D’un côté, un pharmacien qui refuse de délivrer la pilule du lendemain à un homme suscite l’indignation sur les réseaux sociaux, et le relai interrogateur de la presse. De l’autre, en Arizona aux Etats-Unis, une femme enceinte se voit refuser la pilule abortive de la part d’un pharmacien objecteur. Joël Hautebert, Professeur de droit des Universités et membre de l’association Objection !, rappelle pour Gènéthique les enjeux de ce débat.
Gènéthique : En France, en juin dernier, un homme se voit refuser la pilule du lendemain qu’il demandait pour sa fille. Les réactions offusquées des internautes sont-elles justifiées ?
Joël Hautebert : Je crois utile de rappeler en premier lieu que le rapport du client avec le pharmacien est avant tout basé sur une relation de confiance. Indépendamment de la question précise qui concerne la pilule abortive, le pharmacien est légalement responsable des produits qu’il vend. De par sa fonction, il exerce un rôle de conseil, que les clients attendent d’ailleurs de lui. Or quand il s’agit de produit abortifs, il semble qu’il soit soumis à une injonction de délivrance, une obligation systématique et irresponsable de vente, comme si toutes les obligations usuelles qui sont attendues de lui n’existaient plus et ce, quelques soient les circonstances. C’est assez frappant et manifeste dans l’attitude de celui qui a livré l’information sur les réseaux sociaux. Sur la contraception d’urgence, on n’attend plus du professionnel qu’il prenne les précautions d’usage à la délivrance de ses produits. Du fait de leur dosage et de leur action, ces pilules devraient pourtant être concernées au premier chef parmi les produits qui requièrent de telles précautions. Souvent, on oublie que la responsabilité du pharmacien est engagée dans la délivrance des produits qu’il vend. Il est doublement tenu à la vigilance.
Ensuite, les professionnels sont alertés par des utilisations frauduleuses ou tout à fait inadéquates qui imposent encore davantage de précautions : des hommes qui ne veulent pas que leur femme ou leur compagne aient des enfants et qui s’arrangent pour leur faire ingérer, à leur insu, ces comprimés surdosés, sur lesquels il n’existe aucun contrôle, mais qui ne sont pas sans incidence sur la santé.
Cet épisode malheureux révèle le tabou qui entoure désormais l’avortement, qui doit être possible quelques soient les circonstances. Au nom de la liberté de la femme, on fait la promotion de pratiques qui l’aliène.
De plus, il semble que dans cette histoire, le pharmacien ne connaissait pas l’homme qui lui demandait le produit et, à la demande du pharmacien de voir sa fille ou de l’entendre par téléphone, il a répondu qu’elle « n’était pas en état » de le faire. Le rôle du pharmacien peut-il sur ces questions se résumer à n’être qu’un distributeur ? Son exigence de conseil s’arrête-t-elle à l’IVG ? Pourquoi ?
G : Petit détour maintenant en Arizona, où les Medias se sont aussi fait le relai de l’histoire d’une femme enceinte venue demander un produit abortif que le pharmacien, objecteur de conscience, lui a refusé. Etait-ce légitime de part et d’autres ?
JH : Tout d’abord aux Etats-Unis, en Arizona, un pharmacien n’est pas obligé de délivrer un produit abortif même sur présentation d’une ordonnance. Cette liberté permet aux professionnels d’exercer leur métier dans le respect de leurs convictions et conformément à leur vocation de soignants. Cela étant dit, la couverture médiatique de cette affaire surprend. Lorsqu’on lit attentivement les articles de presse, les conditions de la demande et du refus ne sont pas claires : certains articles de presse font état d’un enfant mort, son cœur ne bat plus, les médias américains parlent de leur côté plus volontiers d’un bébé non viable.
Si l’enfant à naitre est décédé, la délivrance du produit qui doit permettre l’expulsion ne pose pas de problème éthique, mais si le bébé est réputé non viable, c’est qu’il est, au moment de la prescription et de la prise, encore vivant. La délivrance de la pilule abortive conduira de facto à un avortement et donc à la mort du fœtus. Dans ce domaine, les exemples ne manquent pas de fœtus non viable, nés vivants et qui le demeurent bien après leur naissance !
Ce qui interroge, c’est la façon dont l’information a été donnée et qui ne permet pas de déterminer le bien-fondé ou non de la réponse du professionnel. Et la question se pose une nouvelle fois : l’obligation d’information s’arrête-t-elle aux questions d’avortement ? Cette information diffusée sur les réseaux sociaux, reprise par les militants et la presse n’a pas été passée au crible d’un esprit critique et ne permettent pas d’apprécier les faits. Par contre, le lynchage du pharmacien est l’occasion de remettre en cause le bienfondé de l’objection de conscience. Etait-ce finalement le véritable enjeu de cette surenchère ? On peut légitimement se poser la question.
Source: genethique.org