Les Rameaux ou la messe du grigri

Les Rameaux ou la messe du grigri

La célébration des Rameaux, comme celle de la chandeleur, voit une participation notablement différente dans bien des paroisses catholiques. Une foule nombreuse se presse pour venir célébrer le baptême du Christ, comme son entrée triomphale à Jérusalem. Une foule qui, comme les apôtres au jardin des oliviers, finit par se clairsemer au fil de la célébration. Le cierge, ou le buis, béni, grigri en poche chacun retourne chez soi, sûr d’être protégé du mauvais œil ou du malheur pour une bonne année.

Pour faire bonne mesure, on en prend pour toute la famille, toutes les pièces et même, l’air de rien, on s’échappe de l’église en ayant bien trempé les rameaux dans le bénitier, qui s’écoule plus rapidement que la lecture de la passion.

C’est en tout cas ce que l’observateur extérieur, goguenard, méprisant ou exaspéré pourrait raconter en rentrant chez lui. Et c’est bien une partie d’un spectacle un peu triste où se combinent superstition, magie et surtout incompréhension du sacrifice du Christ. Un sacrifice qui n’est pas magique, mais salvifique. Pourtant, dans ce monde déchristianisé, ou jamais vraiment bien christianisé, deux belles choses percent sous ces pratiques, parfois désinvoltes et souvent bien centrées sur le désir d’un bien-être matériel.

Ces superstitions, ou incompréhensions de ce qu’est le christianisme, révèlent en effet que pour nombre de « non pratiquants », voire de « non chrétiens », le sentiment d’une puissance surnaturelle et d’une vie au-delà du simple univers matériel qui nous entoure est une réalité bien présente. Il y a, derrière cette démarche, la vive conscience d’un autre monde, d’une autre réalité, d’un univers spirituel qui dépasse l’entendement humain et qui s’exprime par une forme de lutte entre le mal qui vient entraver la vie matérielle et une force bonne qui, au contraire, semble pouvoir protéger contre ces mauvais esprits. Dans le monde matérialiste et officiellement athée, cette conscience quasi innée d’un autre monde est un puissant témoin de cette capacité qui réside en l’homme de se tourner vers le surnaturel et donc vers Dieu.

L’autre aspect intéressant du « grigri » se trouve dans la force protectrice que cet inconscient « métaphysique » attribue aux sacramentels (et peut-être sans faire la distinction aux sacrements) de l’Eglise catholique. Autrement dit, il y a dans cette superstition qui peut nous agacer ou nous donner à rire avec suffisance, une reconnaissance implicite de la force surnaturelle de l’Eglise pour le bien des hommes. Même si tout cela est mal ordonné, confusément magique, demeure que précisément là se révèle une intuition profonde de la grâce sanctifiante que procure la Passion du Christ.

Ceci demande à être évangélisé, éduqué et purifié, mais quel boulevard pour conduire chacun à Dieu en prenant appui sur ce sentiment d’un au-delà avec lequel l’Eglise catholique a un lien privilégié et rassurant. Voilà bien une « périphérie » à christianiser, une périphérie à nos portes et en ces jours de « grigris » à la porte même de la grâce, sur le parvis de notre petite église de campagne ou de quartier. Ce sont ces « semina Verbi », ces semences du Verbe à partir desquels saint Thomas d’Aquin invite toujours à conduire vers Dieu celui qui tout en étant loin de la vérité trouve en ces semences un ancrage pour cheminer. Le grigri n’est pas que superstition, il dit quelque chose de la vérité divine, une vérité défigurée qu’il nous appartient de rétablir dans sa splendeur, pour la gloire de Dieu et le salut des hommes.

 

Articles liés

Partages