Attendu avec attention et circonspection, le Motu Proprio “Traditionis Custodes” daté du 16 juillet dernier aura fait couler beaucoup d’encre et suscité beaucoup de stupeurs, tant sa lettre est en contradiction manifeste avec les exhortations bienveillantes des précédents pontifes. Non seulement il rétablit un régime de restriction quant à l’usage du missel tridentin (le régime antérieur à 2007, qui était celui de l’indult de 1984), mais il envisage, en des termes à peine voilés, sa suppression progressive. Une telle contradiction ne peut être étonnante au regard des accueils récents, y compris à Rome, de communautés et mouvements de la mouvance dite “traditionnelle”. Comment expliquer un ton aussi polémique alors même que des célébrations selon l’usus antiquior étaient encore récemment admises à la Basilique Saint-Pierre de Rome avec des messages d’encouragement en haut-lieu ? On pourrait se demander s’il y a encore une cohérence dans le gouvernail ecclésial tant les contradictions – dans un temps aussi rapproché – deviennent patentes.
Le Motu Proprio a été accompagné d’une lettre du Pape aux évêques. On regrettera éminemment le ton acrimonique, mais aussi certaines erreurs juridiques ou factuelles de ces deux documents. Elles sont criantes.
- Tout d’abord, il semble qu’il y ait confusion quant au formes antérieures à 1970. Contrairement aux idées reçues, Vatican II n’a pas débouché sur l’édition de 1969 du Missel romain, mais il a connu plusieurs réformes à partir de 1964 qui aboutirent notamment à l’editio typica de 1965, un missel tridentin retouché et adapté à certaines “souplesses” voulues par les Pères conciliaires. Comment peut-on, dans la lettre même du texte, passer sous silence cette complexité liturgique des années 1960 ? Est-ce par volonté d’aller vite, quitte à mentir ou à omettre des éléments importants dans la compréhension de la réforme liturgique ? En toute logique, ce qui est antérieur au Missel de 1969, c’est l’édition de 1965, pas celle de 1962… Cela signifie que le Pape interdit la célébration selon le Missel de 1965 ?
- Pourquoi confier l’autorisation de dire la messe traditionnelle à l’évêque, tout en subordonnant son intervention à une autorisation romaine, sans créer de la lourdeur et de la bureaucratie ?
- Comment affirmer si péremptoirement que l’attrait pour l’ancienne liturgie va de pair avec une attaque en règle du concile Vatican II (!), alors même que les prêtres autant que les fidèles n’ont guère l’occasion de se pencher sur ce concile. C’est ignorer la dimension spirituelle des prêches et de la vie des communautés traditionnelles. On lira ce passage étonnant de la lettre d’accompagnement: “il est de plus en plus évident, dans les paroles et les attitudes de nombreuses personnes, qu’il existe un rapport étroit entre le choix des célébrations selon les livres liturgiques antérieurs au Concile Vatican II et le rejet de l’Église et de ses institutions au nom de ce qu’ils jugent être la ‘vraie Église’.” Les rédacteurs ont-ils réellement enquêté auprès des communautés traditionnelles ? Ont-ils, par exemple, rencontré les pèlerins de Chartres ? Peut-on limiter la vie de cette mouvance à des colloques sur un point particulier de la vie de l’Eglise ?
- A l’heure actuelle, la version française du texte n’est pas disponible sur le site du Vatican…
- Comment mettre sur un pied d’égalité des abus liturgiques constatés dans la forme extraordinaire du rite romain – même le Pape le reconnaît – et les célébrations selon la forme extraordinaire, alors que ces dernières restent assez peu – c’est un euphémisme – dispersives ou chaotiques ?
- Autre exemple de mesquinerie – car elle constitue une démarche aussi impraticable que problématique – : l’annonce selon laquelle “les messes suivant l’ancien rite ne seront plus dites dans les églises paroissiales”. Ce serait donc mettre fin à des célébrations ancrées dans certaines églises paroissiales et encourager encore plus le “ghetto liturgique” que les textes du Pape semblent craindre. Comment mettre en œuvre une disposition qui aboutirait à des problèmes pratiques insurmontables (où trouver les locaux si ce n’est de recourir à des églises désaffectées ? etc.).
- Enfin, à la différence du Motu Proprio Summorum Pontificum, le texte est applicable immédiatement… Quel est ‘intérêt de ne prévoir aucune mesure transitoire ?
Bref, on le voit, on se demande si le but du texte est davantage de créer de la confusion, voire une crise, dont l’Eglise se serait bien passée. Vu la réaction enracinée dans le sensus fidei, il est à craindre qu’un tel texte ne soit la victime de ce qu’il a cherché.