“Onfray l’imposture d’une star ou l’obscurantisme des temps modernes” aurait pu être notre titre de la recension de la Refutatio du Pr Salamito, sur le dernier livre de Michel Onfray, Décadence.
Michel Onfray est un nom porté par les médias comme une des grandes références intellectuelles de la fin du XXe siècle et du début du XXIe.
Il faut pourtant reconnaître qu’hormis une œuvre de vulgarisation et de nombreuses positions données avec la seule autorité de son aura médiatique, il n’existe pas de pensée qui lui soit propre. Si Michel Onfray est d’un courant, il n’est pas une école de pensée. Connu pour ses positions souvent radicales sur la politique ou la religion, il oscille entre diverses tendances, le laissant d’un certain côté insaisissable et par là libre. Il a récemment déconcerté ses pires ennemis, les chrétiens, par ses positions anthropologiques relativement proches d’eux dans ses oppositions aux différentes innovations sociétales.
Son ouvrage récent, Décadence, les prend à nouveau de plein fouet, renouant avec ses vieux fantômes anti-chrétiens. Un temps cité volontiers par ses plus farouches opposants, il s’est radicalement éloigné dans un procès à charge contre eux et leur fondateur supposé, Jésus, à moins que ce ne soit Paul.
Décadence, porte bien son titre en ce qu’il laisse le lecteur décontenancé par la pauvreté intellectuelle de son contenu. Un réquisitoire violent contre le christianisme, catholicisme en tête cela va de soi, pour une plaidoirie saisissante de – j’ose le mot – malhonnêteté. Pour un tout autre auteur nous aurions pu parler d’ignorance crasse, mais le grand Onfray ne peut pas ne pas avoir intentionnellement truffé son ouvrage de tant d’erreurs, aussi grossières parfois.
A moins que le mythe Onfray ne soit une véritable imposture. C’est en tout cas la question que l’on se pose à la lecture de la refutatio à laquelle se livre le Professeur Salamito. Titulaire de la chaire d’histoire du christianisme à la Sorbonne, Jean-Marie Salamito, s’est vu interpeler par nombre de lecteurs de Décadence, sur la charge aux allures scientifiques de Michel Onfray contre les premiers temps du christianisme à commencer par la remise en cause de l’historicité du Christ Lui-même.
Il faut être infiniment reconnaissant à Jean-Marie Salamito de s’être « appuyé » la lecture de ce qu’il convient d’appeler avec l’historien, un univers de mythes. Une très mauvaise copie d’étudiant inculte qui n’aurait pas valu la peine d’une mise au point si l’auteur n’avait eu une telle audience. Et en ce sens, le travail méritoire du successeur de Marrou est une véritable refutatio. En publiant Monsieur Onfray au pays de mythes (Ed. Salvator), ce spécialiste de saint Augustin renoue avec un premier écrit de réfutation, paru il y a quelques années pour rétablir, une fois encore, la vérité suite à une série d’émissions sur Arte. Comme pour les chevaliers de l’Apocalypse, Jean-Marie Salamito est poussé par un devoir de vérité.
« Répéter que Jésus est un concept, noyer sa réalité dans les fictions de quelques apocryphes ou dans les anachronismes d’artistes très postérieurs à l’Antiquité, c’est ce que fait Décadence en de nombreuses pages. » Assénant des vérités qui n’en sont pas, tronquant ses références, jouant de l’amalgame ou de l’anachronisme, ne reculant pas devant ses propres contradictions, Michel Onfray pontifie avec l’autorité de sa réputation, espérant que personne n’irait sans doute vérifier ses dires.
Il est malheureusement tombé sur un spécialiste, un historien qui use de méthode et démonte ses arguments d’autorité point par point en utilisant et vérifiant les sources, les contextualisant (ce que ne fait pas Onfray). On y découvre des erreurs aussi grossières que se tromper de nom de personnages, faire assassiner deux fois à un an d’intervalle un opposant de Constantin, le deuxième grand méchant de service après Paul, le névrosé sexuel. L’avorton de Dieu, un impuissant qui a névrosé l’univers tout entier. Jésus un concept inventé, sans vérité historique. Saint Augustin le guerrier n’est pas le moins mal traité par l’orgueil de Monsieur Onfray qui regarde de très haut celui qui demeure l’un des plus grands penseurs de tous les temps, n’en déplaise au « philosophe de Caen ». L’énumération ridiculisante dont use et abuse Michel Onfray lui sert d’argument scientifique, là où Jean-Marie Salamito n’hésite pas à retraduire du grec, replacer dans le contexte historique et littéraire. « Une telle rhétorique relève de l’obscurantisme et de la démagogie », conclut le Professeur Salamito qui ne peut que relever la cible réelle de cet ouvrage, les chrétiens d’hier et d’aujourd’hui « coupables de croire en un Jésus mythique, d’écouter un apôtre névrosé, d’être antisémites, d’avoir éclipsé la philosophie et de déserter la vie. Les chrétiens de l’Antiquité, toujours pris en bloc, sans la moindre nuance, sont aussi accusés d’avoir, tels les Vandales, usé de violence partout où ils passaient ». Ainsi se résume la pensée de Michel Onfray que Jean-Marie Salamito s’attache à réfuter avec la précision scientifique de l’honnêteté intellectuelle.
A l’inverse, le chercheur conclut : « Au nom de la connaissance vous avez accumulé les ignorances. Au nom de la critique et de la déconstruction, vous avez gonflé des baudruches et diffusé des mythes. »
Comment ne pas imaginer que ce que Michel Onfray fait ici dans un domaine passé au crible de la vérité scientifique, il ne le fait pas ailleurs, voire systématiquement ? Si Jean-Marie Salamito se refuse à porter un jugement au-delà de son domaine de compétence, le lecteur, lui, est conduit à se poser de sérieuses questions sur l’honnêteté intellectuelle du philosophe. La baudruche ne serait-elle pas le philosophe lui-même ? « Vous avez fait feu sur un objet de votre propre imagination » rétorque l’historien au philosophe.
Mais ce travail de réfutation comporte pour tout lecteur un immense bienfait au-delà de la controverse. En moins de 150 pages, Jean-Marie Salamito éclaire les Évangiles et les premiers temps du christianisme du regard de l’historien. Une véritable leçon utile pour mieux connaître et comprendre un univers plus lointain qu’il n’y paraît et, Michel Onfray en est la preuve, souvent objet de confusions ou de mythes. A qui voudrait se tenir loin de la polémique, cet ouvrage, outre le consternant rappel de la pauvreté de Décadence, serait d’un profit tant culturel que spirituel.
Monsieur Onfray au pays des mythes, ed Salvator, 2017
Jean-Marie Salamito, normalien, agrégé de lettres classiques, est professeur d’histoire du christianisme antique à la Sorbonne (Paris-IV). Spécialiste de saint Augustin, il a publié Les virtuoses et la multitude (Éditions Jérôme Millon) et Les chevaliers de l’Apocalypse. Réponse à MM. Prieur et Mordillat (Lethielleux/DDB). Il a récemment codirigé avec Bernard Pouderon et Vincent Zarini, chez Gallimard, le volume de la Pléiade consacré aux Premiers écrits chrétiens.