Mgr Borys Gudziak revient sur la rencontre entre le pape et l’Église gréco-catholique ukrainienne

Mgr Borys Gudziak revient sur la rencontre entre le pape et l’Église gréco-catholique ukrainienne

Ancien éparque de Saint Wladimir-Le-Grand de Paris et actuel archevêque de Philadelphie des ukrainiens, Mgr Borys Gudziak est revenu sur la dernière rencontre qui a eu lieu entre l’Église gréco-catholique ukrainienne et le pape François du 5 au 6 juillet 2019. Ils ont bien sûr abordé la situation en Ukraine, mais également le soutien actif que l’Église romaine a toujours apporté à l’Église gréco-catholique ukrainienne. C’est l’occasion de rappeler le développement impressionnant de cette dernière en un siècle; s’il ne fallait retenir qu’une seule phrase, ce serait la suivante: “j’ai pensé au fait que trois évêchés galiciens des confins de l’empire austro-hongrois en 1900 aient pu se transformer en une Église qui compte aujourd’hui 34 diocèses (diocèses) et exarchats (diocèses de mission) de par le monde entier.” Mgr Gudziak aborde également l’attention du pape François à l’égard de l’épiscopat ukrainien.

Le récit de Mgr Borys Gudziak:

Un événement sans précédent a eu lieu à Rome les 5 et 6 juillet 2019. Le Pape François désireux de manifester son soutien à l’Église gréco-catholique ukrainienne en période de guerre, de changements dans les relations interconfessionnelles, d’espoirs fluctuants au milieu de tensions accrues, de crises humanitaires et sociales…, a invité le chef, les métropolitains et les membres du synode permanent de l’ÉGCU à une réunion au Vatican.

Le Pape lui-même, le cardinal-secrétaire d’état et les principaux responsables du Secrétariat d’Etat du Vatican, les préfets de quatre départements de la Curie, ainsi que leurs assistants, ont participé à deux journées entières de conversations fraternelles et de réflexions consacrées aux défis et à la mission de notre Église – en Ukraine et là où elle est présente dans le monde.

Pour comprendre le caractère unique de cette manière de travailler, on pourrait imaginer le président américain – dirigeant politique de 300 millions de personnes, comparé au Pape et son milliard de catholiques – ayant invité les Ukrainiens à rencontrer pendant deux jours les dirigeants du gouvernement américain : une comparaison pertinente, car le pourcentage d’Ukrainiens en Amérique correspond plus ou moins à la proportion que représentent les gréco-catholiques ukrainiens dans l’Église catholique.

Pour les dignitaires du Vatican et pour nous, les onze évêques qui représentions l’Église gréco-catholique ukrainienne dans le monde, en Amérique du Nord et en Amérique latine, en Océanie et en Europe, y compris l’Ukraine, il s’est agi de 12 heures d’écoute mutuelle intense.

Prendre le temps d’écouter et d’apprendre à se connaître en toute tranquillité est un véritable luxe dans le monde moderne. Aujourd’hui, tout le monde est pressé, exige tout ici et maintenant, impatient d’obtenir résultats et satisfactions immédiats, et d’opter pour des solutions en noir et blanc simples et rapides. Nous avons en quelque sorte perdu la compréhension que la vie est complexe et que, pour sonder la personne humaine, sa place et sa situation, il est nécessaire de consacrer beaucoup de temps, parfois des semaines, voire des mois. Nous avons oublié comment écouter.

Dans cette effervescence, combien de personnes ont succombé au populisme des politiciens ! Combien d’enfants ont grandi avec le sentiment d’être ignorés et négligés ! Combien de femmes sentent que leur voix n’est pas entendue, que ce soit dans la famille ou dans la société ! Combien d’hommes ont peur de s’ouvrir et de parler de leurs peurs et de leurs préoccupations ! Dans divers pays, même dans les démocraties les plus développées, nous assistons à de profondes divisions, à une aliénation et à des blessures profondes, même si elles sont bien dissimulées.

L’Eglise catholique est une communauté mondiale d’un milliard de personnes. En termes séculaires historiques, il s’agit de l’organisation la plus durable sur la planète, avec deux millénaires d’histoire ininterrompue, bien que parfois tumultueuse. Elle s’est répandue dans tous les pays. Ses principes sont incarnés dans toutes les cultures et plus encore – ils ont été une force créatrice au sein de ces différentes cultures. Aucune autre institution n’a fait autant pour le développement de l’éducation, le soulagement des besoins humanitaires et sociaux, la promotion de la paix dans le monde et la protection de l’âme humaine, à l’instar de l’Église catholique.

Pendant deux jours, alors que nous communiquions franchement au Pape et aux responsables du Vatican nos difficultés et défis, nos réalisations locales et mondiales, nous avons eu également l’occasion de nous réexaminer nous-mêmes. Une analyse SWOT de l’Église ukrainienne a été présentée. Les succès et les échecs de la pastorale de l’Église ont été discutés. Le Saint-Siège a voulu comprendre comment cela pouvait aider l’ÉGCU, non seulement à se développer, mais surtout à “s’épanouir”, comme le soulignait le communiqué final.

J’ai pensé au fait que trois évêchés galiciens des confins de l’empire austro-hongrois en 1900 aient pu se transformer en une Église qui compte aujourd’hui 34 diocèses (diocèses) et exarchats (diocèses de mission) de par le monde entier.

J’ai réfléchi au rôle que le Saint-Siège a joué pour rendre ce développement possible.

Alors que le régime soviétique semblait avoir éradiqué l’existence même de notre Église et tentait de détruire l’individualité unique de la nationalité, de la culture et de la langue de l’Ukraine, le Saint-Siège a porté le nom de l’ÉGCU, de l’Ukraine et des Ukrainiens sur la scène internationale et a apporté un soutien structurel et une légitimité à la vie ecclésiale et communautaire ukrainienne.

En 1950, le Vatican lui-même a acheté une propriété à la Société scientifique Taras Chevtchenko, à Sarcelles près de Paris, afin de permettre aux chercheurs d’écrire et de publier la monumentale « Encyclopédie des études ukrainiennes ».

À une autre époque et d’une autre manière, le Vatican a soutenu financièrement l’Université libre ukrainienne de Munich.

Ce sont les catholiques romains qui ont apporté un soutien financier au patriarche Josef Slipyj et ainsi fourni la base matérielle à son rêve, l’Université catholique ukrainienne, créée à l’origine à Rome.

L’Église catholique romaine a joué un rôle actif dans pratiquement tous les projets pastoraux, caritatifs et éducatifs de l’Église gréco-catholique en Ukraine. Au cours des cent dernières années, plus de 1 000 prêtres ukrainiens ont suivi des études supérieures complètes et ont souvent obtenu un doctorat dans des institutions gérées par le Saint-Siège.

Le soutien de Rome à l’Église ukrainienne gréco-catholique relève d’une longue tradition et une nouvelle façon de communiquer est maintenant apparue : une écoute profonde dont le responsable en  est le Pape François lui-même.

Aujourd’hui porter la responsabilité de l’unité et de la direction générale de l’Église catholique est incroyablement difficile, en particulier en raison de la nature instantanée des communications modernes et de notre impatience nerveuse qui exige des réponses immédiates et à chaque question. La rapidité et la brièveté sont la devise souhaitée.

Le Pape propose un style différent, un autre type de relations dans l’Église.

Ayant bénéficié de plusieurs occasions de contact personnel avec lui cette année, je peux attester que le Pape sait écouter, avec attention et sincérité. L’attention et la sincérité, la proximité avec ceux qui sont dans le besoin et la conscience de notre douleur spécifique se lisent dans ses yeux, indépendamment du fait que le Souverain Pontife doit garder dans son cœur les soucis du monde entier. Sa franchise, sa simplicité et sa bonté impressionnent. Ce Pape veut que l’être humain soit proche de Dieu. Il ne tolère pas le pédantisme, le formalisme et le cléricalisme.

Le Pape François n’est pas un homme politique, même si son statut dans la communauté mondiale exige certaines actions relevant du domaine politique. Il est avant tout un pasteur qui se soucie profondément du destin des hommes. Lui et ses collaborateurs l’ont encore démontré au cours de ces deux jours.

Il serait bon que d’autres dirigeants du monde consacrent autant de temps et d’attention à l’Ukraine, à la guerre, aux souffrances et aux aspirations humaines.

L’invasion russe a déjà coûté la vie à 13 000 personnes, selon les estimations de l’ONU, blessé et mutilé environ 30 000 (dont 9 000 civils). Il y a déjà quelques 400 000 anciens combattants beaucoup traumatisés, plus de 1 000 se sont suicidés. On parle ici juste du côté ukrainien. Aucune statistique n’est disponible sur les victimes russes – car officiellement les soldats russes « ne sont pas impliqués ». La guerre a directement touché 5,2 millions de citoyens ukrainiens, dont 3,5 millions ont besoin d’une aide humanitaire. Quelque 2,5 millions de personnes sont devenues des personnes déplacées ou des réfugiés. L’invasion de la Russie a transformé le Donbass – une région compacte, urbanisée et industrialisée – en une zone de conflit déchirée par la criminalité et où les industries et les infrastructures sont en ruines – maisons, hôpitaux, écoles, systèmes d’approvisionnement en eau, en électricité et en gaz.

Nous avons pu expliquer aux dirigeants du Saint-Siège en quoi la guerre exacerbait les blessures historiques causées par des décennies de totalitarisme génocidaire. Au vingtième siècle, entre 12 et 15 millions de personnes ont été tuées sur le territoire ukrainien. Le système a systématiquement tué et la peur est devenue profondément ancrée dans l’ADN collectif. Cette peur de l’autre crée une méfiance interpersonnelle généralisée qui rend la vie familiale, sociale, économique et politique d’autant plus difficile.

La pauvreté et les injustices sociales généralisées post-soviétiques, les soins médicaux et les services sociaux de qualité médiocre, le nombre élevé d’avortements, l’alcoolisme, le sida, les divorces, la violence familiale, la mortalité infantile et la faible espérance de vie moyenne ont été aggravés par cinq années de guerre hybride combinant méthodes militaires avec dépréciation économique, infiltration du système politique et divers types de cyber-attaques. L’invasion de la Russie a provoqué une véritable crise humanitaire. Subissant une sixième année sous invasion étrangère, l’Ukraine devient le pays le plus pauvre d’Europe. Un million d’émigrants et de réfugiés quittent le pays chaque année, souvent sans papiers. Le Saint-Père a voulu entendre la vérité sur ce qui se passe.

Il ne s’agit pas d’un calcul géopolitique aride de la part du Pape, mais de l’attention qui découle du véritable amour de l’Évangile : pour le désespoir du réfugié, la solitude du jeune, pour les traumatismes de ceux, qui du fait de la guerre ont perdu leurs parents, pour les souffrances des familles brisées par l’alcoolisme, pour les blessures à l’âme causées par le divorce, la séparation et l’inimitié.

Pour mieux comprendre le Pape François, il est utile de savoir lire des signes, des gestes et des symboles.

Le Pape a souligné à plusieurs reprises qu’il commençait et finissait sa journée avec l’Ukraine, en prière devant l’icône que Sa Béatitude lui a donnée. Il a rappelé ceci lors de notre réunion à Rome :

« Vous savez que chaque matin et chaque soir, mon regard se tourne vers l’icône de la Mère de Dieu que Sa Béatitude (Shevchuk) m’a offert lorsqu’il a quitté Buenos Aires pour assumer le ministère d’Archevêque majeur que l’Église lui a confié. Devant cette icône, je commence et finis ma journée en faisant confiance aux grâces de la Mère de Dieu, qui est notre Mère à tous et celle de votre Église. On peut dire que je commence et finis ma journée à « l’ukrainienne » en contemplant la Mère de Dieu ».

Pour un œil et un cœur attentifs, ces paroles du Pape démontrent combien proche et personnelle est pour lui la question de l’Ukraine.

Pendant deux jours, d’autres dirigeants du Vatican ont également eu l’occasion de mieux connaître et d’apprécier davantage l’Ukraine, les Ukrainiens et notre Église. Nous nous sommes efforcés d’être de bons communicateurs.

Est-ce que tout ce qui devait être dit – a été dit ; tout été entendu ? Forcément non. Cependant, il existe un espoir encourageant qu’une nouvelle forme d’échange ait émergé. Ce fut un dialogue sincère ou plutôt une polyphonie – sans dialectique ni falsification – dans laquelle régnaient le respect, l’accueil de l’autre et le désir de se comprendre. Nous avons prié ensemble et écouté.

L’Église catholique est une institution à la fois divine et humaine. Elle fonctionne avec l’âme et le cœur, pas avec l’acier ni la pierre. Ses armes sont douces : avant tout – la prière, les paroles et parfois le silence. Comprendre la force de la prière, des paroles et du silence n’est pas chose aisée, surtout lorsque les bombes explosent et déchainent les passions.

Au cours des deux jours passés avec le Pape François et ses collaborateurs, nous avons ressenti une communion mutuelle, de cœur à cœur. Je suis convaincu que le Pape souffre du sort de tous les peuples dans ce coin mystérieux du monde, dramatiquement et profondément blessé, mais aimé de Dieu. Il s’efforce, de manière intense et directe, de comprendre les besoins des Ukrainiens des Carpates au Donbass, de Tchernobyl à la Crimée, les désirs de tous les fidèles suivant la tradition de Kyiv, dans divers pays et continents.

Dieu est proche, surtout là où il y a de la souffrance. Ses témoins sont toujours proches lorsque la situation est difficile. Ils ne perdent pas de temps en controverses. Ils ne gaspillent pas leurs efforts pour convaincre les plus puissants du monde, mais ils écoutent directement et sincèrement, se tenant à nos côtés par solidarité.

Nous avons pu le voir dans les yeux du Pape, dans son attitude et dans sa franchise, lorsqu’il buvait calmement un expresso, permettant ainsi à Sa Béatitude Sviatoslav et à nous tous, de parler au nom d’Ukrainiens dispersés dans le monde entier, de l’Argentine à l’Australie, de Los Angeles à Montréal, de Dublin à Varsovie, de la rivière San au Don.

Telle était également l’attitude de ses collaborateurs.

Celle du cardinal Parolin – secrétaire d’État et second au Vatican. Calme, souriant, sympathique. Il n’a pas peur d’admettre qu’il peut ne pas savoir quelque chose. Un diplomate expérimenté qui veut construire des ponts. Il s’est rendu personnellement en Ukraine au début de la guerre afin de voir de près ce qui s’y passait.

Celle du cardinal Sandri – responsable des relations du Vatican avec les Églises orientales catholiques, qui a toujours exprimé un profond respect pour l’ÉGCU. L’été dernier, il a visité la zone grise du Donbass, il a prié avec nous à Zarvanytsia (pèlerinage marial dans l’ouest de l’Ukraine) et a rencontré nos fidèles en Amérique du Nord, il y a quelques semaines.

Nous avons également constaté cette attitude chez tous les cardinaux, archevêques et évêques présents aux réunions.

Tout dire et tout entendre en deux jours est impossible. Ce fut le premier pas vers une connaissance et une compréhension plus profondes. Clairement, il reste beaucoup à faire, mais le Seigneur y pourvoira et sera avec nous en tout. Ce processus est ascendant – il est symbolique et ne s’arrête pas à la Curie ni au niveau du Pape, car ils n’ont pas en eux la plénitude de la Grâce, qui n’est qu’avec le Dieu Vivant.

Néanmoins, leur témoignage nous a profondément touchés. La simplicité d’une conversation et d’un café partagés. Le Pape nous a encouragés à être des pasteurs qui ne regardent pas nos montres, mais qui donnent de leur temps. Il nous a offert beaucoup du sien. Le temps nous dira comment ces discussions porteront des fruits concrets.

Philadelphie, 11 juillet 2019

Source Site de l’Église gréco-catholique en terre francophone (essentiellement en ukrainien)

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