Au mois de décembre, le Conseil d’Etat a refusé d’admettre le pourvoi présenté par un pharmacien de Gironde, condamné pour ne pas avoir vendu de stérilet (cf. La clause de conscience du pharmacien, une question insignifiante pour le Conseil d’état ?). Une décision prise au motif que les moyens avancés par le pharmacien ne sont pas « sérieux ». De même que les arguments invoqués en première instance et en appel, cette nouvelle étape interroge et révèle une crispation sur la question de la clause de conscience de ces professionnels de santé. Adeline le Gouvello, avocate, répond aux questions de Gènéthique.
G : Est-il habituel que le conseil d’Etat ne motive pas sa décision de refus d’admission du pourvoi ? Existe-t-il des critères pour juger d’un moyen “sérieux” ?
ALG : La non admission d’un pourvoi est extrêmement classique. Près de la moitié des pourvois finissent ainsi. Le problème réside dans le fait que, selon l’usage, le Conseil d’Etat refuse d’admettre et d’examiner le recours sans motiver d’une quelconque manière cette décision. Ainsi, alors que le pourvoi peut soulever des points de droit précis, déterminants, non tranchés, le Conseil d’Etat a la liberté de ne pas les examiner s’il ne le souhaite pas, sans même avoir à donner un habillage juridique à la chose.
Il est manifeste que dans cette affaire les moyens soulevés étaient sérieux, l’un d’entre eux, et non le moindre, consistant en la liberté de conscience du professionnel, principe reconnu par la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Mais le Conseil d’Etat a préféré ne pas avoir à se pencher sur cette question.
G : Ayant épuisé les voies de recours devant les juridictions françaises, le pharmacien a choisi de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. Quelle est à présent la question posée aux juges de la CEDH ?
La Cour devra se prononcer sur le fait de savoir si la condamnation prononcée à l’encontre de ce pharmacien a porté atteinte à la liberté de conscience qui lui est reconnue par la convention européenne des droits de l’homme. La Cour a développé toute une jurisprudence sur ce droit inhérent à la personne humaine et notamment au regard des actes posés sur l’embryon entraînant sa suppression. Le dispositif médical du stérilet dont il est question dans cette affaire agissant après la fécondation, la question de la liberté de conscience de celui qui vend ou pose ce dispositif est essentielle. La jurisprudence française en vigueur avait d’ailleurs reconnu jusqu’alors qu’en matière de stérilet, compte tenu de son mode opératoire, le pharmacien avait la liberté de le mettre à disposition ou non.
G : Comment s’explique la décision du Conseil d’Etat ? Selon vous, les crispations françaises récentes autour de la clause de conscience du pharmacien ont elles joué ?
Il est très difficile, au regard de la loi, de la convention européenne des droits de l’homme, de prétendre que le pharmacien ne dispose pas d’une liberté de conscience, même si la clause de conscience n’est pas inscrite en tant que telle à son égard. Au même titre que n’importe quelle personne humaine, le pharmacien dispose de ce droit. Reste à savoir dans quelles circonstances et dans quelle proportion. Aussi, cette affaire place les juridictions françaises dans l’embarras, ce dont témoigne d’ailleurs la motivation des décisions de première instance et d’appel qui n’ont pas répondu aux divers arguments soulevés par le pharmacien et évité de trancher la question de l’existence ou non de la liberté de conscience pour un pharmacien, en se plaçant sur le terrain de la contraception, quitte à user de n’importe quel moyen : la décision de première instance a ainsi fait valoir que le stérilet était, en vertu de l’Autorité de Mise sur le Marché (AMM) dont il faisait l’objet, classé dans les contraceptifs et que l’on ne pouvait donc faire jouer une quelconque liberté de conscience. Cette soi-disant AMM n’avait jamais été produite, ni même débattue, mais était soudainement invoquée dans la décision au soutien de la condamnation. Or, un stérilet n’est pas un médicament : il ne fait donc l’objet d’aucune AMM qui aurait pu le classer en tant que « contraceptif ». On eût ainsi été bien en peine d’examiner ladite AMM puisqu’elle n’avait jamais existé… En appel, les juges n’avaient normalement pas d’autre moyen que de constater l’erreur grossière de motivation, quitte à confirmer la condamnation, mais sur un autre fondement. Ils ne l’ont pas fait, estimant que le stérilet était classé dans la catégorie des contraceptifs intra-utérins, sans même cette fois prendre la peine de tenter de justifier du fondement de cette classification.