Mgr Pontier revient sur la rencontre avec le chef de l’État au Collège des Bernardins, les États généraux de la bioéthique, l’exhortation apostolique du pape François sur la sainteté et la situation sociale.
Le 9 avril, la Conférence des évêques de France a reçu le président de la République au Collège des Bernardins, à Paris. Une première. Pourquoi cette invitation maintenant ?
Depuis quelques années, nous entendons dire que nous sommes trop discrets… Un premier objectif était de nous exprimer de manière originale. Pourquoi inviter le président Macron ? Depuis son élection, après cette année électorale assez étonnante, il avait déjà pris la parole devant les juifs, les musulmans, les protestants. Nous avons eu l’idée de l’inviter pour qu’il puisse s’exprimer sur la place du catholicisme dans la société. Nous avons aussi voulu rendre visible l’Église telle qu’elle est, en conviant des représentants de la vie associative, des responsables d’entreprises, mais aussi des personnes en difficulté qui traversent des épreuves, et des volontaires, des jeunes notamment, qui s’engagent à leurs côtés. C’est d’ailleurs avec des témoignages que nous avons commencé : un jeune homme autiste, avec son frère qui travaille à l’Office chrétien des personnes handicapées, une personne accompagnée par la Société de Saint-Vincent-de-Paul, et une autre par l’Association pour l’amitié. J’ai vu le président très attentif, étonné dans le bon sens, admiratif. Ces personnes nous ont donné un hymne à la vie. Ça a été un beau moment d’expression de la fécondité des fragilités.
Quel message souhaitiez-vous faire entendre au président Macron ?
Nous ne l’avons pas invité pour revendiquer quoi que ce soit, mais dans notre société pluraliste, les catholiques ont leur regard, leurs initiatives et leurs engagements. Dans mon discours, j’ai abordé des questions de société, des réalités d’aujourd’hui, non pas en voulant donner des leçons, mais en offrant une réflexion et des questionnements, notamment sur la place des plus pauvres dans notre société et l’importance de les faire passer en premier. J’ai abordé les questions de bioéthique, des migrants et de l’égalité, c’est-à-dire l’accès pour tous aux biens nécessaires pour une vie sociale et humaine, logement, travail, services publics. Le président, lui, s’est plutôt exprimé sur la laïcité.
On attendait depuis longtemps un discours sur ce sujet.
Il a fait un très bon discours sur la laïcité et sur la place de l’Église catholique dans la société laïque et pluraliste. Manifestement, sa vision est conforme à l’esprit de cette loi de 1905, qui est une loi de séparation des Églises et de l’État, certes, mais aussi de liberté de conscience, de culte, de religion. Il l’a bien affirmé : c’est l’État qui est laïc. La société est pluraliste. Il s’est situé dans ce cadre, en demandant aux catholiques de continuer à rendre le service de leur sagesse, de leur réflexion, de leur engagement dans la société, en particulier avec les plus pauvres, et de garder leur liberté de pensée, de parole et de spiritualité. Un discours qu’on peut qualifier d’encourageant, car on a entendu le président de la République insister sur la manière de se situer dans une société plurielle, qui doit se faire dans un respect de la diversité, ce qui n’empêche pas d’affirmer nos convictions. Nous avons notre liberté, et nous respectons celle des autres ! Nous ne pouvons pas exiger de la nation qu’elle pense et agisse comme nous, mais dans les valeurs que nous portons, il y a des aspects très utiles au bien commun…
Comprenez-vous cette polémique à propos de sa phrase sur “le lien à réparer” entre l’Église catholique et l’État ?
Certains sont dans des postures dont ils ne veulent pas sortir. Comme le président de la République est leur adversaire politique, indépendamment de ce qu’il a dit devant nous, ils ont trouvé une phrase au début du discours – ce qui leur a peut-être évité de lire la suite… – pour redire leur opposition.
Dans votre intervention, vous avez parlé de bioéthique. Comment analysez-vous le déroulement des États généraux qui viennent de se conclure ?
Les États généraux, qui ont duré quatre mois, ont eu, me semble-t-il, une ampleur encore plus grande qu’en 2011. La réflexion et le dialogue vont se poursuivre, d’autant plus que le débat au Parlement aura lieu à l’automne. Je pense qu’ils ont donné la possibilité à un public très large de s’emparer de ces questions. Des débats, un site Internet ont été proposés pour faciliter l’expression. La plupart des citoyens s’en tiennent aux médias qui ne permettent pas forcément de réfléchir en profondeur. De notre côté, la CEF a publié des fiches sur les différents aspects du débat. Nous avons signé une déclaration mettant en garde contre la légalisation de l’euthanasie pendant l’assemblée de Lourdes, même si nous ne savons pas encore si ce sujet sera dans le périmètre de la loi.
Et une journée de réflexion a été organisée à Marseille le 19 avril avec, notamment, Mgr d’Ornellas, responsable du groupe de travail de la CEF sur la bioéthique.
On a vu l’intérêt des 240 personnes inscrites et leur joie d’avoir pu recevoir cet éclairage. J’ai noté la diversité du public, toutes générations confondues, avec des étudiants. Le Dr Perrine Malzac, responsable de l’Espace éthique méditerranéen, chargé d’organiser les débats dans notre région, nous a parlé du climat franc et apaisé, dans le respect des prises de parole. Elle nous a dit sa surprise, heureuse, d’entendre les jeunes exprimer un questionnement de fond, et non pas un assujettissement à la technique, sur ce qui est bon pour l’homme. Mgr d’Ornellas s’est situé sur un plan plus philosophique : comment se construit l’éthique, comment la fragilité permet l’humanisation. Notre fragilité nous fait prendre conscience que nous sommes des êtres de relations, que nous nous construisons les uns avec les autres et les uns par les autres, comment, en ces domaines, il ne faut pas avoir comme seul objectif de vaincre toutes les fragilités. D’ailleurs, ces fragilités peuvent être humanisantes. Les ateliers sur les sujets comme la PMA, la fin de vie, la génétique, les dons d’organes ont eu beaucoup de succès, avec des spécialistes très appréciés.
Les lois civiles ne correspondent pas forcément aux convictions des chrétiens, des catholiques en particulier, et pas seulement en matière de bioéthique. Comment peuvent-ils se situer ?
Une loi civile est la loi d’un moment, d’un contexte. On ne peut pas s’attendre à ce qu’elle soit parfaite, juste, dans le sens du respect de ce qu’est l’être humain. Nous ne pouvons pas, nous, chrétiens, nier la réalité. On ne peut pas rêver que toute la société soit animée par l’anthropologie chrétienne, mais nous savons que nous avons là un trésor à cause de la personne du Christ qui traverse la fragilité humaine sans la fuir et sans se l’épargner, mais en nous montrant le passage incontournable par l’épreuve et la mort, qui ouvre une perspective de vie éternelle, et donc de victoire. Le rôle des chrétiens, c’est de témoigner que la foi en “cet homme”, comme dit Pilate, caricaturé, exprime d’une manière prophétique que celui qui passe par l’échec et l’épreuve est celui qui ouvre les portes de la vie. Nous avons à vivre ce que nous croyons, et pas à lutter pour imposer nos convictions. Nous avons à rendre témoignage de notre foi au Christ par notre vie, notre fidélité, notre confiance et notre conversion permanente. Il nous faut être prophètes !
Être prophètes et saints, pour suivre l’exhortation apostolique Gaudete et exsultate (La Joie et l’allégresse) du pape François parue le 9 avril !
Cette catéchèse sur « l’appel à la sainteté dans le monde moderne » est très belle. La sainteté, c’est la vocation de tout baptisé, elle est ouverte à tous. L’invitation du Pape rejoint chacun dans les diverses circonstances de sa vie. C’est la sainteté des “petits gestes”, des Béatitudes. Elle a des formes d’expression diverses, mais elle est à la portée de tous, pourvu que nous mettions un maximum d’amour, de confiance en Dieu et de responsabilité dans tous les actes de notre vie. Le pape François nous aide, toujours à travers des exemples précis, à ne pas mettre la sainteté là où elle n’est pas. Ce n’est pas le seul travail de l’intelligence, et ce n’est pas non plus la perfection de nos actes qui nous rendront saints. La sainteté ne repose pas sur notre propre volonté : c’est la foi et la confiance en la miséricorde de Dieu, sans cesse donnée, à laquelle nous nous confions et qui nous remet debout. En bon jésuite, le Pape appelle au discernement : ne pas chercher à imiter, mais trouver ce qui est bon pour nous, discerner ce qui est le plus conforme à l’appel de Dieu dans les situations que nous avons à vivre. Et souvent, le plus conforme, c’est la confiance et l’amour.
Cet « appel à la sainteté », qui s’adresse particulièrement aux jeunes générations, paraît quelques mois avant le Synode des évêques sur les jeunes, la foi et le discernement vocationnel.
Les organisateurs ont voulu y associer les jeunes. Le pré-Synode s’est réuni à Rome autour de la fête des Rameaux, en présence de représentants de la jeunesse du monde entier. Le pape François les a encouragés à parler “avec courage et sans gêne”. Dans notre diocèse, nous avons créé un Conseil pastoral des jeunes. Il réunit une trentaine de jeunes adultes qui sont dans la phase de réflexion et de propositions. Elle va déboucher sur des initiatives pour la prochaine année pastorale, afin d’écouter la parole des jeunes et de les rejoindre dans leurs questionnements et leur recherche humaine et spirituelle. C’est Mgr Aveline qui suit ce Conseil. Il est heureux de voir l’intérêt des jeunes et la manière dont ils prennent leur rôle au sérieux.
Les jeunes participent en ce moment, avec d’autres catégories de Français, aux manifestations contre les projets du gouvernement. Êtes-vous inquiet de l’état de notre société et des mécontentements qui s’expriment de manière parfois violente ?
Nous sommes dans une période d’interrogations. Tout le monde affirme la nécessité de faire des réformes dans notre pays et dans des domaines reconnus, et en même temps, il y a une résistance profonde, parfois justifiée, parfois politicienne, aux réformes proposées par ce gouvernement. Mais ce n’est pas nouveau. Alors, on peut se demander si les réformes proposées sont envisagées à partir des plus défavorisés : prend-on en compte leurs besoins ou recherche-t-on seulement la performance financière ? On peut aussi s’interroger sur l’instrumentalisation possible des mécontentements pour déstabiliser le gouvernement et le chef de l’État. Chacun peut répondre à ces questions selon ses convictions.
À 75 ans, les évêques présentent leur démission au Pape. Votre anniversaire est le 1er mai. Avez-vous envoyé votre lettre et avez-vous reçu une réponse ?
Oui, j’ai envoyé ma lettre de démission au Pape et je me suis mis en disponibilité, expliquant que j’étais prêt à quitter mes responsabilités ou à les conserver le temps de finir le mandat de président de la Conférence des évêques qui va jusqu’en juillet 2019. Apparemment, c’est le souhait du Saint-Siège que je continue un an de plus. Je le ferai à une seule condition : que ma santé le permette. Pour le moment, tout va bien ! Si le bon Dieu ne me donne pas de signe contraire, je serai heureux de pouvoir terminer ma mission.
Nous allons bientôt fêter la Pentecôte. Vous allez confirmer 180 adultes à la cathédrale.
La moitié d’entre eux a été baptisée à Pâques, les autres, déjà baptisés, se sont remis en route et ont demandé à être confirmés. Je les ai rencontrés récemment pour une catéchèse sur l’Esprit Saint et la confirmation. Une belle assemblée ! Ce qui me marque, c’est leur qualité d’écoute, leur soif d’approfondir leur foi et leur joie de cheminer vers ce sacrement, d’avoir renoué leur relation avec le Christ, avec l’Église et la communauté chrétienne. J’ai vraiment senti une joie profonde chez ces personnes dont la majorité a entre vingt et quarante-cinq ans, venant d’horizons très divers. Rien a priori ne devrait les réunir, mais l’Esprit de Dieu les a convoqués ces dernières années à ce chemin spirituel. Ce qui me frappe en eux, c’est vraiment la paix, la sérénité et la joie. Cela donne beaucoup d’espérance. Il faut maintenant qu’ils se sentent accueillis dans les communautés chrétiennes, qu’ils y trouvent leur place et qu’ils puissent y prendre des responsabilités.
Source: Riposte-catholique