L’Homme n’est pas un colmatage

L’Homme n’est pas un colmatage

de Cyril Brun:

 

Être complexe, l’être humain ne cesse de nous étonner, de nous surprendre et par-dessus tout de nous dérouter. Sous les traits semblables de l’espèce humaine, chaque personne est unique, différente au point de demeurer toujours pour l’autre, même le plus proche, un mystère. Pour comprendre l’être humain, une multitude de spécialités ont vu le jour. Le corps, l’âme, l’esprit sont scrutés, disséqués dans les moindres recoins. La science débusque toujours un nouvel interstice où nicher une nouvelle discipline au service de l’Homme. Plus les découvertes progressent, plus les domaines d’expertise s’enrichissent, et plus l’énigme humaine semble percée, sans pour autant réussir à dévoiler l’intégralité du mystère de chacun.

Il change de fauteuil… Cyril Brun Au menu, le Square Verdrel, Mozart et l'anthropologie chrétienne.

Publiée par Tvnc Webtv sur Dimanche 19 novembre 2017

A modéliser ainsi l’être humain, nous avons fini par en perdre son unicité. L’Homme, en effet, n’est pas le colmatage de toutes ses composantes. Et l’hyperspécialisation des experts tend de plus en plus à exclure, voire à renvoyer dos à dos, les différents aspects qui composent l’être humain. L’expertise, nécessaire pour avancer dans la connaissance de soi, conduit pourtant à hypertrophier un aspect (voire un problème) au détriment de l’équilibre global de notre personne.

L’être humain n’est jamais réductible à un aspect de son humanité. Il n’est jamais aveugle, ou grand, ou malade, ou beau. Il est avant tout une personne humaine dont une des caractéristiques est la cécité, la haute taille, la maladie ou encore la beauté. Cette évidence que l’on oublie trop souvent est pourtant doublement fondamentale. Nous sommes plus que nos faiblesses ou nos défaillances. Et celles-ci n’affectent qu’un aspect de nous-même, quand bien même la paralysie qui en résulterait serait complète. Mais également nous sommes plus que nos forces et nos réussites, nous avons des limites et des failles. Quelles que soient les causes de ces forces et de ces faiblesses, elles sont ensemble la réalité complexe d’une personnalité globale qui doit se construire sur cette vérité entière de notre personne.

L’autre point fondamental d’être une personne humaine unifiée avant d’être telle ou telle caractéristique de notre personnalité, c’est que nous ne sommes pas cloisonnés. Ce qui veut dire que non seulement notre équilibre passe par les différentes composantes de notre être, mais que ces composantes interagissent l’une sur l’autre. D’où la limite des avis de spécialistes qui se focalisent sur les conclusions de leur expertise, sans pouvoir prononcer un jugement global sur l’intégralité de la personne qui s’adresse à eux. La grande difficulté est de garder une vision d’ensemble de la personne, une vision intégrée.

Or une telle vision n’est possible qu’en partant d’une connaissance globale de la personne humaine. C’est l’anthropologie au sens fort du terme. Discipline unifiante, l’anthropologie est avant tout connaissance de l’être humain dans ses trois dimensions fondamentales que sont le corps, l’âme et l’esprit. Ces trois composantes de l’Homme sont indissociables. Il n’y a pas de corps sans âme, ni d’âme humaine sans corps, ni d’esprit humain sans âme ni corps. C’est un tout non seulement uni, mais surtout coexistentiel. On peut intellectuellement les distinguer pour mieux les étudier, mais on ne peut les disséquer. Jamais nous ne trouvons un corps humain sans âme, ni esprit. C’est comme isoler l’eau de la mer, c’est impossible.

Mais connaître les trois composantes de l’être humain, les connaître de l’intérieur, avec leurs propres éléments internes, est loin, très loin de suffire pour connaître la personne humaine. Encore faut-il appréhender les mécanismes par lesquels le corps, l’âme et l’esprit se nourrissent mutuellement. Car entre eux c’est comme un même sang qui s’écoule. Intégrer ces composantes et leur unité permet à l’anthropologie de dresser un caryotype de la personne humaine en tant qu’être humain universel autour duquel se dessine le mystère propre à chaque personne. Car, en définitive, chacun d’entre nous n’est « qu’une » des multiples combinaisons possibles de ce caryotype, façonnée par l’histoire propre de chacun.

En d’autres termes, la démarche « connais-toi toi-même » qui inspira Socrate est avant tout la découverte de son propre caryotype, c’est-à-dire de ce qui fait notre vérité propre, à partir de la vérité anthropologique commune à toute l’humanité. D’où le danger de poser un jugement, voire un diagnostic, fondé sur une vision partielle ou erronée de l’Homme. Nous ne sommes pas réductibles à une difficulté psychologique, laquelle n’est jamais qu’un problème d’équilibre général de notre caryotype personnel. Avant de se focaliser sur un problème ou une difficulté, il est important de les resituer à leur place véritable dans l’équilibre anthropologique, sans quoi nous courrons le risque de ne faire que déplacer le problème ou de lui donner une réalité qu’il n’a pas.

Source: Cyrano.net

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