui font vibrer le cœur de nos contemporains, en créant également un climat émotif opportun, qui dispose à la foi et suscite l’accueil et la pleine participation au mystère que l’on célèbre.
La rencontre avec la modernité et l’introduction des langues parlées dans la liturgie a sans aucun doute soulevé de nombreux problèmes: de langages, de formes et de genres musicaux. Parfois ont prévalu une certaine médiocrité, superficialité et banalité, au détriment de la beauté et de l’intensité des célébrations liturgiques. Pour cela, les divers protagonistes de ce domaine, musiciens et compositeurs, directeurs et choristes de scholae cantorum, animateurs de la liturgie, peuvent apporter une précieuse contribution au renouveau, surtout qualitatif, de la musique sacrée et du chant liturgique. Pour favoriser ce parcours, il faut promouvoir une formation musicale adaptée, également chez ceux qui se préparent à devenir prêtres, dans le dialogue avec les courants musicaux de notre temps, avec les instances des divers domaines culturels, et dans une attitude œcuménique.
Chers frères et sœurs, je vous remercie encore pour votre engagement dans le domaine de la musique sacrée. Que vous accompagne la Vierge Marie qui, dans le Magnificat, a chanté la sainteté miséricordieuse de Dieu. Je vous encourage à ne pas perdre de vue cet important objectif: aider l’assemblée liturgique et le peuple de Dieu à percevoir et à participer, à travers tous les sens, au mystère de Dieu. La musique sacrée et le chant liturgique ont le devoir de nous transmettre le sens de la gloire de Dieu, de sa beauté, de sa sainteté qui nous enveloppe comme un «nuage lumineux».