Younan Khalaf est copte catholique, il a 32 ans et vit dans un petit village de Moyenne-Egypte, appelé Qom Al-Loufi, où cohabitent 1 800 chrétiens et 10 000 musulmans. Le 29 juin dernier, des musulmans ont mis le feu à sa maison, et à celles, mitoyennes, de ses trois frères et de sa mère, à cause d’une rumeur, propagée par un politicien en campagne, selon laquelle la maison que Younan Khalaf construisait avec son frère servirait d’église. Depuis juin, l’ouvrier en bâtiment, marié et père de sept enfants, n’a plus de travail.
« Nous sommes vingt-quatre membres de la famille à vivre de la mendicité. On loge dans un garage sans salle de bains », confie l’homme, vêtu d’une djellaba bleue, une croix copte gravée entre le pouce et l’index. « Les autres chrétiens du village sont victimes de brimades à cause de nous. Je ne trouve plus personne vers qui me tourner. Les gens d’Eglise me disent de prier », poursuit-il.
La famille Khalaf refuse de céder aux pressions « de députés, des services de sécurité et de gens du village » pour qu’elle renonce aux poursuites judiciaires et règle le « différend » par une séance de réconciliation. Cette pratique coutumière, où les anciens arbitrent un conflit à l’échelle du village pour y rétablir la paix sociale, est très répandue dans les zones rurales égyptiennes.
« On me dit que si je n’accepte pas, ça va être un bain de sang. Des personnalités du village menacent de tuer mes enfants et de ne plus laisser tranquilles les autres chrétiens si je refuse. Même certains chrétiens font pression pour que j’accepte », déplore-t-il.
Le cheikh de la mosquée Al-Azhar, fonctionnaire d’Etat, s’est exprimé en faveur de ces séances – « Elles résolvent le problème à la racine, alors que la justice ne règle que le problème entre deux personnes » – et accuse les médias d’avoir transformé de simples incidents en conflits confessionnels. Les représentants chrétiens ne sont pas du même avis. « Nous rejetons ces séances où celui qui est persécuté doit se taire et se plier aux demandes du village. Les assaillants n’y sont pas punis, donc les incidents se reproduisent encore et toujours », déclare le prêtre Benjamin.
Younan Khalaf ne sait plus vers qui se tourner. Les services de sécurité « ont laissé faire les assaillants ». Côté justice, « il y a une différence de traitement entre chrétiens et musulmans. Il n’y a jamais de verdict sauf quand il s’agit d’accuser les chrétiens de blasphème », dit-il. Et le gouvernement n’a pas tenu les promesses faites, début août, de reconstruire les maisons, d’offrir des compensations et de construire une église à Qom Al-Loufi.
Le désarroi de Younan Al-Khalaf fait écho au malaise de la communauté chrétienne d’Egypte (près de 10 % de la population) après une nouvelle série de heurts particulièrement violents depuis janvier. Pas moins de dix incidents, dont un mortel, nés de rumeurs sur la construction d’églises ou de relations amoureuses entre chrétiens et musulmans, ont dégénéré en affrontements confessionnels. Des maisons ont été incendiées, des personnes molestées et, dans un cas, une femme âgée déshabillée en public.
Les conflits confessionnels ne sont pas nouveaux en Egypte mais, depuis la chute du président Moubarak, en février 2011, pas moins de 77 incidents confessionnels ont été documentés à Al-Minya par l’Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR). Les tensions ont été vives de 2011 à 2013, sous la transition du Conseil suprême des forces armées, puis sous la présidence de l’islamiste Mohamed Morsi. Lors de la destitution de ce dernier, les chrétiens ont fait l’objet de représailles pour leur soutien à l’armée et à son homme fort, Abdel Fattah Al-Sissi.
Depuis qu’il a été élu président en mai 2014, M. Sissi a multiplié les gestes en direction de la communauté chrétienne et de ses représentants, qui l’assurent en retour de leur loyalisme. « La situation a changé en mieux grâce à l’aide de Dieu et à la sagesse de Sissi. L’armée a réparé les dégâts occasionnés le 14 août 2013 et, après la dernière vague d’incidents, le président Sissi a remplacé le gouverneur d’Al-Minya ainsi que des responsables de la sécurité », salue le père Benjamin. « Nous ne formons qu’un seul et même peuple », ajoute-t-il, appelant à la patience.