Suite de la première partie consacrée à l’entrée en Carême, et de la deuxième partie consacrée au jeune, troisième partie consacrée à l’aumône :
L’aveu des fautes : Mea Culpa
Ces pratiques du Carême tendent à produire en nous la purification du cœur : le jeûne, corporel et spirituel, en expiant les péchés par la pénitence et en en détruisant les racines par l’élimination des vices ; l’aumône et le pardon en nous obtenant, suivant la promesse du Seigneur, l’indulgence divine, précieux « raccourcis » (VI, 2) préparés par Dieu à ses serviteurs pour gagner son royaume, là où il sera donné aux cœurs purs de le voir. Remarquons que toutes ces pratiques nous font renoncer à quelque chose, soit au rassasiement de notre appétit charnel ou spirituel, soit à nos biens temporels, soit à la prétention, que nous pourrions juger légitime, de nous venger ; elles nous font perdre quelque chose, mais « qui perd sa vie la trouvera »
Dans le même ordre d’idées, il y a encore un autre moyen de purification qui s’imposera dès le début du Carême : c’est l’humble aveu et le regret des fautes de la vie antérieure et spécialement de l’année écoulée. L’examen de conscience, recommandé et détaillé par saint Léon, aura eu pour effet de nous les rappeler et de les remettre en pleine lumière devant les yeux de l’âme.
« Opération vérité » que le Carême, avons-nous dit. On doit se persuader que rien n’échappe au regard du Souverain Juge. Si l’on peut tromper un homme, ni le secret des lieux ni les enclos des murs n’arrêtent la vue de Dieu qui voit tout en même temps. L’opacité lui est transparente et tout secret lui est découvert ; les choses obscures s’illuminent pour lui, les muettes lui répondent, le silence le proclame et l’esprit lui parle sans voix. Que personne donc, parce que ses péchés sont restés impunis, ne méprise la patience dont fait preuve la bonté de Dieu (V, 3).
Et saint Léon ne craint pas de menacer des peines éternelles ceux qui « n’auront pas recherché le remède de la pénitence tandis que la justice suspendait sa sentence ». Après avoir pris conscience des impuretés de notre âme, il faut nous appliquer en toute assiduité et rigueur à les effacer par les purifications les plus soigneuses (XII, 1) ; On ne doit pas cesser de demander à Dieu la pureté du cœur, et, enfin, il faut, par un humble aveu, déclarer ses péchés au tribunal de la pénitence :
Ce qui aura été purifié par un aveu cessera d’être sujet à la condamnation (Ibid.).
Ainsi, au grand dépit du démon, ceux qui étaient tombés, trompés par ses pièges et ses mensonges, se laveront dans les larmes de la pénitence et seront admis au remède de la réconciliation, la clef apostolique leur ouvrant les portes du pardon.
C’est au sacrement de pénitence qu’il est fait, sans nul doute, allusion dans ces textes, pénitence publique, encore en usage du temps de saint Léon, mais aussi pénitence individuelle. Cela fait partie des pratiques indispensables du Carême, auxquelles il faut se disposer dès le début de la sainte Quarantaine.
Résumé et conclusion : le bonheur de l’âme purifiée
Nous avons passé en revue les dispositions et les disciplines que saint Léon veut voir adopter par les fidèles lorsqu’ils abordent « les jours mystiques et consacrés aux jeûnes salutaires » (IV, 2) ; rappelons-les : ce sont l’attention, l’intérêt, l’humble désir ; puis la décision, le sursaut, le regard lucide porté sur l’ennemi à combattre et sur l’enjeu de la lutte, la prise en main de l’armure spirituelle à revêtir, la marche au combat les yeux levés vers le Dieu qui nous aide, la foi correcte au principe de toutes nos démarches, et enfin la mise en œuvre des pratiques essentielles qui assureront le succès, à savoir le jeûne, l’aumône, le pardon des injures, l’aveu sincère et le regret des péchés.
Et déjà se dessinent les heureux effets de cette discipline quadragésimale, qui sont la purification, la libération, la joie. La purification viendra de l’élimination progressive des vices et de la mise au pas des tendances de la chair sous la tutelle de la raison, elle-même soumise à Dieu : d’où l’équilibre retrouvé dans l’ordre intérieur et la paix. Dans ce climat nouveau, les vertus vont pouvoir se développer et pousser de solides racines, afin de prévenir par un ordre stable et fortement établi le retour de l’anarchie antérieure ; c’est pourquoi le Carême est un « entraînement » (IV, 1) à la vertu et un temps où l’on prend des habitudes durables (XI, 3) ; il faudra, en effet, continuer à courir dans la lancée que nous aurons prise au cours de ces semaines. Des vertus qui peu à peu l’embellissent pour former en elle l’homme nouveau, l’âme travaille à s’orner afin d’accueillir dans un temple digne de lui le Sauveur qui, après l’épreuve finale de sa Passion, ressuscitera glorieux le jour de Pâques. C’est à la fois un perfectionnement et une libération ; peu à peu l’âme se détache, et elle qui se sentait appesantie par les lourdeurs d’en-bas, s’en trouve délivrée. Les privations du Carême et les refus opposés aux appétits charnels, loin de la contrister, la soulagent et la font passer insensiblement « a terrenis ad caelestia ».
Libération et dépassement qui ouvriront dans l’âme la source très pure de la joie.
Il faut, en effet, que l’espérance soit le moteur de l’action purificatrice de ce temps, comme elle l’est de toute la vie chrétienne. Et, en vérité, la pénitence du Carême, toute pénible qu’elle soit par sa continuité qui ne doit point se relâcher, débouche sur la lumière, sur la grande lumière de Pâques ; déjà elle fait partie du « mystère pascal ».
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